La France ferme la dernière route aux esclaves du Sahara

En 1900 existait encore une voie de transport des esclaves africains à travers le Sahara ; cette route passait par la Libye.

L’officier CORNET a participé à la colonisation française du Tchad au début des années 1900. Il a résumé son aventure dans le livre AU TCHAD, que l’on peut consulter sur www.gallica.fr   Comme l’Angleterre au Soudan et au Nigéria, la France a stoppé la traite esclavagiste au Tchad. Voici des extraits des pages 25, 26, 27, 37, 38, 42, 78, 89, 95, 124, 126, 142, 155, 219, 220, 223, 238, 249, 259, 260, 274.

Le livre commence par décrire une razzia esclavagiste menée par des soldats du Ouaddaï (sultanat indépendant à l’époque, intégré à l’Est du Tchad actuel lors de la colonisation).

« Lors de la grande razzia de 1904, l’aguid Salamat en emmena des milliers [d’hommes] en captivité. Une partie de la population avait trouvé refuge dans la brousse épineuse et dense où les cavaliers ne pouvaient l’atteindre ; l’autre, moins heureuse, fut capturée dans les villages cernés brusquement, et ainsi qu’à Goulfé, jusque dans les mares où, comme des grenouilles, disaient en riant les vainqueurs, les païens s’étaient cachés, accroupis sous l’eau, leur tête noire dépassant seule la surface au milieu des herbes.

Aujourd’hui encore, de nombreuses ruines attestent que le pays ne s’est pas relevé complètement de cette terrible invasion ; beaucoup de villages incendiés n’ont pu être reconstruits ; la majeure partie de leurs habitants ayant disparu.

Qui dépeindra la tristesse de l’existence de ces pauvres gens perpétuellement sous la menace d’une invasion de pillards nombreux et bien armés, contre lesquels aucune résistance ne leur est possible ? La fuite même est difficile devant des cavaliers arabes, bien montés, parcourant hardiment, pistolet au poing, ces pays païens « Kirdis » que la loi musulmane destine à être des territoires de chasse !

C’est par milliers que les esclaves, chaque année, sont emmenés du centre africain vers la Méditerranée. Et quel déchet au cours de la terrible traversée du désert ! Cinquante pour cent, avouaient les caravaniers que nous combattîmes plus tard à Ouéta ! Il existe encore une route laissée libre au commerce des esclaves. El-Facher, Abéché, Koufra, Ben-Ghazi, en marquent les honteuses étapes. La France et l’Angleterre se doivent de supprimer à jamais cet état de choses. Du Sénégal au Kanem, du Maroc à la Tunisie, notre pays a réussi à empêcher tout trafic de chair humaine. L’œuvre reste à compléter plus à l’Est.

Massala, où nous entrâmes trois jours après notre départ de Kourbo, était un centre très important dont le chef, Gabama … nous fit conduire chez son voisin Niamba, chef de Guidikoutou … Niamba m’offrit un bouc barbu, minuscule et puant, et déclara regretter de ne pouvoir faire plus parce que les Baguirmiens lui avaient tout pris. Etonné, je demandai des explications. Comment les Baguirmiens étaient-ils venus jusqu’ici à quatre cents kilomètres de chez eux ? C’était bien exact pourtant : une razzia avait, l’avant-veille, pillé plusieurs villages voisins, incendié les habitations et emmené de nombreux habitants en captivité, parmi lesquels un des fils de Niamba.

Avant notre entrée au Tchad, les pays entre Chari et Logone … servaient de territoire de chasse à l’homme, aux bandes du sultan, qui vendait les esclaves aux Ouaddaïens, aux Touaregs et aux Arabes du Nord.

Avant notre arrivée, les pillards Toubbous du désert mettaient en coupe réglée les îles du Tchad ; notre présence et l’occupation des postes de Mani, Massakori, Bol, Kouloua … ont définitivement assuré la sécurité du Tchad.

Les Ouled-Sliman … ces pirates du désert, comme els appelait Nachtigall, me firent sans plus tarder demander par leur chef l’autorisation de partir en expédition dans l’Est contre les Mahammids

Barrani mit près de trois ans à décider les Touaregs de l’Aïr et les peuplades Toubbous d’entre Borkou et Tchad à venir conquérir les riches pays du Sud. Une route de caravanes fut aussitôt ouverte par le Borkou sur Koufra où elle rejoignait celle du Ouaddaï. Les Senoussistes devinrent les plus grands marchands d’esclaves de l’Afrique. On conçoit qu’ils défendirent leurs établissements du Kanem lorsque nous tentâmes de les déloger de Bir-Alali.

C’est que le sultan du Ouaddaï ne plaisante pas ; la vie d’un homme est peu de chose pour lui ; tous les jours, paraît-il, des exécutions capitales ont lieu à Abêché.

Ces Arabes Rattani  … s’étonnent encore plus quand nous leur rendons la liberté ; tout prisonnier, au Ouaddaï, est bon à vendre.

Il paraît qu’on nous attend avec impatience ; l’impôt est lourd et l’on sait ici que, chez nous, les populations en paient un très léger ; enfin les soldats ouaddaïens se font détester en commettant toutes sortes d’excès, de pillages et ne respectant pas les femmes.

