Mohamed ould Abdel Aziz : un cas d’école/ par Ely ould Krombelé

Il serait aujourd’hui aux Émirats Arabes Unis, en Turquie ou à Marrakech,  en train de se la couler douce sans aucun problème d’argent, ou simplement en digne fils à Las Palmas, soulageant sa sœur Mana mint Abdel Aziz d’une présence prolongée auprès de leur vieille mère malade depuis de longs mois, son cas n’aurait attiré l’attention que de  quelques rares mauritaniens.  Je veux dire ceux qui ont sans doute un compte à régler avec lui. Dans sa globalité, l’opinion nationale aurait même pensé que « l’ancien Président se repose » de ses deux mandatures aux résultats mitigés. Las !  Mohamed ould Abdel Aziz a choisi le tremplin le plus ubuesque pour écrire son épitaphe : la surenchère verbale. Comme tous les hommes impérieux, voire mégalomanes, à l’instar de Napoléon Bonaparte ou, plus près de nous, Saddam Hussein, Aziz risque de finir dans un bagne, la corde au cou étant un supplice impensable en République Islamique de Mauritanie sous le magistère du très modéré Mohamed ould Ghazwani. L’on constate que le point commun, entre les mégalos, c’est de ne pas savoir prendre  le rendez-vous opportun avec l’horloge de l’Histoire. Malgré de nombreuses victoires éclatantes et surtout des défaites cuisantes qui ont toutes  ensanglanté  l’Europe, « de l’Atlantique à l’Oural » comme aimait dire de Gaulle, Napoléon ne s’est jamais satisfait de son palmarès. Suite à une coalition menée par Londres, l’empereur se retrouva prisonnier et envoyé sur une île anglaise au milieu de l’Atlantique jusqu’à sa mort, en Avril 1821, dans l’indifférence et le dénuement, après avoir été un temps le maître du Monde. Mohamed ould Abdel Aziz n’a pas voulu non plus savourer  les dividendes de son trésor amassé et profiter du crédit que lui confère la Constitution en tant qu’ancien président.  À l’apaisement, il oppose la confrontation. Stratégie ou fuite en avant?

 

Hasard ou nécessité…

Avoir dirigé la Mauritanie plus de dix ans durant, doit-on ici invoquer le hasard ou la nécessité ? Hasard ou nécessité d’avoir été promu officier en 1980, avant de gravir tous les échelons de la hiérarchie jusqu’au grade envié de général où de brillants militaires de carrière n’ont pas eu accès ? Dans le cas d’Aziz, point besoin d’interroger l’oracle. C’était écrit, n’est-ce-pas ? Un seul exemple édifiera les sceptiques, celui de Penda. Son histoire prouve que le hasard n’est souvent qu’un  scandale de l’esprit scientifique et que les phénomènes de la Nature sont constamment régis  par un déterminisme dont nous ignorons les causes ; les mêmes causes produisant les mêmes effets.

La brave Penda Camara était assise auprès de son mari assoupi sur un canapé, leurs deux enfants regardant la télé. La dame se dit soudain qu’elle avait le temps d’aller rendre visite, avant le coucher du soleil, à sa vieille mère habitant au quartier SOCOGIM PS. Et de prendre donc sa voiture. La voici du côté de l’état-major de la Garde nationale. Un vent violent se lève et arrache une vieille tôle d’une vieille  maison  abandonnée. Virevoltant, le zinc achève sa course sur le pare-brise de la voiture de Penda, éclatant celui-ci et blessant celle-là au cou. Hasard… ou nécessité, Aminata Touré, une amie de Penda, passe dans sa voiture, reconnaît l’infortunée, gare son véhicule et, après avoir fait sortir son amie de sa Renault Mégane, la transporte aussitôt à l’Hôpital national de Nouakchott…

À quoi attribuer un tel scénario ? Épluchons les faits : psychologique, le déterminisme qui poussa Penda Camara à se déplacer ; météorologique, celui qui souleva le vent à l’instant t où la voiture de Penda s’approchait de la maison abandonnée : pour qu’un vent souffle, il lui faut des conditions atmosphériques spécifiques. Physique enfin, celui qui amena la tôle virevoltante à éclater le pare-brise de la voiture de Penda : simple obéissance à la loi de la chute des corps ou attraction terrestre, tous les corps tombent, même les avions qui volent y sont soumis. Ainsi  le cas de madame Camara était écrit : ghadarou Allah, dirons-nous, musulmans. Tout comme celui de Mohamed ould Abdel Aziz. Nul n’échappe à son destin, « nous ignorons les causes par lesquelles nous sommes déterminés », commentait Spinoza, tandis que Kant évoquait le « réalisme empirique fruit d’un idéalisme transcendantal », d’où nous tirons, nous musulmans, l’idée d’un Dieu absolu, « Le Dieu » –  Allah – à l’origine de tout ce qui nous arrive.

