Ahmedou Ould Abdallah à Biladi : « … On négocie, non pas avec ses amis mais avec ses adversaires ou ses ennemis »

Ahmedou Ould Abdallah à Biladi :

Ahmedou Ould Abdallah, certainement le plus connu de nos compatriotes dans le monde, vient de faire paraitre ses mémoires, en arabe et français.

Depuis son départ à la retraite volontaire des Nations Unies, il consacre le plus clair de son temps à son centre, Centre des Stratégies pour la Sécurité au Sahel Sahara (Centre 4S). 

Un centre dont la vocation première est de mobiliser l’opinion régionale et internationale sur la sécurité chancelante et fortement éprouvée dans cette région du Sahel Sahara depuis l’effondrement de la Libye et sa transformation en foyer de tension permanente qui distribue l’instabilité et la guerre sur toute la zone. Et même au-delà…

Ould Abadallah a accepté de répondre aux questions de Biladi. Nous l’avons interrogé sur son Centre et sur d’autres questions relatives au dialogue enMauritanie et à la sécurité dans la région…

Biladi : Excellence, le Centre 4S a comme vocation première de suivre les questions de sécurité au Sahel Sahara. Aujourd’hui, cinq ans après comment voyez-vous la situation ?

Ahmedou O. Abdallah (AOA) : D’abord un bref rappel à propos du Centre4s. En ce mois de juin, il achève sa cinquième année d’activité. Cinq années qui en ont fait un Centre d’excellence associé à d’autres et à de nombreux décideurs, publics et privés, intéressés ou concernés par la situation sécuritaire dans le Sahel Sahara et au-delà. A cet égard, les moyens de communication et des technologies modernes lui ont permis de travailler sans les contraintes inhérentes à la mise en place d’une bureaucratie classique.

S’agissant de la situation dans le Sahel Sahara, elle reste bien préoccupante et cela pour plusieurs raisons dont je peux en citer les suivantes.

La première est hélas classique. Très souvent, face à une menace, même sérieuse et crédible, mais d’un type nouveau, les gouvernements ont une tendance, presque mécanique, à vouloir n’y apporter qu’une réponse classique c’est-à-dire conçue pour les crises précédentes. Mais ces réponses ne sont pas nécessairement adaptées ni à la spécificité de la nouvelle menace ni au contexte global du moment: politique, humain, militaire, technique, etc.

La seconde raison est que les menaces actuelles sont, dans leur apparence, liées au terrorisme. La réalité est bien plus complexe car celui-ci n’est souvent qu’un aspect, certes très dangereux, d’une galaxie de problèmes divers dont les trafics de drogue, de cigarettes et des personnes. Avec tous leurs multiples relais dans les administrations nationales des pays d’origine, de transit et de destination.

Il existe une troisième raison: la mauvaise conjoncture économique. La baisse des prix des matières premières, ajoutée à des gestions publiques peu ou pas du tout orthodoxes, expose les gouvernements du Sahel à de fortes baisses de revenus. Donc aux risques de fortes tensions sociales.

Dès lors, une réponse adéquate à ces menaces appelle une réaction qui, sans minimiser le rôle du volet militaire, toujours indispensable voire essentiel, doit aussi inclure d’autres actions de police et surtout de saine gestion politique et économique. Elle exige également une coopération toujours plus poussée avec les pays de la région et d’autres états extérieurs qui partagent leurs craintes et disposent d’une plus vaste expertise.

Ceci étant, une réponse nationale informée demeure le socle sur lequel doit se fonder la protection des populations et des intérêts d’un pays.

Biladi : Chez nous, en Mauritanie, toutes les écuries politiques évoquent leur engagement en faveur d’un dialogue qui peine toujours à démarrer ?

AOA : De manière générale, face aux difficultés liées à un contexte régional en crise, le dialogue, compris dans le sens de la recherche d’un apaisement socio politique, offre la meilleure réponse. De plus, il fortifie la tolérance et la démocratisation.

Je vais rappeler ici une expression que je trouve toujours valide: on négocie, non pas avec ses amis mais avec ses adversaires ou ses ennemis. Par ailleurs, par leur culture, les élites de ce pays savent que, depuis « l’Accord d’Al Houdaybiya », discuter, même avec ses ennemis (dans notre contexte national, il s’agit de partenaires), en vue d’un compromis, est l’essence de la vie dans une société moderne.

Dans ce contexte, pour les uns comme pour les autres, accepter et réussir un dialogue entre parties ne saurait être un slogan ou une fin en soi. C’est surtout une disposition d’esprit dans l’intérêt général.

