Birame Dah Abeille, « le refus par le pouvoir de procéder à la recomposition de la CENI, procède d’un manque de confiance du pouvoir et de son candidat à se prêter au jeu démocratique »

Birame Dah Abeid, Birame Dah Abeid, président de l’Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste en Mauritanie (IRA), candidat à la présidentielle de 2014 et député à l’Assemblée Nationale, a annoncé le 25 mars dernier sa candidature à l’élection présidentielle de juin 2019.

C’était au cours d’un meeting populaire organisé à l’Ancienne Maison des Jeunes de Nouakchott, en présence des ténors de l’opposition et de Sidi Mohamed Boubacar, ancien Premier Ministre et candidat au même scrutin.

Dans cet entretien, il est revenu sur sa première expérience en 2014, mais aussi sur ses soutiens, sur le refus du pouvoir de reconstituer la CENI, sur ses relations avec les autres candidats de l’opposition, notamment Sidi Mohamed Boubacar, mais aussi sur le programme de société qu’il propose aux Mauritaniens.

Par rapport à votre déclaration de candidature à la présidentielle de 2014, qu’est-ce qui a changé selon vous en 2019 ?

Birame Dah Abeid : beaucoup de choses ont changé en 2019, par rapport à ma première déclaration de candidature à la magistrature en 2014, qui n’était en réalité qu’une candidature test faite à l’improviste, que nous jugeons positive et qui nous a aidés à préparer les échéances actuelles. Entre 2014 et 2019, j’ai passé la moitié de cette période confronté à de multiples exactions et emprisonnements, dont la dernière, lors des dernières élections partielles, où on m’a emprisonné pour m’empêcher de battre campagne en tant que candidat à la députation.

Se sont ajoutées à ces exactions, les interdictions qui nous ont frappés, interdiction de sortir de la Capitale, interdiction d’organiser des rassemblements et de rencontrer les populations. Je pense que nous avons remporté le bras de fer qui nous a opposé au pouvoir et qui voulait nous éradiquer avant 2019. Nous sommes encore plus présents sur la scène, mais surtout nous sommes les plus présents et les plus forts en termes de contenus et de soutien populaire. Je pense que 2019 sera l’année de la victoire.

A part le parti SAWAB qui soutient votre candidature, y a-t-il d’autres forces politiques ou mouvements qui vous soutiennent ou qui comptent vous soutenir dans ces élections de 2019 ?

Birame Dah Abeid : nous sommes restés dans la même projection d’une opposition sociale populaire droits de l’hommiste qui s’appuie sur la force populaire. C’est ce qui a été la base de la force d’IRA. Cette candidature s’appuie sur la forte opposition des populations mauritaniennes au régime de prédation économique, d’injustices, de racisme et de discrimination, qui a appauvri la population. C’est sur cette opposition populaire que nous nous basons et non pas sur des oppositions institutionnelles comme les partis politiques.

Ces derniers n’ont pas pu réussir au premier test que leur dicte la situation exceptionnelle actuelle, en ne parvenant pas à s’accorder sur un candidat unique, alors que l’occasion d’un changement radical qui s’offre à eux aujourd’hui, risque de ne pas se répéter de sitôt. Je pense que la seule opposition, c’est l’opposition populaire, les partis politiques ayant été affaiblis et dégarnis par des années d’usure de la part du pouvoir en place. Ce qui fait que depuis l’avènement de Mohamed Abdel Aziz au pouvoir, la vraie opposition a vécu dans l’illégalité, que cela soit dans les mouvements de jeunes et de la société civile, dont IRA est le fer de lance. C’est cette opposition qui détient réellement la légitimité populaire et électorale.

Je pense que nous détenons cette légitimité car nous fédérons toute cette opposition non institutionnelle, ce courant populaire qui traverse tous les pans de la société. C’est de là que nous tirons notre force, et non de la somme de soutiens de partis politiques qui se sont éparpillés entre soutiens au pouvoir et soutiens à d’autres candidats indépendants.

On vous a vus très proches de l’ancien Premier ministre et candidat comme vous à la Magistrature Suprême, Sidi Mohamed Ould Boubacar. Qu’est-ce qui vous rapproche de ce candidat ?

Birame Dah Abeid : notre mot d’ordre est de rassembler au maximum toutes les forces qui s’opposent, même de façon conjoncturelle, au pouvoir de Mohamed Abdel Aziz et à la reconduction de ce pouvoir pour une nouvelle décennie pendant laquelle Mohamed Abdel Aziz va continuer à tirer les ficelles dans le dos de son pantin, Mohamed Ould Ghazwani.

Nous pensons qu’il est urgent et juste de rassembler toutes les forces, mêmes celles qui sont issues de la désagrégation des groupes qui étaient dans le pouvoir et qui nous ont rejoins dans notre combat contre le système en place dans cette phase conjoncturelle. Je pense qu’il faut aussi unir nos forces, au sein de cette grande opposition, pour barrer le chemin au candidat du pouvoir qui ne ferait que prolonger la souffrance des populations et maintenir les injustices.

