« Cridem vous présente un premier jet des « bonnes feuilles » d’un grand ami du site, très au fait des problèmes délicats du pays. »
I-Le passé qui préparait l’avenir
Il y a très longtemps, ceux qui faisaient la politique dans ce pays avaient des motivations uniquement patriotiques sous tendues par des idéaux de justice sociale, de meilleure conduite des institutions de l’Etat, de recherche d’une politique étrangère souveraine, d’optimalisation des retombées de notre potentiel économique.
Aucune pensée relative à la carrière personnelle, aux règlements de compte entre personnes ne venait assombrir cet idéal. L’engagement était total, le choc frontal mais les codes d’éthique étaient respectés par tous les protagonistes mêmes ceux qui, à l’époque, étaient taxés de gauchisme.
Le paysage politique d’opposition comptait à l’époque : Le mouvement national des ressortissants de la Vallée, les baathistes, les nassériens et le MND originel qui avait des liens avec l’opposition traditionnelle au régime. Celle-ci était composée d’hommes de toutes les ethnies et régions du pays et ses animateurs étaient plus âgés que notre génération.
L’opposition et le pouvoir avaient chacun des programmes écrits très élaborés qu’ils proposaient aux citoyens. Le pouvoir le faisait par la voix officielle de son parti et sa presse. L’opposition avait ses cellules, sa presse clandestine, ses relais à l’intérieur du pays et ses manifestations. Aucune des parties n’avait de rancune individualisée vis-à-vis de l’autre. Les liens sociaux et les amitiés personnelles étaient maintenus malgré la diversité des opinions. Chacune des parties respectait l’autre.
Pour consolider l’unité du pays et convaincu que certaines propositions de l’opposition étaient pertinentes, Le Président Moktar, paix à son âme, décida, malgré les réticences d’une partie de son camp, la révision des accords avec la France en 1972, la création de la monnaie en 1973 et, finalement, la nationalisation de la Miferma et de la Somima en 1974. Il mauritanisa 70 % du capital de la BIMA, première banque du pays détenue par un actionnariat étranger. C’était en 1975.
Il est évident que dès la révision des accords en 1972, la création de la monnaie et surtout la nationalisation de la Miferma et de la Somima, l’opposition, qui s’opposait par idéal, commença à reconnaitre les bienfaits de telles réformes pour le pays. Le dialogue s’engagea entre les deux parties avec respect et détermination, sans marchandages d’aucune sorte.
Certes, quelques cadres de l’opposition étaient réticents, pas parce qu’ils considéraient que les décisions n’étaient pas pertinentes mais simplement parce qu’ils jugeaient que les prémices d’une future guerre au Sahara annihileraient les effets positifs des réformes entreprises. Personne ne pouvait les blâmer pour ces appréhensions raisonnables mais la guerre n’était pas encore déclenchée et tout le monde espérait une issue heureuse au problème du Sahara.
Les négociations engagées portaient uniquement sur les thèmes politiques. Jamais l’aspect relatif à des places n’a été évoqué ni directement ni indirectement. Après les négociations et sans concertation, le Président coopta un universitaire de l’opposition, surtout pour renforcer le groupe qu’on appelait alors « les techno » qu’il avait déjà au sein de son gouvernement.
L’administration publique fut ouverte à toutes les compétences d’où qu’elles viennent. Le 10 juillet 1978, l’intelligentsia du pays était essentiellement composée des cadres du régime déposé et des groupes idéologiques qui avaient une grande expérience de la lutte politique et disposaient de structures organisationnelles rodées.
Si j’ai voulu faire ce rappel historique, c’est surtout pour marquer la profondeur de la rupture mentale entre cette période – où les hommes étaient uniquement mus par des idéaux pour le pays – et celles qui vont suivre – beaucoup moins glorieuses – et qui seront entachées par le reniement des idées généreuses, le délabrement des mœurs politiques et administratives, le repli sur des concepts primaires d’ethnies, de tribus, de régions.
Elle sera marquée par toute une culture nouvelle qui surprendra plus d’un et en premier lieu les classes moyennes et un peuple auxquels nous avons fait miroiter un monde meilleur.
Jusqu’aujourd’hui, ils n’ont jamais compris ni la rapidité de notre métamorphose, ni notre nouvelle propension au pillage à ciel ouvert, ni notre participation au dévoiement des structures de l’Etat de leur noble mission de services publics et finalement notre engouement nouveau – et sans limite – pour cet « argent roi », que nous méprisions tant et qui est devenu tout d’un coup la seule finalité dans la vie. Il nous fallait désormais l’avoir et à n’importe quel prix.