A cet égard, il arrive que les vrais obstacles à un dialogue national trouvent leurs sources dans des incompréhensions, parfois d’ordre politique, mais plus souvent dans des motivations bien moins glorieuses. La recherche d’intérêts personnels peut constituer un stimulant très fort soit pour promouvoir soit, au contraire, pour faire dérailler, un dialogue. On peut certes le regretter, mais cela fait partie de la vie.

Biladi : Vous avez supervisé le dialogue politique dans différents pays. Quels conseils pourriez –vous donner à notre classe politique, toutes tendances confondues ?

AOA : Naturellement je ne donne pas de conseils acceptant ainsi une des plus vieilles formules de notre tradition populaire : « un avis ne saurait faire l’objet d’une offre ».
Dans cet esprit, je me sens réconforté du fait que l’histoire politique récente de notre pays enseigne la prudence quant à la permanence des convictions politiques des uns et des autres. Les dirigeants, tous partis et institutions confondus, ne le savent que trop !

La région Sahel Sahara, y compris notre pays, qui est membre du G5 Sahel, est structurellement vulnérable du fait de profondes mutations en particulier sécuritaires, urbaines, démographiques et politiques. Or en temps normal, et encore plus en temps de crises, la recherche de compromis, à travers les rencontres et discussions entre partenaires, offre la solution la moins coûteuse et la plus sûre pour protéger les populations, les institutions et donc les pays.

Ce point de vue s’adresse à tous : aussi bien les partisans du pouvoir que ceux de l’opposition et aux autres citoyens. Je voudrais aussi faire des rappels. La négociation n’est pas une guerre qui doit aboutir à vaincre et détruire un adversaire avec prise de prisonniers et de butins. Négocier c’est œuvrer ensemble dans l’intérêt de tous, je veux dire ici celui du pays.

A cet égard, les parties doivent présumer la bonne foi et la sincérité les uns des autres. Naturellement, la bonne foi est essentielle quand bien même elle ne va pas de soi et qu’elle reste difficile à évaluer. Pour s’assurer davantage de cette bonne foi, les parties en discussion peuvent commencer par mettre en place des mesures de confiance: par exemple des rencontres sans ordre de jour précis. Dans ce contexte, et à moins de vouloir imposer une reddition à l’autre, il est difficile de refuser le principe de la négociation ou d’y opposer des préalables rigides.

Chaque partie, et surtout celle qui dispose le plus de moyens – en l’occurrence le gouvernement – doit manifester une plus grande souplesse.

Un autre point important à faire : il n’y a pas de négociations réussies sans un minimum de confidentialité. Le point que je veux faire ici est que les discussions préliminaires – de procédure et de fond – ne doivent pas être inutilement exposées dans la rue. Le faire est soit la manifestation d’une naïveté soit d’un désir de ne pas discuter sérieusement.

Biladi : Une entente nationale ne pourrait-elle pas immuniser notre pays des risques d’instabilité qui menacent toute la région ?

AOA : La question est importante. Dans un contexte de crise sécuritaire régionale et de pertes de revenus financiers pour l’Etat, tout le monde s’accorde au moins sur un point: la formation d’un large consensus politique national constitue une bonne mesure préventive. Par la combinaison des diverses sensibilités, naguère opposées, ce consensus peut contribuer à mieux appréhender les difficultés et dégager les meilleures voies pour une gestion apaisée.

Certes, un consensus ne règle pas toutes les difficultés d’un pays. Cependant, le nôtre ne peut pas affirmer qu’il n’existe pas de problèmes. Chacun sait que ceux-ci font partie de la vie qui est, elle-même, faite de cycles. Aujourd’hui, la question est comment éviter que ces problèmes deviennent violents.

Sans être une panacée, la recherche et la mise en œuvre des conclusions d’un consensus national, offrent de fortes garanties face aux menaces réelles et crédibles qui pèsent sur tout le Sahel. Y compris notre pays qui, naturellement, ne peut être une exception.

Appeler au dialogue, accepter d’y participer et de le mettre en œuvre est une marque de force et non de faiblesse.

Naturellement, il y a toujours ceux qui veulent marquer des coups politiques, en d’autres termes, se jouer de la réalité et de leurs partenaires. L’histoire contemporaine de notre pays enseigne qu’il s’agit souvent d’opérations sans lendemains.

Dans mon livre de souvenirs qui doit sortir, en Français et en Arabe, en ce mois de ramadan, j’évoque ce manque de constance politique qui a porté tant de préjudices à la Mauritanie.

Propos recueillis par Moussa O. Hamed
Source : Rmibiladi (Mauritanie)