Le Calame : Dans un récent communiqué, El Hor dénonce comme une espèce de cabale contre vous. Qui en veut tant à Samory Ould Beye ? A quelle fin ?
Samory ould Bèye : Ils n’en finissent pas, ils sont très nombreux à vouloir la tête de Samory, ils sont partout. Les raisons en sont multiples et variées, selon les différentes parties, groupes ou individus… Certains me jugent encombrant, très étouffant, difficile et complexe ; d’autres font état de divergences politiques et idéologiques ; certains m’en veulent pour mes positions ; d’autres voient en moi un rival dangereux ; le pouvoir me cible en gardien du temple, meneur des poches de résistance de la lutte des Harratines et m’accuse, à tort, d’extrémisme œuvrant contre l’unité nationale, ce qui est totalement faux.
–Le renouvellement des instances dirigeantes du FNDU se heurte à votre refus de quitter la vice-présidence que vous occupez depuis quelque temps. Vous subiriez des pressions pour céder la place à un autre syndicaliste. Qu’en est-il au juste ?
– Non, il ne s’agit pas de refus de ma part de céder, il s’agit d’attitudes que d’autres acteurs véhiculent pour des raisons qui leurs sont propres. Lors de la constitution du FNDU, j’ai été désigné, à l’unanimité, par le pole syndical, comme vice-président. Les textes du FNDU ne sont pas restrictifs ni limitatifs de mandat. Au dernier renouvellement des instances du FNDU, il été question que chacun des pôles désigne son représentant, en confirmant l’ancien ou en en choisissant un nouveau. Nous avons discuté de cette question entre les six centrales syndicales qui constituent notre pôle. Deux des secrétaires généraux se sont déclarés candidats. Je trouve cela légitime mais pas la manière dont s’est déroulé le scrutin, dans un contexte où des divergences existent, depuis un certain temps, sur des questions importantes, dont la question des élections sociales et le rapprochement trop visible de ces deux candidats avec le département ministériel de tutelle. Cette situation conflictuelle était la base de ces candidatures. Nous avons procédé au vote qui m’a donné quatre voix sur six, chacun de mes concurrents votant pour lui-même. Malgré cette situation de vote majoritaire, ils ont persisté et signé qu’ils ne désisteraient pas. C’est aberrant. Suite à cela, les forces politiques dont ils tirent leur source ont mis en branle leurs machines, pour venir au soutien de leurs amis, occultant les règles démocratiques, au profit d’un prétendu« consensus », comme ils disent, alors qu’il n’y en a pas. Or, en l’absence d’un consensus, le seul recours reste la règle démocratique. Sans elle, cela devient de l’arbitraire et de la dictature. C’est cela que Samory n’accepte pas.
–Le pôle syndical serait-il donc victime des manœuvres ou divergences, au sein du pôle politique du Forum ?
– La situation est celle que je viens de décrire
–Qu’est-ce qui explique, à votre avis, l’actuel retard dans la mise en place du dialogue entre le pouvoir et l’opposition (FNDU) ? Faut-il pour autant désespérer ?
Le retard observé aujourd’hui n’est pas du tout surprenant, eu égard le manque de sérieux du pouvoir qui nous a, malheureusement, habitué depuis toujours à ce simulacre de volonté d’ouverture au dialogue. Quand on dialogue et qu’on ne veut pas qu’il reste la moindre trace de ce qui se dit ou se fait, on se comporte comme un voleur qui s’emploie à effacer toute preuve de son passage.
Le FNDU, comme il l’a toujours exprimé et, maintes fois, réitéré, veut le dialogue qui constitue, pour lui, un choix stratégique, en vue de trouve des solutions à la crise multiforme que connaît notre pays, suite aux échecs répétés de la politique laconique et chaotique de Mohamed ould Abdel Aziz. Nous savons tous que notre pays est au bord de banqueroute ; la situation d’ensemble s’est détériorée, tant au plan politique que social et économique. Pour ces raisons, le FNDU cherche le dialogue mais un dialogue franc, constructif, à même de sortir le pays de cette situation de crise multidimensionnelle.
– Vous venez de rentrer d’une visite auprès du président d’IRA Mauritanie et de ses amis, dans la prison d’Aleg. Comment se portent Biram et ses codétenus ?
Oui. J’ai dirigé, le mercredi 16 Juin 2O15, une délégation d’El Hor, pour rendre visite au frère Biram Dah Abeïd et son compagnon, le frère Brahim Bilal, en la prison d’Aleg. Parler de leurs conditions d’existence, je ne peux en dire que la prison n’a jamais été un lieu confortable ou acceptable, quelles que ces conditions. Et d’autant moins qu’on y séjourne injustement, parce qu’on défend, tout simplement, une cause et de surcroît, une cause juste.