Le candidat Sidi Mohamed Ould Boubacar est parvenu à rassembler une partie des forces qui étaient au sein du pouvoir et qui veulent se démarquer dans cette phase des présidentielles ainsi que des forces de l’opposition représentées par des partis politiques, comme Tawassoul. Il faut donc s’engager dans ce jeu de l’alternance qui ne peut se faire sans susciter des fissures au sein des groupes dominants.

Le gouvernement, par le biais du Ministère de l’Intérieur, vient de rejeter la principale revendication de l’opposition, c’est-à-dire la recomposition de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), qu’en pensez-vous ?

Birame Dah Abeid : le pouvoir par son refus de permettre la recomposition de la CENI selon les principes fondateurs de la loi électorale, enfreint le jeu démocratique, ce qui constitue un argument de moins à la charge du pouvoir qui n’a pas pu s’apprêter au jeu de la transparence même dans ses principes les plus élémentaires.

La CENI doit être constituée de personnalités issues de l’opposition et du pouvoir, alors que tous les membres de la CENI actuelle ont déjà déclaré allégeance et soutien au candidat du pouvoir, Mohamed Ould Ghazwani, à part un seul membre qui est de l’opposition, l’Alliance Populaire Progressiste (APP), parti qui n’a pas encore déclaré sa position. Ce refus du pouvoir de recomposer la CENI, est une aberration tranchée par rapport au sentiment victorieux qu’avait Mohamed Abdel Aziz en 2009 lorsqu’il avait confié la CENI à l’opposition. La position actuelle du pouvoir tranche aussi avec l’esprit de 2013 lorsque Mohamed Abdel Aziz avait accepté de confier la direction de la CENI à un membre de l’opposition, Ould Soueid’Ahmed de l’APP, qui a été nommé par Messaoud Ould Boulkheïr.

Nous pensons que cette fois-ci, Mohamed Abdel Aziz et son candidat Ould Ghazwani ne sont pas en confiance par rapport au vote libre des électeurs mauritaniens, mais aussi, ils ne font pas confiance à ces vagues de soutien et de Moubadarat qui semblent ne pas les convaincre. C’est pourquoi ils tiennent à maintenir cette CENI qui est à leur solde et dont les membres leur obéissent au doigt et à l’œil. Une conférence de presse sera d’ailleurs animée ce mardi 2 avril et le décor sera planté pour un mouvement de résistance contre cette tentative de faire élire le candidat du pouvoir avant l’heure par le biais d’une CENI inféodée.

Certains affirment que le candidat Ould Ghazwani est en train d’utiliser les moyens de l’Etat pour sa tournée actuelle, qu’en dites-vous ?

Birame Dah Abeid : l’utilisation par le candidat Ould Ghazwani des moyens de l’Etat n’est qu’un signe de panique qui s’empare du pouvoir et sa tentative de vouloir confisquer le vote des électeurs en s’accaparant les symboles de l’Etat, l’administration et l’armée. Mais cette fois-ci, le morceau sera dur à faire avaler au peuple mauritanien.

L’argent est le nerf de la guerre dans toute élection. Avez-vous reçu d’aides ou de soutiens de la part d’hommes d’affaires mauritaniens ?

Birame Dah Abeid : nous ne sommes soutenus par aucun homme d’affaires. D’ailleurs, tous les hommes d’affaires craignent les représailles pour oser soutenir un opposant. Ils sont tous sous la coupole du régime de Mohamed Abdel Aziz qui n’hésite pas à suspendre sur leur tête l’épée de Damoclèes de la répression fiscale, mais aussi celle de l’exclusion de tout marché public, sans compter les entraves à leurs activités. Ils sont tous tenus également de financer les campagnes du pouvoir pour ne pas subir de sanctions et des représailles. Aussi, aucun d’entre eux n’ose s’afficher ou aider un candidat opposé au pouvoir.

Quel est en résumé, le programme de société que vous proposez aux Mauritaniens ?

Birame Dah Abeid : dans une formule très ramassée s’agissant de mon programme, je compte restaurer la moralité de la vie publique et assurer une meilleure gouvernance, restaurer la confiance entre la nation et sa classe politique, entre l’administration et ses administrés, assurer l’égalité de tous devant la loi, restaurer l’existence et l’action des structures d’inspections et de contrôles crédibles des finances publiques, garantir l’exercice d’une presse libre et responsable. Ces paramètres doivent être résolument ramenés.

Il faut aussi maintenir les hommes politiques, les cadres de l’administration publique et parapublique dans le strict respect de l’éthique républicaine et de la bonne gouvernance. Toutefois, ce thème de bonne gouvernance peut donner l’impression d’être un critère purement exogène imposé par les institutions internationales, à la limite de l’ingérence pudiquement revêtue de la notion de droit d’ingérence. Il faut bien se persuader que la bonne gouvernance est faite d’abord pour nous-mêmes pour garantir à moyen et long terme les conditions de vie de nos populations.

Propos recueillis par Cheikh Aïdara

Source : L’Authentique (Mauritanie)