 

À la différence de Frankenstein…

À la différence de Frankenstein qui cherche à se venger de son créateur, Mohamed ould Abdel Aziz veut plutôt anéantir « sa doublure » qu’il déteste, synonyme qu’elle lui paraît de tout ce qui est contraire à sa vision manichéenne du monde mettant en scène les élus et les niais du parterre ; autrement dit, les dominants (comme lui) et les dominés. Cette position passe ipso facto par un masochisme qui  engendre la souffrance,  voire l’humiliation de soi, mais à l’insu de l’intéressé, « un malade qui s’ignore », compte tenu du dédoublement de sa personnalité. Peut-il en être autrement ? Quand on a longtemps surfé sur l’Olympe, satisfait son ventre et sa libido, amassé beaucoup d’argent, passé le flambeau à son successeur, le seul crédit, pour un homme sain d’esprit, c’est, à mon avis, de « fuir » loin des vacarmes, vivre « là où tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté », selon l’expression romantique de Baudelaire. Mais Aziz n’a rien voulu de tout cela et l’alibi « sauveur du peuple égaré » n’est qu’un des multiples  travestis aussi mensongers qu’abjects d’une condescendance qui ne trompe plus personne.

Pour dire vrai, Aziz  porte en lui les ingrédients de sa propre destruction, liée sans doute aux circonstances de son enfance… Voilà le mot lâché ! C’est au sommet de la gloire que les traumatismes liés à une enfance malheureuse, voire adolescence perturbée, longtemps refoulés dans le magma de l’inconscient, surgissent à la conscience claire, en se manifestant dans des troubles comportementaux. Bel et bien trouble en effet, l’envie de Mohamed ould Abdel Aziz de vouloir rester sous les rampes de l’actualité, encore et encore. Trouble, l’envie  de vouloir jouer un rôle de premier plan, après avoir concédé la magistrature suprême à un président désormais élu. La plupart des êtres humains qui ont connu une enfance difficile développent des complexes post-traumatiques qu’ils essayent de combler par des besognes matérielles ou des caprices d’enfants, comme un ranch d’animaux, alors que le peuple alentour manque de d’eau. Il est rare qu’un enfant malheureux « parvenu au sommet » reste en bons termes avec ses amis d’enfance, ceux qui l’ont vu grandir. Au contraire, il fera tout pour les éliminer de sa conscience car ils lui rappellent des souvenirs douloureux. Devenu « célèbre en acte »,  l’enfant « malheureux en puissance » sera porté soit sur l’argent, soit sur le pouvoir, soit  les deux. Et le plus souvent dominé par sa femme, même au plan libidinal. Il aura tendance à détester ses parents, comme pour leur dire : « voilà, j’ai fait mieux que vous, vous qui fûtes incapables de m’offrir une enfance heureuse, j’ai manqué de tout ». Quant à la religion qui n’est pas son fort, c’est juste encore un autre trompe-l’œil…

Les pouvoirs publics doivent donc se méfier, à l’avenir,  de porter à la tête de nos institutions régaliennes que sont la magistrature suprême, les ministères de souveraineté, les forces armées et de sécurité, des mauritaniens qui veulent se servir ou assouvir leurs instincts et non servir la Nation. Une attestation d’un psychologue – mieux, psychanalyste de renom – doit accompagner toute nomination d’un candidat ou prétendant.

 

Aziz ne cédera pas

Je n’ai jamais imaginé cette saga en venir à perturber la vie politique mauritanienne. En 2019, j’ai cru Aziz sorti gagnant, après avoir passé le relais à son ami Ghazwani. Mais j’oubliais qu’on ne moule pas un homme de deux façons différentes. Car l’idiosyncrasie (caractères inné et acquis) de Mohamed ould Abdel Aziz n’est portée que sur deux topiques : l’argent (qu’il ne dépensera jamais, même pour un enterrement) et la confrontation (dont il se nourrit). Il serait inimaginable de le voir au bas de la passerelle d’un avion accueillir Ghazwani en chef d’État, cet homme qu’il pense « avoir fait de toutes pièces ». Ce qui excite mon ami  Aziz, ce n’est pas l’amour qu’il prétend porter au peuple mauritanien. Non, c’est beaucoup plus prosaïque que tout ce que vous pouvez imaginer. Aziz a seulement dû voir deux budgets successifs (2020 et 2021) distribués sans qu’il n’y soit associé. À ses yeux, tout doit lui venir de l’État et voir des « minables se partager l’argent du peuple », sans qu’il n’ait, lui, sa part, cela le met dans tous ses états ! Pauvre Mauritanie aux mamelles intarissables…  On ne le dira jamais assez à propos de ceux qui saignent leur peuple : la descente en enfer d’Ould Abdel Aziz doit servir de leçon à tous ceux qui, au-delà de leurs budgets de fonctionnement qu’ils peuvent consommer à leur guise (quoique…), détournent sans vergogne les maigres ressources destinées  à l’eau, l’électricité, la santé et l’éducation, pour ne citer que  les quatre dimensions indispensables à tout progrès socio-économique d’un pays, quel qu’il soit.

