« La démocratie, c’est de la mécréance ! »reconnaissent les Salafistes mauritaniens, conformément à leur conception. Mais la fin justifiant les moyens, ils comptent passer par le truchement du jeu démocratique, perçu comme un mal nécessaire, pour conquérir le pouvoir et asseoir leur domination politique.
Seulement, les autorités mauritaniennes semblent foncièrement opposées à l’idée d’un parti salafiste. La première activité qui vient d’être menée par le mouvement, sous forme de conférence de presse, a été interdite. Le Front de l’Authenticité et de la Réforme, un parti salafiste, vient de réitérer son appel pressant en direction des autorités pour que le processus de reconnaissance de sa formation politique soit accéléré.
Ses concepteurs se disent impatients de recevoir leur récépissé d’autant qu’ils ont déposé depuis plusieurs mois un dossier complet auprès des services du ministère de l’Intérieur pour la légalisation de leur parti. Dans un communiqué diffusé vendredi 19 juin dernier, ils se sont dits engagés à défendre leur droit à l’exercice politique au service du peuple mauritanien et de la nation.
Les Salafistes considèrent que l’interdit par les autorités de la première conférence de presse qu’ils avaient voulu organiser, est contraire à la Constitution et viole le droit aux libertés publiques.
En effet, le préfet de Tevragh-Zeine avait interrompu, le mardi 16 juin dernier, une conférence de presse que le parti salafiste en gestation, s’apprêtait à animer dans un hôtel de Nouakchott. Depuis, les militants de cette formation n’arrêtent pas de s’investir pour la tenue de cette conférence.
Faut-il rappeler que c’est en 2014 qu’un groupe de Salafistes avait entamé les démarches administratives pour la reconnaissance d’un parti politique, laquelle allait leur servir comme cadre légal et institutionnel. Cette formation politique serait d’ores et déjà soutenue par d’éminentes personnalités islamiques, à l’image de l’imam de la mosquée saoudienne, Ahmedou Ould Habibourrahmane et Mohamed Lemine Ould Hassane.
Salafisme et démocratie
Paradoxalement, le Front de l’Authenticité et de la Réforme, cheval de Troie politique des Salafistes mauritaniens pour accéder au pouvoir, se veut un parti politique particulier. Sa mission s’achèvera certainement le jour où ses concepteurs auront remporté le scrutin présidentiel.
Dans les faits pourtant, les Salafistes ne semblent pas croire à la démocratie, ni à l’alternance politique au pouvoir. Un de leurs idéologues disait qu’avec eux « les Mauritaniens ne voteront plus jusqu’au jour du Jugement dernier ».
En effet, pour les Salafistes, la démocratie est de la mécréance, un concept impie fabriqué par les Occidentaux. Ils sont également foncièrement opposés aux libertés, au principe de séparation des pouvoirs (Exécutif, Législatif et Judiciaire), à l’égalité entre les hommes et au respect genre, à l’enseignement et au travail des femmes, à toutes les formes de culture, la musique, la peinture, la danse, la poésie mondaine, etc.
De l’avis de certains citoyens, « l’Etat prôné par les Salafistes est un Etat théocratique, bâti sur les châtiments corporels, le seul aspect qu’ils retiennent de la Chari’a, couper la tête des meurtriers, couper la main des voleurs, lapider les femmes adultères… »
« Avec le pouvoir des Salafistes, le Stade Olympique de Nouakchott pourrait se voir transformer en arène des horreurs, là où s’exécuteront toutes les sentences publiques, une fois que le sport de masse mourra de sa triste mort » observe un jeune Rappeur interrogé à propos.
Ainsi, à l’instar des pays du Maghreb, notamment la Tunisie, où le mouvement salafiste prend de l’ampleur, la Mauritanie compte épouser le mouvement. Pourtant, le salafisme n’est pas un phénomène nouveau dans le pays. Son émergence daterait des années 80 avec les premiers pétrodollars du Golfe arabique notamment l’Arabie Saoudite.
Le rôle des Saoudiens dans la propagation du fondamentalisme religieux a été d’ailleurs perçu très tôt comme un danger par les autorités mauritaniennes qui avaient fermé à l’époque le centre culturel saoudien, véritable nœud gordien d’un mouvement d’endoctrinement et de financements occultes des premiers germes du salafisme radical. Pendant des années, le salafisme et l’islamisme seront combattu par le régime de Ould Taya qui avait asséché les sources de financement et persécutés leurs leaders.
Mais agissant en plusieurs paliers et grâce à des armées de relais, les financements continuaient à déferler, alimentant un réseau de groupuscules pour la prêche qui allait infiltrer les couches les plus vulnérables de la population, en l’occurrence les masses pauvres, les Haratines notamment, plus perméables à l’égalitarisme prêché par ce nouvel Islam.
Aujourd’hui, les Burkas, les tuniques afghanes, les longues barbes et les têtes enturbannées à queue de cheval, ont plus pénétré le tissu social dans les périphéries de la capitale que dans les quartiers chics et huppés de Tevragh-Zeine. Le Salafisme compte aujourd’hui une importante base sur laquelle il peut bâtir son schéma politique si les conditions les lui permettraient.
La Mauritanie, salafiste
L’échec de toutes les politiques de développement jusque-là menées par les différents pouvoirs qui se sont succédé en Mauritanie, la corruption des élites, la prégnance de l’injustice sociale, l’autoritarisme de classe, constituent autant de terreaux nourriciers pour le Salafisme religieux.
Celui-ci vend à ses adeptes la cité idéale de Médine et l’idée d’un retour à la pureté originelle de l’Islam. Ses leaders par la force de leur rhétorique offrent ainsi aux masses de plus en plus nombreuses qui adhèrent à leur prêche, l’idéal d’une société égalitaire et simple.
Mais par delà l’idée largement partagée d’une Mauritanie islamisée, plusieurs courants se disputent le terrain politique A côté de l’islam politique, se développe un salafisme politique qui se heurte à un salafisme djihadiste qui prône l’accès au pouvoir par la violence militaire.
Par sa radicalité outrancière, le salafisme est aussi par essence « Takfiriste »dans sa lecture religieuse. Ainsi, à l’Islam sunnite, modéré, tolérant et soufiste qui a toujours été en vigueur en Mauritanie, suppléé peu à peu un Islam radical et intolérant. Or, la force de ce dernier mouvement s’amplifie d’année en année.
Plusieurs observateurs n’écartent pas ainsi l’idée que la Mauritanie puisse devenir un jour, un Etat salafiste, avec la disparition des idéologies politiques classiques et l’émergence d’une société plus assoiffée de dogmes religieux.
Cheikh Aïdara
Source : L’Authentique (Mauritanie)