Admettre les origines

Autrefois et de siècle en siècle, le choix d’un chef était simple et naturel en procédure, et celui-ci n’avait d’emprise sur les âmes et les événements qu’en délibérant. C’était une personnalité, devenue consensuelle par ce choix et cette ambiance, méditatif et apte à discerner les perspectives : il les incarnait. La Mauritanie fut longtemps gouvernée ainsi, profondément par elle-même, en chacune de ses collectivités. Les Français, la pacifiant et l’unifiant, le comprirent dès Coppolani. La plupart des administrateurs qui l’aimèrent, y vécurent, la servirent, le comprirent aussi.

 

La grâce de l’Histoire, la Providence firent que le premier chef des temps modernes pour la Mauritanie – l’époque décidée et réglée par la Loi-Cadre 1 – fut exactement du modèle de la tradition millénaires de ces grandes collectivités qu’elles soient guerrières, maraboutiques, villageoises. Ce fut, investi le 21 Mai 1957 par l’Assemblée territoriale, Moktar Ould Daddah, silencieux, méditatif, orateur selon seulement son habitation par les circonstances et selon la coïncidence de celles-ci avec des perspectives qu’il avait le génie de discerner, de vouloir, de dire, de caractériser, de formuler. La suite et ses successeurs ne leur ont jamais ressemblé. Officier le plus gradé, chef d’état-major national, le lieutenant-colonel Mustapha Ould Mohamed Saleck fut écarté par ses pairs, putschistes, dès le printemps suivant. Une mort accidentelle eut raison dans les deux mois du suivant. Mohamed Khouna Ould Haïdalla survécut à des tentatives supposées des mêmes pairs, ou d’autres réelles et sanglantes de plus haute volée, ce qui fait les condamnations à mort et les martyrs. Seul, un nouveau coup, toujours de la même faction qui avait assassiné l’avenir, le 10 Juillet 1978, pouvait le faire descendre. Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya – le 12/12 – forma ainsi la matrice de ce qui le renversa à son tour : putsch en l’absence du chef, tenu à l’étranger. La dévolution du pouvoir avait perdu toute règle, et le pays toute perspective, la corruption tenait lieu de gestion, mais rien n’arrivait qu’une certaine prise de conscience des militaires d’avoir la légalité comme structure de la vie publique. Les putschistes du 3 Août 2005 voulurent donc que les civils leur succèdent, mais pas ceux du 6 Août 2008. Il y fallut, en ce second été de la si jeune démocratie mauritanienne, le concours de ceux qui, parmi les civils, perdaient.

 

Les militaires ont la force mais la légitimité qu’ils se donnent et définissent de 1978 à 2008, est laborieusement formulée. Ils ne peuvent sembler l’acquérir qu’avec le concours de civils. Mustapha Ould Mohamed Saleck n’aurait jamais sauté le pas, sans la suggestion et l’accompagnement de coéquipiers de Moktar Ould Daddah aux premières heures, écartés ensuite pour de fortes raisons, sans non plus la logistique et la position économique et géographique du directeur général de la S.N.I.M. Ahmed Ould Daddah contesta, dès le soir du premier tour de l’élection de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, la légitimité (et le caractère) de celui-ci. Il le prétendit choisi par Mohamed Ould Abdel Aziz et déclara publiquement comprendre le coup dévastateur de celui-ci. Pensa-t-il longtemps que l’élection anticipée de force par les militaires ne serait qu’une formalité pour sa propre accession au pouvoir, un pouvoir qu’il souhaitait depuis 1991, et qu’il a toujours mérité d’exercer par expérience, compétence, droiture et honnêteté. Demi-frère – significativement – de Moktar Ould Daddah.

 

Aujourd’hui, la succession, dix ans après sa première élection, du général Mohamed Ould Abdel Aziz par son partenaire de toujours, n’est qu’apparemment du modèle Poutine-Medvedev, car le président sorti par la lettre d’une Constitution qu’il eût volontiers transgressée  en se parjurant, a perdu tout pouvoir quand les Américains ont, selon certaines sources non confirmées, gelé ses fonds cachés dans une monarchie pétrolière – fonds produits d’une corruption, jamais vue à une telle échelle dans le Tiers Monde.

 

Le modèle originel – consensus, délibératif et nécessairement incarné par une personnalité profonde, clairvoyante et désintéressée – est le seul profitable pour la Mauritanie. Le seul efficace aussi, car il n’y a de pouvoir constructif que par l’adhésion des âmes. L’alternative est simple. Ou bien le peuple, aidé de circonstances communément perçues, suscite l’évidence d’un candidat dont l’élection n’est que la ratification du consensus à son sujet. Cela ne s’est pas encore produit, mais c’est le cas idéal, surtout s’il se répète. Ou bien la personnalité en place – ce va être le général Mohamed Ould Cheikh Mohamed Ahmed, dit El Ghazouani – devient  consensuelle par son équation propre et ses œuvres, ou organise la suite, sa succession à terme ou dès qu’il a suscité dans le pays ce candidat et ce futur président de la République, incarnant pour longtemps la légitimité nationale, aussi bien dans ses formes et façons traditionnelles que modernes.

 

C’est le devoir et la perspicacité de tous en Mauritanie : élu, citoyens, perdants et gagnants. Il n’y a pas de troisième voie pour la réussite et l’avenir de tous les Mauritaniens.

 

 

Bertrand Fessard de Foucault, mardi 16 avril 2019

 

 

1 – débattue au Parlement français, à l’initiative de Gaston Defferre, alors ministre de la France d’Outre-Mer, très amendée par les élus d’Afrique occidentale et équatoriale française, elle fut promulguée le 23 Juin 1956 : elle organisait l’auto-gestion des Territoires d’outre-mer, dont la Mauritanie