 

Aziz n’est pas violent

Certains croient que Mohamed ould Abdel Aziz va utiliser les armes ou se permettre de payer des mercenaires pour reconquérir le pouvoir. Ils se trompent : il est incapable de répondre à une gifle qu’on vient de lui administrer. Il ne pourrait pas tirer sur un voleur en train d’emporter son magot. C’est aussi l’une de ses contradictions.  Car Aziz reste un cas d’école : en général, ceux qui détournent les deniers publics, autrement dit les voleurs, sont le plus souvent des poltrons. Ce n’est pas son cas. Impavide, téméraire,  c’est un fonceur… tant qu’il a les moyens de sa politique. Et tant qu’il avait des gens qui lui obéissaient au doigt et à l’œil. Il a toujours obtenu ce qu’il voulait d’hommes sans scrupules et obséquieux, de par la place qu’il occupait, d’abord en tant que chef d’une redoutable force de frappe (BASEP) et président de la République ensuite. Tout cela est fini. Il le sait. Et pousse en conséquence quelques plaintes sporadiques, en guise de baroud d’honneur.

Au plan politique, je le vois mal payer le loyer mensuel du siège du parti de Saad ould Louleïd, en plus de l’eau et de l’électricité… lâcher de l’argent pour les meetings, distribuer des sommes, aussi modiques soient-elles, aux militants… non, impossible. Tout doit venir de l’État, jamais sur les fonds « propres » de Mohamed ould Abdel Aziz. Quand l’argent entre dans sa « gabardine-bank », même les intérêts des clients n’en sortiront pas. Il est égocentrique, narcissique et n’aime que sa propre personne. Il se plaît à voir les autres souffrir, se complait en fauve quand il voit ses intérêts menacés. Cependant il  n’emprisonne que pour deux causes : argent en jeu ou mettre en exergue son ego surdimensionné. Quand il voulut contrôler l’UPR et donc jouer un rôle au sein de l’appareil d’État, le seul but était de savoir où allait l’argent. Aurait-il été à la tête du parti-État, même les dépenses du président Ghazwani auraient souffert de ses relents inquisiteurs. Toute sa libido est investie sur l’argent. Ha ! Le priver de milliards d’argent facile, c’est déjà l’assommer ! Saisir ses biens, c’est le tuer ! Point besoin d’assignation à résidence  ni bagne, la frappe au porte-monnaie suffira.

Enfin, Aziz n’est pas dangereux, il est incapable de tuer une mouche. Les biens du peuple mauritanien doivent être remis au Trésor public, de sa part et de celle de tous ceux qui l’ont aidé. Le  mettre en prison n’est point une sinécure pour le pouvoir en place. Car Aziz ne changera jamais, il est toujours resté, de sous-lieutenant à président, dans une logique de confrontation, et le restera toujours, là même où un homme normal fera profil bas.

Ne m’a-t-il pas traité d’ingrat, le mois de Mars passé, lorsque j’ai voulu le rencontrer pour le raisonner ? Et moi de répondre : « Aziz, c’est la première fois que j’entends cette insulte à mon égard. Si je  suis ingrat, je serais dans ce cas en bas de ta liste. Sûrement derrière tes ambassadeurs, ministres et directeurs de départements que tu as placés ; tes laudateurs et généraux que tu as propulsés. Ce n’est pas un petit salaire, obtenu d’ailleurs par l’entregent de Ghazwani en 2014 seulement et octroyé également à une dizaine de personnes dont certaines ne savent ni lire ni écrire, qui va m’empêcher de renoncer à mes convictions. Je suis citoyen mauritanien comme toi et j’ai droit à un salaire. Aziz, tu n’as jamais voulu associer tes vrais amis. Sinon, je t’aurais personnellement rappelé que tout ce que l’homme entreprend d’illégal peut se retourner un jour contre lui. Je ne t’aurais jamais poussé à faire du mal, à dilapider le patrimoine, à laisser tes proches s’enrichir illicitement, etc. J’allais te conseiller comment un chef peut tenir rendez-vous avec l’Histoire. Tu as préféré, au rigorisme, la médiocrité, les paillettes et l’hédonisme… voilà que tu finis comme Wangrin, le personnage atypique du sage Amadou Hampaté Ba. Mais, bon, je mets tous tes agissements au compte du dédoublement de ta personnalité. Moi, je ne souffre d’aucun trauma et j’ai déjà fait ma cure psychanalytique. Bonne chance, Aziz, qu’Allah te pousse à la raison ! Un ami qui ne te veut que du bien… encore faut-il que tu le veuilles pour toi-même.

   Ely ould Krombelé

France