Breidleil: La position du Maroc au Sahara occidental constitue une menace pour la région toute entière

Breidleil: La position du Maroc au Sahara occidental constitue une menace pour la région toute entière Le grand penseur Mohamed Yehdhih Ould Breidleil a évoqué, dans un entretien exclusif accordé au département des recherches et des études relevant du Comité de rédaction d’El Portal Diplomático (Portail Diplomatique), les différents aspects du conflit au Sahara Occidental :

les dangers consécutifs à l’intransigeance marocaine et le blocage du Royaume d’une solution pacifique au conflit, l’horizon étroit de la présence française au Sahel et les relations entre les peuples sahraoui et mauritanien.
Ecrivain et illustre historien à dimension stratégique, Mohamed Yehdhih Ould Breidleil est un ancien ministre mauritanien et homme politique chevronné.

Il est l’auteur de nombreux ouvrages en arabe et en français sur les questions du monde arabe, le grand Maghreb arabe et l’Afrique, en particulier la région du Sahel. Ould Breidleil est l’un des pionniers de l’illumination intellectuelle qui ont éclairé le paysage culturel et médiatique de la Mauritanie après l’indépendance.

Il est également un penseur ascétique connu par ses positions progressistes et son plaidoyer pour les questions de libération. Il est diplômé de l’École Supérieure de Journalisme (ESJ) de Lille, France.

Elportaldiplomatico : Quels sont les effets directs de l’impasse persistante que traverse le conflit du Sahara Occidental sur la Mauritanie?

Mohamed Yehdhih Ould Breidleil: L’impasse persistante que traverse le conflit au Sahara occidental est un facteur constant de préoccupation. C’est comme un feu dont la flamme est éteinte, mais les charbons restent incandescents même sans cendres. La situation demeure susceptible d’une explosion destructrice, en une période où la région connait une pire et inédite conjoncture politique, économique et sociale. La véritable coopération économique et sociale et les projets communs sont paralysés, les échanges commerciaux et culturels insignifiants, et s’il y en a, ils sont formels, artificiels et sans continuité.

Bondissant sur cette situation – mais en vain – le Maroc tente depuis des années de créer – sous le parrainage de la France – une coopération avec l’Afrique subsaharienne, mais une telle manœuvre est en principe morbide et forcément vouée à l’échec sur le plan opérationnel, car une coopération avec l’Afrique qui ne débute pas avec des voisins proches, n’est pas du tout convaincante et ne durera pas avec le temps.

Il siérait plutôt au Maroc d’éliminer d’abord les facteurs de tension et les obstacles qui entravent la coopération avec ses voisins immédiats, de s’accorder soi-même et pour la région une occasion historique, à travers l’ouverture d’un nouveau et sincère portail au développement et la croissance, afin que la région du Maghreb arabe vive dans un climat de sérénité, de paix et de compréhension, et de penser par la suite, à la coopération et l’entente avec l’Europe et l’Afrique noire.

Le Maroc intimide désormais ses voisins et se trouve constamment en état de tension ininterrompu avec eux. D’un autre côté, il est complètement isolé comme une île entourée par les eaux de toutes parts. Sa relation avec le monde se limite en fait aux liaisons maritimes et aériennes. Un problème comme celui-ci, qui dure depuis des décennies, aurait nécessité une réflexion et un traitement de la part des responsables des affaires publiques au Maroc, du moins c’est ce que dicte l’abécédaire de la logique.

Le Maroc doit comparer ce qu’il récolte maintenant de l’état actuel de tension, et ce que les choses pourraient devenir un jour, avec un état de fraternité, d’entente et, de coopération avec tous ses voisins – y compris le Sahara occidental – et ces perspectives radieuses et fructueuses que l’avenir pourrait offrir si le Royaume accepte de mettre fin à l’état de tension dans la zone.

Mais la question exige une réflexion et une stratégie élevées à l’image de l’âme avec laquelle le général de Gaulle a affronté l’état de l’hostilité historique entre la France et l’Allemagne.

