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Les images de migrants africains vendus commes esclaves sur un marché en Libye ont saisi d’effroi. Ce drame ne peut être compris sans expliquer l’histoire millénaire de la traite transsaharienne et de l’esclavage en Afrique du Nord, argumente l’universitaire Pierre Vermeren.
Suite aux nombreuses exactions dont sont victimes les ressortissants de l’Afrique subsaharienne en Lybie depuis de nombreuses années, lesquelles exactions ont atteint leur paroxysme récemment avec la vente aux enchères à ciel ouvert de citoyens d’Afrique noire dans ce pays, Lire la suite
Il était presque 18 h, Ramadane et Ahmed, son confident, sirotaient tranquillement leur thé, à l’ombre d’une petite baraque, en face d’un hangar recouvert de tôles et haillons. C’est là ma demeure depuis 1984.
Après les salamalecs d’usage, la conversation s’engage sur des chapeaux de roues. L’homme s’est dit assuré et réconforté parce que, c’est la première fois qu’il a à faire à un journaliste qui pourrait transmettre son message sur la vie de cette Gazra. Lire la suite
Aux côtés d’artistes, d’intellectuels et de militants épris de liberté, nous interpellons ceux qui, par leur silence ou leur complicité passive, laissent le crime se déployer depuis plusieurs années.
Nous sommes au début du 21ème siècle. Mais pour les migrants africains qui sont jetés sur les routes de l’exil par la misère, la guerre ou l’oppression politique, il semblerait que nous soyons revenus au temps où leurs ancêtres étaient soumis à la traite négrière transsaharienne.
Du Sinaï au désert libyen, c’est en effet un crime contre l’Humanité qui se déroule depuis plusieurs années. Des êtres humains y sont battus parfois jusqu’à la mort, rançonnés, violés, séquestrés, affamés et réduits en esclavage.
Il y a quelques jours, des caméras ont saisi dans le sud libyen des images que nous ne pouvions qu’imaginer ou contempler sur de vieilles photos jaunies révélant des scènes surgies d’antan : la vente de noirs sur des marchés aux esclaves. Comme si se reconstituaient les vieilles routes de l’esclavage qui passaient jadis par Koufra ou Barqa.
Nous ne sommes ni naïfs, ni ignorants. Nous savons, sans doute en nous en indignant insuffisamment, que plus de 40 millions de personnes vivent dans le monde dans une situation assimilable à l’esclavage. Nous savons également les supplices que subissent les migrants entre les mains des passeurs et de leurs complices. Mais la situation que vivent en Libye les migrants venus de l’Afrique subsaharienne nous révulse particulièrement pour trois raisons.
Tout d’abord, c’est un pays où même les représentants de la force publique se livrent aux pires sévices au sein de camps immondes qui, dans leur effroyable réalité concentrationnaire, sont tous des offenses à la conception la plus minimale du respect dû aux êtres humains.
Ensuite, c’est un pays membre de plusieurs organisations internationales ou régionales qui ont, jusqu’à aujourd’hui, fait preuve d’une frappante inaction : l’ONU, dont la seule réponse ne saurait être l’indignation, l’Union africaine, la Ligue Arabe et l’Organisation de la Coopération Islamique.
Enfin, c’est également un pays que l’Union européenne a choisi comme un partenaire chargé d’«assurer» la frontière sud de l’Europe. Et ceci dans un but publiquement assumé : éviter que des migrants posent le pied sur le Vieux continent pour y trouver un refuge.
Au regard des exactions dont elle a été alertée par de nombreuses ONG, comment l’Union européenne peut-elle caresser l’espoir d’un accord avec la Libye calqué sur celui qu’elle a, en tout déshonneur, conclu avec la Turquie ?
Comment l’Union européenne peut-elle accepter que l’Italie – qui agit en quelque sorte par délégation des autres pays membres de l’Union – finance des milices locales impliquées dans les horreurs décrites ?