Je visitai en passant un petit village arabe que je fus étonné de trouver occupé par les femmes, tandis que les hommes avaient pris la fuite. Le guide m’expliqua que c’était la coutume en cette partie du Ouaddaï ; les habitants, à l’approche des bandes chargées de lever l’impôt au nom du sultan, s’éloignaient avec les troupeaux et abandonnaient leurs felles à la discrétion des soldats.

Ces kanembous de la région de Ngouri sont braves ; jamais les Ouaddaïens … n’ont pu les réduire. Armés d’arcs et de flèches, ils s’embusquaient dans la forêt épineuse des villages et tuaient les ennemis qui voulaient s’approcher.

Les Senoussistes ont bravement combattu ; beaucoup sont morts … Une centaine d’esclaves noirs, des femmes et des enfants crient de joie de se voir aussi miraculeusement délivrés. Ces Zouyas étaient en effet des négriers de Djalo, Koufra, Ben-Ghazi et revenaient d’Abêché avec un chargement de chair humaine troqué contre des armes, des munitions et des étoffes. Les captifs se disent originaires des confins ouest du Ouaddaï, sur la frontière du Baguirmi.

Dans la caravane d’hier se trouvait un lot considérable de lettres adressées à des personnages de Ben-Ghazi et de Koufra, des factures de ventes d’armes, de captifs, d’étoffes, écrites en arabe, ornées de cachets variés et de timbres de quittance turcs.

De nombreux esclaves du Borkou, originaires des bords du Chari, ont profité de notre départ de nuit à Faya pour se joindre à la colonne. Nous les interrogeons ; ils désirent rentrer dans leur pays. Ils sont malheureux ici plus, disent-ils, qu’on ne peut l’être dans aucune autre région ; beaucoup de travail, peu de nourriture et surtout pas de tombe pour les pauvres gens qui meurent à la tâche ! Cet oitrage de leurs maîtres musulmans paraît les affecter beaucoup ; toutes les tribus noires, en effet, rendent hommage à leurs morts et l’ensevelissement est une cérémonie dont les rites immuables sont toujours fidèlement observés.

Comme nous demandons à l’un de ces hommes comment il est venu dans le pays, il déclare avoir pris la route directe du Kanem au Borkou à l’époque où Sidi-Barrani occupait Bir-Alali, avant l’arrivée des Français. Désignant un Ouled Sliman il ajoute : « Voici celui qui m’a amené et vendu à Aïn-Galakka ! » L’ancien pirate, devenu gendarme, se met à rire tranquillement et reconnaît le fait. « A ce moment-là, ajoute-t-il, ce n’était pas défendu. »

L’occupation du Tibesti et du Borkou rejetterait les Senoussistes dans le Nord, … supprimerait la seule route des esclaves qui reste libre en Afrique.

Cette poignée de cent Sénégalais faisant dans le désert dix-huit cents kilomètres en deux mois, livrant trois combats en rase campagne, assiégeant une place senoussiste et l’emportant après vingt heures de lutte, acceptant sans murmure des fatigues inouïes, des privations d’eau et de sommeil, et le retour à pied pour épargner les animaux fatigués ! Quel hommage un chef ne doit-il pas rendre à de pareilles troupes si endurantes et si confiantes ! Avec de tels exemples, peut-on s’étonner de la valeur des Sénégalais ?

Traînés par Rabah [ancien officier de l’esclavagiste soudanais Zubeir], délivrés par nous à Goudjba après la défaite et la mort de son fils Fahd-el-Allah, les Saras furent répartis par nos soins en villages. Les Saras-Djinjés, eux, s’établirent ici, sur la route du Nord où le passage des caravanes pouvait leur donner l’occasion de s’enrichir par l’exercice de l’hospitalité. Il était impossible en effet de renvoyer ces gens dans leur pays ; ils étaient trop nombreux, dix mille captifs suivaient la fortune du conquérant égyptien ; tous ces malheureux seraient morts de faim avant d’avoir pu regagner leur pays natal éloigné d’un millier de kilomètres. »

Quelques années avant cela, dans le cadre de la course au contrôle de la région du lac Tchad entre l’Angleterre, le France et l’Allemagne, les colonialistes français avaient envoyé l’ambitieux et peu scrupuleux Mizon discuter avec l’émir de Yola, un émirat intégré à l’empire peul du Sokoto. Après un échec diplomatique, Mizon montra son manque de scrupules en 1892 en aidant militairement l’émir de Muri à capturer des esclaves. Muri faisait également partie de l’empire peul du Sokoto (voir Wikipedia Muri Nigeria). La troupe de Mizon attaqua le village « païen » de Kwana, puis « l’armée muri la rejoignit, saccagea et détruisit toutes les habitations. Ceux qui le purent s’enfuirent dans les collines, laissant 50 morts et 100 blessés. 250 femmes et enfants furent capturés et donnés en esclaves à l’émir. D’autres furent forcés, par la faim, à abandonner les collines, et se rendirent une semaine après. Ils furent eux aussi emmenés en esclavage. » Cet événement, une fois divulgué en France, fit scandale, d’autant que des membres de la Société Antiesclavagiste faisaient partie du Comité de l’Afrique française, qui avait organisé les expéditions vers le lac Tchad. (J. E. Flint, Sir George Goldie and the Making of Nigeria).