L’aurore et les hommes : Sourates 113 et 114, les dernières du saint Coran (suite et fin)

Aux occasions dramatiques de ces événements depuis plus de cinq ans, les Français prennent conscience de leur spécificité. La laïcité n’est pas une culture de l’athéisme, mais celle du pluralisme et du service public : l’Etat, en France, n’a pas de religion ni d’idéologie. C’est assez unique : le président de la République, au contraire des Etats-Unis ou de l’Allemagne, ne prête pas serment lors de son investiture, et encore moins sur la Bible. La laïcité caractérise la République française. L’article 2 de la Constitution – qui est, en fait, son article 1 depuis la disparition de la Communauté proposée à l’Outre-Mer en 1958 – dispose que la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race, ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Seconde spécificité : c’est elle qui dans l’Union européenne compte le plus de Musulmans (5 à 6 millions) et de Juifs (500.000, (seconde diaspora dans le monde après celle des Etats-Unis, fort nombreuse). Elle est donc le plus à risque pour de possibles bi-nationalités : notamment la situation en Palestine et les abus et illégalités d’Israël.

Amalgame entre terrorisme et Islam

Ces semaines-ci montrent un attachement exemplaire des Français musulmans à la France et à la République. Les autorités du culte musulman ont même décidé la fermeture des mosquées ces trois jours-ci, à la suite de l’attentat dans la basilique Notre Dame de l’Assomption à Nice. Il n’y a que l’extrême droite et la droite de la droite qui font l’amalgame entre terrorisme et Islam, personne ne peut expliquer ces temps-ci les attentats par une organisation extraterritoriale. Après ceux nominativement ciblés ou de masse, signés Daech ? Ceux de maintenant à l’arme blanche, sont individuels, et s’attaquent à des symboles : enseignants, lieux de culte qui mettent le pays en légitime défense. Le lien français se resserre donc (1)

Quant à moi, ayant déjà lu le Saint Coran (en traduction française, mais plusieurs) et surtout ayant été accueilli à mes vingt ans, dans un pays 100% musulman, ayant vu prier et vivre des amis sincèrement croyants en Islam alors que je le suis en Eglise catholique, je sais que je peux prier avec eux, partager l’expérience d’une relation personnelle à Dieu. Très modestement, humblement et sans véritable connaissance, je rejoins les grands islamologues français – dont était féru le président Moktar Ould Daddah – Massignon, Lévy-Provençal, Monteil, Gardet, Blanchère, d’autres… Je me suis donné la joie d’offrir à Mariem Daddah, plusieurs années avant sa profonde conversion à l’Islam, la traduction du Coran en français par Régis Blachère. L’identité, le respect de l’autre… Moktar Ould Daddah était disposé à faire bénir son mariage avec une chrétienne (de gauche et magistrate) par un prêtre catholique – la « disparité de culte » est tout à fait admise par l’Église – et il fallut l’obscurantisme de l’évêque de Besançon pour que cela ne se fasse pas : le futur président de la République Islamique de Mauritanie n’était alors « rien »… Bien plus tard, il préféra à une relation diplomatique avec le Vatican, l’érection d’un diocèse dit de Nouakchott, donc la reconnaissance d’une communauté non-musulmane dans un pays dont tous les nationaux sont musulmans. Une forme discrète de laïcité, mais surtout l’ambition d’une participation de tous à la construction nationale. Je viens tout le contraire d’un ministre algérien (2) conseillant à ses compatriotes l’exil s’ils sont mécontents du referendum constitutionnel.