Comment l’Union européenne peut-elle continuer à concentrer son attention sur le renvoi de migrants au sud de la Libye alors que l’urgence est bien celle de mettre fin à un crime contre l’Humanité ?
La responsabilité morale – et judiciaire ? – de l’Union européenne dans ce cauchemar est davantage qu’un constat : elle est une honte dont nous refusons qu’elle soit recouverte par les habituels propos lénifiants sur l’illusoire «amélioration des conditions de détention». On n’améliore pas la pratique esclavagiste et les réalités concentrationnaires. On les combat jusqu’à leur disparition totale.
C’est pourquoi, dans cette interpellation qui s’adresse également aux pouvoirs africains, nous exigeons de l’Union européenne et des Etats-membres qu’ils indiquent sans délai les mesures qu’ils comptent prendre afin de mettre un terme aux souffrances qui frappent des noirs que l’on dirait ramenés aux heures sombres de l’esclavage.
Retrouvez l’ensemble des signataires et signez la pétition à http://abolition.wesign.it/fr
Premiers signataires :
Dominique SOPO, président de SOS Racisme
Audrey PULVAR, présidente de la Fondation pour la Nature et l’Homme
Baki YOUSSOUPHOU, porte-parole de « Quoi ma gueule »
Omar SY, comédien
Marie-Roger BILOA, journaliste
Cheick Tidiane SECK, artiste
Benjamin ABTAN, président de l’European Grassroots Antiracist Movement
Abdennour BIDAR, philosophe
Rachid BOUCHAREB, réalisateur et producteur
Clémentine CELARIE, comédienne
Patrick CHAMOISEAU, écrivain
Laurent DESMARD, président de la Fondation Abbé Pierre
Jacob DESVARIEUX, artiste
Doudou DIENE, président de la coalition internationale des sites de conscience
Aïcha ELBASRI, ancienne porte-parole de la MINUAD
Tiken Jah FAKOLY, artiste
Cheikh FALL, bloggeur, entrepreneur et président des Africtivistes
Faïza GUENE, romancière
Mémona HINTERMANN, journaliste
Salif KEÏTA, chanteur et musicien
Angélique KIDJO, chanteuse
Séverine KODJO-GRANVAUX, philosophe et journaliste
Thierry KUHN, président d’Emmaüs France
Gilles LELLOUCHE, acteur, réalisateur, auteur
Alain MABANCKOU, écrivain
Jacky MAMOU, président du collectif Urgence Darfour
Jacques MARTIAL, président du Mémorial ACTe
Achille MBEMBE, professeur d’histoire et de science politique, Université du Witwatersrand
Danielle MERIAN, présidente de SOS Africaines en danger
Etienne MINOUNGOU, comédien et dramaturge
MOKOBE, musicien et acteur
NAGUI, animateur et producteur
Olivier NAKACHE, producteur
Pap NDIAYE, historien
Yannick NOAH, artiste et sportif
Euzhan PALCY, cinéaste
PASSI, artiste
Sonia ROLLAND, actrice et réalisatrice
Serge ROMANA, président du CM98
Harry ROSELMACK, journaliste
Jean-Christophe RUFIN, écrivain, ancien président d’Action contre la faim
Oumou SANGARE, chanteuse
Claudy SIAR, journaliste
Lilian THURAM, président de la Fondation Education contre le Racisme et pour l’Egalité
Source: Libération
Personne n’ignorait ce qui se passe sur cette partie septentrionale de l’Afrique. L’existence de « marchés aux esclaves », d’abus sexuels et de travaux forcés avait fait l’objet d’un rapport de l’Organisation internationale pour les migrations en avril. Les actes barbares à l’encontre des migrants au nord du continent sont récurrents, mais, ce qui change aujourd’hui, c’est le choc des images.
En Mauritanie, les populations négro-mauritaniennes subissent encore couramment l’esclavage. Selon Philip Alston, auteur d’un rapport de l’ONU en 2016 dans ce pays, « des milliers de personnes restent réduites en esclavage » au mépris de l’Etat. La lettre de Moussa Biram, militant anti-esclavage en prison, le combat de l’opposant Biram Dah Abeid ou encore l’action des militants des Forces de libération africaines de Mauritanie (FLAM) renseignent sur la politique raciste qui sévit dans le pays.
