L’éditorial : Nous sommes des crabes

L'éditorial : Nous sommes des crabes  76 partis politiques ont été dissous par arrêté du Ministère de l’Intérieur.

Le ministre par cette mesure se fonde sur la loi n°2012-024 modifiant certaines dispositions de l’ordonnance n°91-24 du 25 juillet 1991, modifiée, relative aux partis politiques.

Et cette loi, en son article 20 (nouveau), dispose que « (…) Tout parti politique qui présente des candidats à deux élections municipales générales et qui obtient moins de 1% des suffrages exprimés à chacune de ces consultations ou qui s’abstient de participer à deux élections municipales générales consécutives sera dissout de plein droit. Cette dissolution est constatée par arrêté du ministre chargé de l’Intérieur au vu des résultats définitifs des élections municipales ».

De l’arrêté du Ministère de l’Intérieur, on remarque que deux élections sont concernées par cette mesure : les élections municipales de 2013 et celles de 2018. Il apparait clairement dans ce texte que cette mesure frappe des partis qui n’ont pas participé à l’une de ces élections et la loi dit : « Tout parti politique qui présente des candidats à deux élections municipales générales consécutives »…. L’auteur de cette mesure, on ne peut abusive et injuste vis-à-vis de certains partis, a-t-il seulement lu la loi ? Une question qui mérite d’être posée.

Cette mesure et notre manière d’être par rapport à nous-mêmes et vis-à-vis du pays et à quelques exceptions à tous les niveaux de la vie socio-économico-politique de ce même pays, m’inspirent de reprendre les propos d’une dame partagés dans mon groupe de cours CIMIC pour au moins deux ou trois choses que je connais de nous : La désinvolture. Le Mauritanien est léger. La désinvolture du Mauritanien dans la gestion de son pouvoir vis-à-vis de l’administration, de ses administrés, de lui-même au quotidien et surtout à travers l’histoire est parfois ahurissante, inadmissible voire incompréhensible pour un homme sensé et averti des enjeux qui commandent la marche ou l’évolution d’un pays. Il tâtonne, ment à lui-même et aux autres sans retenue… mais, singulièrement, improvise presque tout. Il fait, dit et défend en général ce qu’il ne connait pas et ce à quoi il ne croit pas.

Ensuite, la carence, la démission, la tricherie, la caducité ou la déliquescence de l’Etat. Des atouts en Mauritanie. Dans la compréhension et l’application des lois sensées nous régir, on manque toujours de rigueur. On arrête qui on veut, quand on veut et où on veut, en foulant aux pieds les textes. On a vu l’Etat, au plus haut de son sommet, nier l’existence d’un phénomène (esclavage) pour lequel, pourtant, des lois ont été adoptées et des tribunaux ont été créés. On a vu de hauts responsables de l’Etat marcher contre le racisme et, le lendemain de ladite marche, promouvoir dans de hautes fonctions les membres d’une seule communauté dans un pays de quatre communautés égales en droits et en devoirs… Mais cette égalité ne s’applique pas en chance dans la promotion. Et on se tait car seul « un raciste » ou un blasé revendique. Défendre une chose et son contraire, une attitude insensée et impardonnable.

Ce sont ces mêmes hommes et femmes en charge du respect de la stabilité et la paix sociale comme stipulées dans les lois du pays qui ont cherché à soutenir un troisième mandat, une entorse à la loi fondamentale du pays. On a aussi créé des régions et des départements par décret, une prérogative de la Constitution, notamment, en son article 57.

Et de toutes ces bévues, les Mauritaniens ne font rien et ne disent rien proportionnellement à l’acte posé par la gouvernance de ce système qui nous oriente et désoriente.

La dissolution des partis en utilisant un texte qui ne peut leur être appliqué, tout comme l’interdiction des manifestations des organisations ainsi que le refus d’accorder des récépissés de reconnaissance à certaines d’entre elles sont devenues des faits qui n’émeuvent plus personne.

Après la dissolution des 76 partis, aucun parti de la scène politique nationale n’a daigné ouvertement et conséquemment dénoncer la mesure prise par le ministre de l’Intérieur. Cela illustre clairement les propos de cette dame qui racontait l’histoire du panier à crabes. Cette dame racontait l’histoire suivante : « Un enfant qui accompagnait son père à la pêche aux crabes veillait sur le panier. Après quelques captures, il demanda à son papa de fermer le panier. Son papa répondait à ses nombreuses demandes que ce n’était pas nécessaire. Le panier rempli, l’enfant insista auprès de son papa pour mettre le couvercle du panier.

Le papa souri et dit à son enfant ‘Allons à la maison, notre partie de pêche a été belle’. Et le panier est resté ouvert jusqu’à la maison sous le regard médusé de l’enfant qui craignait que les crabes s’échappent du panier. Une fois à la maison, le papa dit à son fils ‘Alors, mon fils, quel enseignement as-tu-tiré de cette journée et ce panier à crabes dont tu demandais mordicus la fermeture craignant la fuite des crabes ?’.

L’enfant dit : ‘Papa, la journée a été belle et les crabes sont là, aucun n’a pu s’échapper bien que le panier est grandement ouvert’. Et le père de répondre ‘Mon fils, les crabes ne sortiront pas. Mon père, quand j’avais ton âge, m’avait dit que les crabes sont comme les chefs d’Etats africains ou les opposants africains. Ils ne s’entendent pas pour s’entraider à se libérer du panier. Chacun d’eux veut sortir en gênant l’autre et, au final, aucun n’arrive à sortir. Nos opposants se font la guerre entre partis et à l’interne les responsables des partis se livrent une guerre incroyable. De leur mésentente, les pouvoirs antidémocrates de nos pays tirent profits et s’incrustent davantage. C’est un cycle qui connaitra difficilement une fin’ ».

Parlant des crabes, ce pêcheur décrivait la situation politique de la Mauritanie sans la connaitre. Ainsi va la Mauritanie avec des situations et positionnements politiques incroyables. Une ruée vers Ghazouani, l’héritier du pouvoir d’Abdelaziz, tous les deux issus de l’école du dictateur Ould Taya. Les partis Tawassoul, Hatem et même une partie de l’UFP – dit-on – soutiennent la candidature de Sidi Mohamed Ould Boubacar.

L’incarnation du système Maaouya, le candidat aux convictions et positions troubles, deux fois Premier Ministre de Taya et une fois Premier Ministre de son tombeur. Ould Boubacar est un fervent adepte et fidèle du système qui nous extermine depuis 1984 en dévaluant toutes nos valeurs. Nous sommes des crabes.

Pauvre de nous, la Mauritanie mérite plus.

Camara Seydi Moussa

Source : La Nouvelle Expression (Mauritanie)