Les premiers à avoir murmuré aux oreilles des militaires leurs premières décisions malheureuses ce furent bien nous qui étions les anciens porte-étendards des grands idéaux, les défenseurs de la veuve, du pauvre et de l’opprimé.
Puisqu’ils buvaient nos paroles et puisqu’on était leurs « souffleurs » attitrés pourquoi n’avons-nous pas essayé de prime abord de leur conseiller la consolidation des acquis légués, la redynamisation de l’administration publique et profiter de la crainte qu’ils inspiraient à l’époque pour instaurer la bonne gouvernance et la démocratie qu’ils s’étaient engagés à promouvoir ?
Je me souviens que le premier conseil que certains ont donné au Premier président militaire, homme intègre, patriote et digne, était un décret qui changea la numérotation des régions pour revenir aux noms à connotation régionale: Hodh, Trarza, Zemmour etc. Après ce décret, ce fut le retour rapide et irrévocable à un passé que nous avons mis des années à combattre avec des succès probants.
Sur ce plan, notre politique et celle du régime déposé se rejoignaient. Depuis cette date, chaque tribu, puis plus tard chaque région, a commencé à réunir tous ses chefs traditionnels et ses cadres qui établissaient leur plateforme revendicative que le plus en vue des notables devrait transmettre au chef de l’Etat, en insistant surtout sur le caractère urgent des nominations demandées.
Peu importait la compétence des postulants pourvu que la région soit bien représentée. Le poste était souvent spécifié alors qu’il peut être occupé par un cadre qui n’a pas démérité mais dont le « tort » est d’appartenir à une autre région. Voilà comment commença la fin de la défense des intérêts des masses déshéritées, de la lutte contre le tribalisme, le régionalisme, le sectarisme et le combat pour le renforcement de l’unité nationale.
Cette attitude s’est doublée d’une mise dos à dos des ethnies, des régions et des tribus avec une dose d’ostracisme rarement atteinte dans le pays, presque une chasse « aux sorcières ». Historiquement, il faut avouer que peu de cadres de la Vallée ont participé à cette phase de déstructuration collective de l’Etat. Cela arrivera plus tard.
Chaque groupe idéologique commençait à faire le décompte des officiers qui peuvent avoir pour lui des sympathies anciennes ou nouvelles. Il réunissait tout son monde et choisissait un membre du comité qui serait son mentor.
La guerre des anciens groupes idéologiques commença avec ses effets parfois pervers sans que les officiers très peu avertis de la chose politique ne comprennent que leur perte de cohésion n’est pas due à des problèmes inhérents à eux mais qu’ils sont manipulés par des forces extérieures qui veulent, chacune, contrôler une parcelle du pouvoir. Les limogeages, les radiations commencèrent. Les observateurs avertis comptaient les coups.
Tout le temps que dureront les régimes militaires, les anciens groupes idéologiques sont restés leur interface visible ou cachée. Leurs gourous que le lexique politique de l’époque appelait les « notables » siégeaient dans tous les gouvernements. Leur présence était très visible dans toutes les activités à caractère politique.
Malgré leur cooptation dans les sphères de décision et leur adaptation au contexte nouveau, avec ses mœurs morales et politiques, ils ont continué à se livrer des guerres intestines où tous les coups sont permis. Pendant que certains sont condamnés à la prison à vie, radiés ou en résidence surveillée, les autres étaient sans gêne sous les lampions de la République. Seule une partie du groupe nationaliste de la Vallée avait accompli sa rupture définitive avec les régimes successifs et a préféré l’exil.
Une précision s’impose : En relatant ce processus, je ne cherche nullement à absoudre les erreurs des militaires – et Dieu sait qu’elles ont été nombreuses – mais surtout pour dire qu’ils n’en sont pas les seuls responsables. Ils ont toujours bénéficié de nos « conseils avisés ». Nous étions par rapport à eux des gens rompus à la politique, capables de concevoir des stratégies propres à ce genre de groupes dans tous les pays où ils existent: Nos méthodes sont d’une efficacité redoutable pour noyauter, désinformer ou discréditer un régime, un groupe ou lyncher une personne.
A suivre : Le Viol des foules par la propagande.
Source : Bs Bouleiba via Cridem