Au Maghreb, la xénophobie vis-à-vis des Noirs est chose classique. On se souvient de la campagne « Non aux Africains en Algérie », qui avait poussé l’écrivain Kamel Daoud à réagir sur ce que signifie être noir dans ce pays, autrefois source d’inspiration pour les mouvements de libération du sud du Sahara mais qui désormais refoule les migrants dans le désert.
Au Maroc, pays qui ambitionne de redevenir une puissance continentale, le racisme est omniprésent, avec parfois une instrumentalisation par des médias malveillants. On se souvient de la « une » du journal Maroc Hebdo, « Le péril noir », qui ciblait les étudiants, immigrés économiques ou personnes en transit pour les côtes européennes. Dans un article pour Le Monde Afrique, la militante culturelle sénégalaise Aisha Dème produit un récit édifiant de l’ampleur du mal. Heureusement qu’il existe une société civile dynamique pour lutter contre le fléau. Par exemple, les travaux du sociologue Mehdi Alioua et de son association, le Gadem, montrent avec acuité ce « mal » du Maroc et luttent pour la destruction des préjugés qui fondent souvent le racisme.
Les assassinats de Subsahariens, étudiants ou candidats à l’exil, sont récurrents sans qu’aucune réaction vigoureuse de nos chefs d’Etat ne soit notée. Cette faiblesse encourage l’impunité et déshumanise davantage des victimes abandonnées à leur sort.
Il convient aussi d’indexer l’Union européenne (UE) qui par sa scandaleuse politique migratoire se rend coresponsable de la criminalité qui sévit dans cette partie du monde. Le haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al-Hussein, vient d’ailleurs de qualifier d’« inhumaine » la « coopération » entre Bruxelles et la Libye en matière de gestion des flux migratoires.
Cette entente n’est pas nouvelle. Durant les dernières années du régime Kadhafi, l’Italie avait signé avec Tripoli un accord pour bloquer les candidats à l’immigration sur son sol. Il avait abouti à des pogroms contre les Subsahariens et des milliers de personnes arrêtées puis internées dans des camps. Cette année, dans sa crainte déraisonnée de « l’invasion africaine », l’UE a laissé l’Italie passer de nouveaux accords avec la Libye post-Kadhafi, collaborant ainsi indirectement à ces violations des droits de l’homme.
La démission des dirigeants des principaux pays africains de départ, les conditions de vie difficiles de leurs ressortissants qui les poussent sur le chemin de l’exil, l’impunité des auteurs de traite d’êtres humains et le bourbier libyen sont autant de facteurs qui rendent aujourd’hui ce drame possible. Les images d’êtres humains vendus sont choquantes et interpellent notre humanité. Mais elles font écho aux récits glaçants qui proviennent des lieux de désespoir que sont les routes d’exil.
A présent que faire ? Manifester devant les représentations libyennes est un acte important, mais je doute que cela puisse changer quoi que ce soit d’interpeller un Etat qui, dans les faits, n’existe plus.
De surcroît, l’indignation est du ressort des citoyens, les politiques ont, eux, l’obligation d’agir. Ils doivent réagir face à la désacralisation de la vie des pauvres et des exilés par une action courageuse contre le traitement de nos compatriotes au Maghreb.
Les chefs d’Etat de la sous-région ouest-africaine qui viennent de se prononcer pourraient enfin tenter de sortir du rapport asymétrique en arrêtant de subir la politique migratoire de l’UE et de ses voisins de la Méditerranée.
Nous devons nous doter, à l’échelle de chaque pays, d’une politique en la matière, à défaut d’une coordination au niveau de l’Union africaine (UA) ou des organisations régionales. Jusque-là, il n’y en a aucune, et c’est là où le mal commence.
Hamidou Anne est membre du cercle de réflexion L’Afrique des idées.