La France est d’autant plus accueillante que c’est elle qui a refusé qu’en tête du traité européen actuel soient évoquées « les racines chrétiennes de l’Europe « . Ainsi, tous peuvent se fondre dans une histoire aussi multiple que commune, et qui dans les enseignements en France doit désormais – et vite – intégrer l’Histoire nationale des nouveaux arrivants chez elle, même si celle-ci peut contrarier l’officialité régnante du dernier siècle. Là est le devoir français. Mais il y a le devoir et l’urgence pour tous les hommes en ce temps des guerres civiles, des immenses migrations et du défi climatique, d’une pandémie encore sans antidote. C’est ce qu’ont compris les grands chefs religieux, lançant ensemble, depuis le Capitole de Rome, le 20 Octobre, un appel pour la paix (3). A la tête des catholiques, le pape François publiant sa grande lettre encyclique sur la fraternité et l’amitié sociale, écrivait, le 3 Octobre : « je me suis particulièrement senti encouragé par le Grand Iman Ahmad Al-Tayyeb que j’ai rencontré à Abou Dhabi pour rappeler que Dieu « a créé tous les êtres humains égaux en droits, en devoirs et en dignité, et les a appelés à coexister comme des frères entre eux ». Il y a un précédent, l’accueil de saint François d’Assise en Juin 1019, en pleine croisade, par le sultan Malik al-Kâmel, neveu du grand Saladin. Un autre pape, Jean Paul II, a placé notre siècle sous le signe de la miséricorde, selon un appel précis reçu par une religieuse polonaise. Et ce sont les musulmans qui savent depuis toujours : ‘‘Ma Miséricorde embrasse toute chose’’. Et hadith qudsî  :« Ma Miséricorde l’emporte sur Ma colère. »

            Un siècle spirituel

André Malraux, l’aviateur volontaire contre Franco, pendant la guerre civile espagnole, puis contre Hitler dans l’escadrille Normandie-Niemen, compagnon de la Libération, et ministre du général de Gaulle pendant tout l’exercice du pouvoir par celui-ci (1958-1969), a dit peu avant sa mort : le XXIème siècle sera spirituel. En 1976, il avait participé à l’indépendance du Bengladesh, musulman, vis-à-vis du Pakistan, lui aussi musulman et ayant fait sécession, pour cela, quand prit fin la domination britannique sur les Indes : religion et politique, mais l’homme ? Gandhi, Mandela, Lincoln, Martin Luther King, l’abbé Stock, l’albanaise Térésa… L’œuvre selon la foi, et grâce à elle, transformant le monde mais ne tuant personne…

La France m’en semble exemplaire chez elle : les assassinats d’un prêtre octogénaire, le Père Hamel à Saint-Etienne du Rouvray dont la mémoire demeure et maintenant de trois personnes priantes dans la basilique Notre Dame à Nice, montrent l’extraordinaire unisson des Français musulmans avec les Français, catholiques ou non. La communion citoyenne, le sentiment d’appartenance française sont manifestes : des racines différentes forment le même grand arbre. Le débat politique, extrêmement outré en ce moment, est de plus en plus éloigné de la réalité, de la vérité et du souhaité. Tandis qu’à ces niveaux, on dispute de nouveaux textes, de soi-disant séparatismes et de retour forcé à des pays d’origine – tout ce qui méconnaît la tradition unitaire et intégrante française – la preuve s’administre chaque jour dans toute la sphère publique d’une réussite sans nom. Vie des « quartiers », radicalisation et les éventuels terreaux du terrorisme sont l’affaire de tous, sans distinction de de convictions d’aucune sorte : quelque chose l’emporte que les drames subis par la France, peut-être plus que d’autres pays européens, n’empêchent pas, mais au contraire renforcent. L’Islam en France tient autant, et probablement plus, que toute autre confession religieuse, à ce que se maintienne et s’enrichisse la France, une France se sachant et se voulant composite et une en même temps.

 