Mes frères Biram Dah Abeïd et Brahim Bilal sont victimes du système esclavagiste et discriminatoire que dirige, aujourd’hui, une poignée d’officiers nationalistes, bornés et étroits, avec, à leur tête, Mohamed ould Abdel Aziz qui rêve d’exterminer les Haratines, pour asseoir un pouvoir pur beïdane, basé sur l’apartheid, condamnant les Haratines à vivre dans des ghettos, dans l’éternelle humiliation de l’esclavage, l’exclusion et la discrimination. On veut nous faire abdiquer et nous assujettir à nouveau. Cela ne se produira plus. Par la lutte, nous vaincrons car notre cause est une cause juste.
– Le président de la République a effectué des tournées dans quelques régions du pays. Que vous inspirent ces « visites de prise de contact et de travail » ?
La visite de Mohamed ould Abdel Aziz dans les régions de l’intérieur du pays a permis, aux Mauritaniens de découvrir toute sa vision philosophique et idéologique. Plusieurs remarques en ce sens.
En un, le chef de l’Etat n’a pas daigné rencontrer, au cours de toutes ses visites, un seul des chefs des adwabas ou notabilités harratines, malgré que la population qui l’a accueillie, dans toutes les localités visitées, était, à 90 %, des harratines, sauf au Sud. Aziz a oublié les Harratines, victimes de grandes injustices et souffrant de tous les maux : misère, analphabétisme, précarité, exclusion, sous-développement… Eux qui devraient préoccuper le premier responsable du pays et bénéficier d’un intérêt particulier ont été totalement ignorés. On pouvait pourtant imaginer que l’objectif de la visite de cette partie du pays, si forte de présence harratine, était de s’enquérir de la situation réelle des Harratines, en vue de prendre des décisions politiques spécifiques à leur profit, toutes les raisons l’imposent, si l’on veut réellement réparer le tort et les injustices subis.
En deux, Aziz a montré son vrai visage de féodal et de nationaliste chauvin incarnant l’idéologie esclavagiste et rétrograde, en homme plein de mépris pour les groupes autres que les Maures. En trois, il nous a révélé le virage à cent quatre-vingt degrés qu’il a accompli, pour revenir à la tribu, aux grandes familles et à la chefferie traditionnelle. Nous constatons, en quatre, qu’il vit en vase clos, sans aucune idée de la situation réelle où se débat la population. Oui, Aziz se soucie bien peu des problèmes de son peuple. En cinq, il a parlé de fonds à mobiliser pour des hommes d’affaires des Hodhs, afin de renforcer leurs capacités d’investissement. Il oublie que ce sont les Harratines qui ont le plus besoin de cet argent. Il faut injecter ces fonds dans leurs milieux, à travers des petits projets et des programmes de développement économique et social, sachant que seule une politique de discrimination positive est à même d’aider les Harratines à sortir de l’ornière. Enfin, il reste, à Aziz, à prendre conscience que toutes ses options politiques furent chaotiques, en se lançant dans de gros projets inopportuns, comme la construction de l’aéroport et d’avions, alors qu’il fallait mettre l’accent sur les questions d’urgence, comme les problèmes de l’eau, de la santé, de l’emploi, etc.
– La montée du discours communautariste est perceptible, depuis quelque temps. Le pouvoir estime qu’il menace l’unité nationale. Quelles sont, à votre avis, les raisons de cette résurgence ?
Moi, je pense que le phénomène dit de communautarisme est la résultante d’une situation que nos connaissons tous en Mauritanie. Des communautés ont été totalement exclues et marginalisées, particulièrement la communauté haratine. La situation est rendue complexe parla mainmise de la seule communauté maure sur le pouvoir, de l’indépendance à nos jours. On nous présente cela comme un fait accompli, un acquis irréversible. Toute volonté de remettre en cause cet état des choses basé, non seulement, sur des déséquilibres majeurs mais, aussi, sur des injustices historiques de taille, serait, de ce point de vue, une menace contre l’unité nationale. Pour certains, la préservation de cette unité-là commande d’accepter l’ordre préétabli, y consentir, se soumettre à toutes les règles mises en place par le seul groupe dominant au pouvoir. L’aspiration des autres, au partage du pouvoir et des richesses, à la liberté et à l’implication de tous dans la gestion des affaires du pays, est considérée, par les Maures, comme une velléité de déclaration de guerre, une menace à l’unité nationale. Alors que c’est cette vision erronée qui menace, en réalité, l’unité nationale et pousse vers les conflits ethniques et groupusculaires. On ne peut pas priver certains de leurs droits et leur demander de ne pas réclamer ni dénoncer le tort subi, ainsi que les injustices.