Après l’indépendance de l’Algérie, le général De Gaulle a déclaré : Maintenant, l’ère des empires coloniaux est terminée, et la période des grands conglomérats économiques a commencé (allusion au marché économique européen, qui était considéré avec une certaine réserve).

En effet, de Gaulle s’est rendu en Allemagne, et a décidé de tourner la vieille page avec son grand voisin, et que les deux pays soient la locomotive qui tire le Marché commun européen, puis l’Union européenne et par la suite l’Europe.

Depuis cette époque, l’Europe s’est stabilisée, grandie et s’est donnée des perspectives d’avenir réelles et rassurantes.

Malgré les différents présidents qui ont succédé à de Gaulle, et en dépit de leurs points de vue politiques et idéologiques divergents, aucun d’entre eux n’a jamais pensé un jour fausser cette approche, car tout le monde était conscient que cette option découle du fond de l’intérêt objectif de la France et qu’elle est dégagée de toute considération émotionnelle.

La Mauritanie se trouve dans l’impasse prévalente depuis des décennies sur la question du Sahara Occidental. Elle est une victime collatérale: ses échanges et sa coopération avec ses voisins du Nord sont tous paralysés, et pire que cela, le problème est que ses relations avec le Maroc sont dans une situation que l’intéressé ne peut trancher si elles existent réellement ou si le Maroc ne voit pas la nécessité d’en prendre soin.

Des éléments conjugués ont continué à miner les liens entre le Maroc et la Mauritanie: certains sont intrinsèques au dilemme du Sahara et la sclérose de la région dans son ensemble, et d’autres proviennent peut-être du fruit des vestiges d’une vision d’infériorité de la part du Maroc à l’égard de la Mauritanie.

Elportaldiplomatico : Quel rôle la Mauritanie peut-elle jouer dans le règlement des conflits?
MYOB : L’intérêt suprême de la Mauritanie se trouve sans aucun doute dans le règlement de ce conflit qui engourdit les capacités et constitue une menace à l’avenir.

Le rôle de la Mauritanie doit obligatoirement découler de ce fait. La logique et la réalité disent que la position suivie pendant des décennies n’a donné aucun résultat et même n’est appréciée par aucune partie. Fondamentalement, ce n’est pas une position de principe, mais plutôt une position politique.

En vérité, la position de principe ne peut pas être changée, tandis que la position politique est sujette à changement et peut être développée si elle s’avère erronée ou inutile.

Le bon sens dicte la cohérence de la position politique avec la position de principe, surtout si la position politique n’a produit aucun résultat.

La position de principe doit reposer sur un axiome connu par tout le monde, à savoir que les Mauritaniens et les Sahraouis sont un seul peuple, même s’ils se trouvent dans deux entités étatiques différentes.

Elportaldiplomatico : Les ambitions marocaines représentent-elles une menace pour l’Etat mauritanien?

MYOB : Il est désormais évident que la position du Maroc au Sahara occidental, son intransigeance et son rejet de toute solution raisonnable menace toute la région, fige sa croissance et rend son avenir vulnérable à une série de coïncidences dangereuses aux conséquences non souhaitables.

La première chose qui menace la Mauritanie est soi-même en raison de son lien intense avec le Sahara, de son chevauchement géographique et humain avec ce territoire.

Et nul n’ignore que toute perturbation et toute escarmouche – toujours possibles tant que la paix est interdite – peuvent avoir lieu à proximité des installations qui transportent le fer mauritanien. Alors qui peut affirmer que ces incidents ne se produiront pas sur l’un des sites sensibles qui s’étendent sur 650 km près du Sahara occidental et parfois à un kilomètre seulement de ces frontières?

L’arrogance du Maroc est peut-être due à ses relations avec les pays occidentaux, en particulier la France, mais le mirage de la dépendance absolue vis-à-vis de l’autre lointain, s’est manifesté plus d’une fois.