 Bertrand Fessard de Foucault, alias Ould Kaïge

1er et 2 Novembre 2020

(1) – Nous traversons des épreuves très difficiles et chaque mot a une résonance considérable. Je regrette que l’une de mes expressions au sujet des caricatures ait pu choquer certains. Le fait d’avoir évoqué un possible renoncement à certains droits pour préserver la fraternité est une maladresse sur laquelle je souhaite revenir, m’expliquer et rappeler par la même occasion ma position sur lesdites « caricatures du prophète Mahomet ». D’emblée, je tiens à réaffirmer avec force qu’évoquer la publication ou la diffusion des dites « caricatures de Mahomet » pour expliquer un acte de terrorisme, justifier l’assassinat d’un Homme, proférer des menaces ou appeler à la vengeance sous quelle que forme que ce soit est en soi une profanation et une trahison du message du prophète lui-même. Le Prophète de l’islam (PBSL) a toujours ignoré les insultes le visant, n’a jamais cédé à la provocation ou tolérer les actes de vengeance. Dès lors, il est indécent et indigne de s’interroger sur ce qu’a pu montrer notre compatriote Samuel Paty à ses élèves pour qu’une meute d’extrémistes jette son nom à la vindicte et provoque son assassinat lâche et barbare. La loi de la République qui est notre règle commune autorise la caricature et la considère comme un mode d’expression libre. Par nature, ce mode d’expression a pour objectif de moquer, de provoquer et de tourner en dérision même ce qui est sacré aux yeux de certains. Les musulmans de France, comme d’autres, peuvent ne pas aimer les caricatures et user de leur droit d’être critiques à leur égard. Cela doit être fait avec la plus grande vigilance. Nous devons être conscients du risque qu’une expression non maîtrisée puisse alimenter une posture victimaire aux conséquences néfastes. Les assassinats commis dans notre pays et en Europe en lien avec les caricatures, et dont les auteurs prétendaient défendre l’islam, doivent nous le rappeler. Aussi, j’invite les musulmans de France à méditer cette tradition musulmane rapportant qu’au passage du prophète Muhammad (PBSL) devant une foule, certains ont crié « Ô Mudammam » (mot arabe signifiant le détestable). Le prophète (PBSL) continua son chemin sans réagir. Certains de ses compagnons ont voulu attirer son attention sur ces cris, il se contenta de leur dire : « ils s’adressent à « Moudammam », moi, je m’appelle Muhammad ». Nous pouvons mentionner également le verset coranique : « Nous savons bien que leurs dénigrements t’oppressent le cœur. Célèbre donc les louanges de ton Seigneur et sois du nombre de Ses adorateurs ! » (Coran 15 : 97-98). N’est-il donc pas plus conforme à ces traditions que de prendre la distance utile et nécessaire face aux caricatures, en les ignorant et en les considérant comme sans aucun rapport avec le Prophète ?  – Mohamed Moussaoui, président du culte des musulmans de France . 28 Octobre 2020 – oumma.doc

(2) – le ministre de la Jeunesse et des Sports, Sid Ali Khaldi «Nous allons construire un Etat conforme à la déclaration du 1er Novembre, un Etat démocratique et social dans le cadre des principes de l’islam. Pour la première fois depuis l’indépendance, nous avons constitutionnalisé la Déclaration du 1er novembre et le hirak populaire. Et celui qui n’est pas content n’a qu’à changer de pays», déclare-t-il, insistant même sur l’invitation à «changer de pays» en la répétant à deux reprises. Al Watan

(3) –  Aujourd’hui, en ce temps de désorientation, frappés par les conséquences de la pandémie de la Covid-19, qui menace la paix en augmentant les inégalités et les peurs, nous disons avec force : personne ne peut se sauver tout seul, aucun peuple, personne ! Les guerres et la paix, les pandémies et le soin sanitaire, la faim et l’accès à la nourriture, le réchauffement global et le développement durable, les déplacements de populations, l’élimination du risque nucléaire et la réduction des inégalités ne concernent pas seulement chaque nation en particulier. Nous le comprenons mieux aujourd’hui, dans un monde plein de connexions, mais qui souvent perd le sens de la fraternité. Nous sommes sœurs et frères, tous ! Prions le Très-Haut afin que, après ce temps d’épreuve, il n’y ait plus « les autres », mais un grand « nous » riche de diversité. Il est temps de rêver de nouveau avec audace que la paix est possible, que la paix est nécessaire, qu’un monde sans guerres n’est pas une utopie. C’est pourquoi nous voulons dire une fois encore : « Jamais plus la guerre ! »Malheureusement, la guerre semble être devenue pour bon nombre de personnes une voie possible pour la solution aux différends internationaux. Ce n’est pas ainsi. Avant qu’il ne soit trop tard, nous voulons rappeler à tous que la guerre laisse le monde pire qu’il ne l’a trouvé. La guerre est une défaite de la politique et de l’humanité. Nous faisons appel aux gouvernants, afin qu’ils refusent le langage de la division encouragée souvent par des sentiments de peur et de manque de confiance, et qu’ils n’empruntent pas des voies sans retour. Regardons ensemble les victimes. Il y a tant, trop de conflits encore ouverts.