– Pourquoi certains harratines et négro-mauritaniens dénoncent-ils, systématiquement, leur « exclusion » des rouages de l’Etat par un « système esclavagiste et raciste » ? Sur quoi fondez-vous ces accusations ? Et que préconise El Hor, pour permettre, aux Mauritaniens, d’anticiper, tous ensemble, sur les dangers qui menacent ainsi leur pays ?
– Les Haratines et les Négro-africains ont tellement vécu, dans ce pays, de situations dramatiques, subi de morbides pratiques esclavagistes, génocidaires, discriminatoires, d’exclusion et de rejet, comme autant de motifs à dénoncer le système qui les réprime mais, aussi, à agir pour replacer les choses dans leur juste milieu.
Les événements douloureux de 199O sont encore présents dans les esprits et les mémoires. C’est, pour moi, l’occasion de rappeler, ici, que ce ne furent pas seulement les Négro-africains qui furent affectés par ce drame. Des haratines ont été également visés et connurent le même sort. J’illustrerai mon propos avec le cas d’un rescapé du camp d’Inal, un hartani parmi d’autres haratines amenés dans le camp de la mort. Ce monsieur continue de taper à toutes les portes, pour recouvrer ses droits de rescapé militaire. En vain. Il a saisi la commission africaine des droits de l’homme et des peuples. Aujourd’hui, son sort est entre les mains du haut-commissaire aux droits de l’homme.
Ces douleurs, ces plaies béantes, ce mépris et ce rejet ne sont pas une gorgée d’un verre de thé, c’est nauséabond et cela nous donne du souci. Nous faire oublier l’aigreur de ce menu toxique, il faut beaucoup de choses qui passe, nécessairement, par un dialogue ou une conférence nationale où toutes les questions seront examinées, dans un débat national constructif qui débouchera sur la refonte de l’Etat en une reconstruction qui tiendra compte des intérêts de toutes les composantes du pays. Cela doit également déboucher sur la reconnaissance constitutionnelle des Haratines, en tant communauté distincte de celle des Maures.
On l’on ne conclura aucun accord, sans s’être entendus sur le partage du pouvoir et des richesses qui reste un des facteurs fondamentaux de l’équilibre. C’est là l’idéologie du mouvement El Hor, sa vision d’une Mauritanie autre, celle où chacun trouve sa place et jouit, pleinement, de tous ses droits, protégé par un Etat de droit, garant des intérêts supérieurs de la Nation et les droits fondamentaux de chaque mauritanien.
Je pense que voir les solutions autrement, c’est une duperie. Sous l’angle aigu d’Aziz, fourrer les fils des Harratines en prisons, les exproprier des terres, les asphyxier économiquement, les contraindre au chômage et les exclure, rien de tout cela ne peut apporter la moindre solution à cette problématique ou« question » des Harratines. Voilà pourquoi je demande la libération, immédiate et sans condition, des détenus d’opinion haratines, Biram Dah Abeïd et Brahim Bilal.
C’est aussi l’occasion de souligner qu’El Hor mène une action nationale qui vise à produire les conditions propices au renforcement de la cohésion nationale, dans le respect réciproque des personnes et de leurs intérêts. Nous prêchons pour une Mauritanie ouverte à tous les Mauritaniens, sans distinction aucune. Nous restons convaincus que cela ne peut se réaliser que dans le respect des droits.
– La lutte contre l’esclavage ou ses séquelles a conduit au Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des Harratines. Ce manifeste a organisé deux marches ayant bénéficié d’un large soutien des patriotes mauritaniens. Quelle est la prochaine étape de votre mouvement ?
– C’est vrai, nous avons organisé et réussi des marches sensationnelles. Nous avons prouvé notre force de mobilisation. Mais, demain, nous pouvons prouver notre capacité de nuisance. Notre objectif, aujourd’hui, est de faire entendre la voix de Haratines et de sensibiliser l’opinion nationale et internationale, sur leur cause et leur juste combat.
– Ne pensez-vous pas que le gouvernement actuel a franchi de grands pas, dans la lutte contre l’esclavage, en mettant en place un important arsenal juridique et diverses structures, comme, entre autres, l’agence Tadamoun ? Ne trouvez pas l’espace trop éclaté – trop d’organisations – pour mener efficacement et gagner le combat contre les pratiques esclavagistes et l’exclusion ?
– L’Agence Tadamoun n’est qu’une nouvelle farce et duperie. Il s’agit d’un fourre-tout, qui s’occupe de tout pour ne s’occuper de rien. Dans notre conception ou vision des choses, cette agence devrait se focaliser sur les problèmes spécifiques des Haratines, visant leur développement et le retard qu’ils subissent. Or c’est précisément outre cette mission que Tadamoun passe.
Propos recueillis par DL