Comme il a été amèrement expérimenté par le Shah d’Iran et le maréchal Mobutu.

Après avoir été des enfants gâtés de l’Occident, les comptes internationaux et les intérêts occidentaux ont soudainement changé, les mettant à la merci impitoyable et avilissante du « démon trahison », sans susciter les pleurs ou les regrets de leurs voisins immédiats, après de longues années d’arrogance et de vanité.

Quelles sont les perspectives du dilemme auquel est confrontée la France – alliée sûre – dans ce qu’on appelle le Sahel? Cette impasse entrainera inévitablement des évolutions et des agissements pour les pays occidentaux qui ne sont peut-être pas perceptibles maintenant, mais qui se dissimulent sous les effets de l’ambigüité.

La France n’a plus devant elle que deux possibilités: soit elle abandonne l’Afrique noire, trainant ainsi que les queues de la défaite et de la déception. Ce qui représente une option dévastatrice pour sa réputation et sa place internationale, qui équivaut à la défaite dans le champ de Diên Biên Phu, ou elle comprenne une délivrance sur l’autre rive du Grand, participe avec sincérité et intégrité à la résolution de la crise du Maghreb arabe, dont elle est fondamentalement partie prenante, de s’offrir à travers le même élan, une sortie honorable en Afrique noire. La politique de la fuite en avant, que ce soit pour la France ou le Maroc n’est plus utile.

Ils ont expérimenté pendant de longues années la politique de la procrastination, et sont actuellement pris au piège entre une peur urgente et un espoir minime et ils ont été à chaque fois provoqués par un danger grave, qui ne cesse de croitre.

Elportaldiplomatico : Dans votre long article sur la question de l’Azawad, vous avez parlé du gâchis fait par la Mauritanie au soutien du peuple sahraoui. Pensez-vous que la Mauritanie se trouve maintenant face à une nouvelle opportunité?

MYOB : L’unique position possible dans la crise du Sahara Occidental pour la Mauritanie est de soutenir le peuple sahraoui. Cette occasion a toujours été disponible et le restera toujours, puisqu’il n’y a pas d’alternative objective à cette opportunité, que le peuple sahraoui, – les humains les plus proches des mauritaniens – est toujours dans son calvaire, quand est-ce que tu manifesteras de la compassion à un frère auquel tu n’as pas témoigné un soutien moral en temps de détresse?

Cela peut devenir plus urgent que jamais, dés lors où feindre d’ignorer et l’impartialité sont possibles face au conflit «Nakorny Karabakh», mais sont difficiles à justifier pour ce qui concerne le Sahara occidental.

Elportaldiplomatico : Quel rôle les élites mauritaniennes peuvent-elles jouer dans le renforcement des liens de fraternité et d’amitié entre les peuples mauritanien et sahraoui?

MYOB : Je pense, concernant, la question du Sahara Occidental, que les élites mauritaniennes, ont excessivement misé sur la possibilité de solutions internationales et se sont désengagées elles mêmes du devoir à ce sujet. En effet, les tentatives de règlement, avaient commencé par l’initiative de James Baker et se sont terminées par le souffle manifesté par l’envoyé spécial de l’ONU, l’ancien président allemand Horst Kohler, qui sont arrivés à la conviction d’une possible solution pacifique et juste à la question du Sahara occidental. Mais tout cela, n’est plus aujourd’hui qu’une illusion.

Il est parfois perceptible chez certaines élites mauritaniennes, une tentative de revoir leurs visions, mais la crise du Sahara Occidental est en fait une crise silencieuse pour la Mauritanie elle-même et il est très difficile de rester indifférent à son égard.

Quant à ce qui peut être fait, c’est beaucoup et varié. Il ne fait aucun doute que son point de départ est, d’une part, la prise de conscience que l’enjeu signifie le sort de toute une communauté et, d’autre part, le rejet du silence stérile.

Edité par El Portal Diplomático

Traduit de l’Arabe par Cridem

Source : El Portal Diplomático (Algérie)