La présidentielle est prévue entre juin et juillet prochains. Pour le moment, quelques personnalités se sont positionnés dont le général à la retraite et ministre actuel de la Défense, Ould Ghazouani.
Pour les Mauritaniens, sa désignation illustre la volonté de l’armée de s’éterniser au pouvoir. La Mauritanie entre dans la dernière ligne droite d’une nouvelle échéance politique qui devait normalement conduire à une alternance au pouvoir. Or ce processus est déjà malheureusement terni par la désignation d’un « dauphin » militaire, en la personne de Mohamed ould Ghazouani, général à la retraite, actuel ministre de la Défense, ancien chef d’état-major général des armées et ancien directeur général de la sûreté nationale.
Il devrait à coup sûr succéder à son compagnon d’armes et ami intime, Mohamed ould Abdel Aziz, ancien général arrivé au pouvoir à la faveur de deux putschs successifs (2005 et 2008).
En effet, Mohamed ould Abdelaziz, après avoir fomenté un premier coup d’Etat contre Maâwiya ould Taya, et remis les rênes provisoirement au Colonel feu Ely Ould Mohamed Vall, va prendre directement les commandes le 6 août 2008, en renversant le président Sidi Mohamed ould Cheikh Abdallahi, démocratiquement élu et dont le régime civil, n’aura duré que 15 mois.
Durant ce laps de temps, Ould Abdel Aziz et Ould Ghazouani affûtaient la mise à exécution de leur projet à long terme. Et dont le dernier épisode est d’ordonner à Ould Cheikh Abdallahi, qu’ils ont «élu» à la présidence, de les promouvoir en contrepartie au grade de général, une première dans l’armée mauritanienne, Avant de le renverser, sous le seul prétexte qu’il avait l’intention de les démettre de leurs fonctions.
Finalement, un scrutin présidentiel organisé le 18 juillet 2009 va « bénir » par les urnes et la fraude électorale le coup de force de l’ex-commandant en chef du Bataillon de la sécurité présidentielle (BASEP), permettant à Ould Abdel Aziz de s’imposer comme nouveau chef d’Etat de la Mauritanie, avant de rempiler en 2014 pour un second mandat, lors d’une élection boycottée par l’opposition.
Avec cette candidature du général Ghazouani, le régime militaire est donc assuré de rester à la tête du pays. Une donne qui n’a pas échappé aux partis de l’opposition mauritanienne, qui mènent actuellement des tractations en vue de trouver un candidat unique (à l’intérieur ou en dehors de ses rangs).
La perspective de l’élection de Ghazouani apparaît aussi comme une forte probabilité aux yeux de nombreux analystes. Cela en dépit de quelques grincements de dents et récriminations entendus, mais rapidement étouffés au sein du camp présidentiel, où on continue aussi à donner du crédit à une possible candidature de Moulay ould Mohamed Laghdaf, ex-Premier ministre de Ould Abdel Aziz de 2008 à 2014. Moulay est considéré comme un candidat civil consensuel, qui ne déplairait ni à l’armée, ni à l’opposition.
En tout cas, le prochain changement de pouvoir en douceur est imposé par les dispositions de la constitution du 20 juillet 1991, révisée à travers un référendum populaire le 25 juin 2006, qui a introduit la limitation à une seule fois de la possibilité de réélection du président de la République.
Il va intervenir dans le contexte d’un pays où l’armée se trouve au cœur du jeu politique et exerce le pouvoir d’Etat à travers un régime militaire d’exception depuis le 10 juillet 1978, avec un break civil de 15 mois entre avril 2007 et août 2008.
Ces régimes à la mauritanienne sont symbolisés par un chapelet de noms renvoyant tous aux figures marquantes d’une institution militaire dont les tentacules ont débordé la mission traditionnelle de la grande muette depuis plusieurs années, dont les chefs ont succombé aux délices du jeu politique pour occuper le fauteuil présidentiel, et ce depuis 1978.
Il s’agit, par ordre chronologique, des colonels feu Mustapha ould Mohamed Saleck, feu Ahmed ould Bousseif, Mohamed ould Louly, Mohamed Khouna ould Haidallah, Maawiya ould Sid’Ahmed Taya, feu Ely ould Mohamed Vall et du général Mohamed ould Abdel Aziz, en passe de remettre le témoin à un autre général, Ould Ghazouani. Ces hommes ont tous tenu les commandes de l’Etat dans le cadre d’un régime militaire d’exception, ou d’une démocratie parfois qualifiée «d’autoritaire et de façade».
Une alternance au sein du clan des généraux
Mousa ould Abdou, consultant, estime que «l’alternance devrait se limiter à un changement d’homme, et non de mouvance politique. L’opposition n’a pas encore su trouver la bonne stratégie de rupture, un discours et un programme appropriés pour convaincre. L’ordre des militaires reconvertis dans la politique devrait encore régenter le pays pendant au moins une décennie».
Des propos dont la lecture entre les lignes laisse entendre que Ghazouani sera inévitablement désigné président, mais qu’il pourrait être plus performant que Mohamed ould Abdel Aziz.
Moussa ould Hamed, ancien DG de l’Agence mauritanienne d’information (AMI), admet lui aussi le titre de favori donné à Ghazouani. En effet, pour cet analyste, «l’actuel ministre de la Défense dispose d’une bonne longueur d’avance sur tous ses éventuels adversaires. Il bénéficie aussi du soutien de l’armée, historiquement déterminant à toute élection présidentielle en Mauritanie».
Mais tempérant un peu ses propos, Moussa estime qu’il n’y a pas de certitude absolue, puisqu’il s’agit d’une bataille politique, où tout dépendra des circonstances qui vont prévaloir au cours des prochains mois. Ainsi, «tout est fonction du profil des personnalités qui vont composer le staff de Ghazouani, porter le projet de programme s’il en a, sa stratégie de campagne, le discours qu’il servira aux Mauritaniens…», dit-il.
Cependant pour réussir, le candidat Ghazouani ne doit pas singer son mentor, dont les méthodes n’ont jamais plu aux Mauritaniens, ajoute Moussa, qui précise qu’il y a également un autre paramètre dont l’importance s’apprécie à un double niveau. «Celui-ci concerne les concurrents qui seront alignés sur la ligne de départ en vue de contrarier les ambitions présidentielles de l’actuel ministre de la Défense. On parle ainsi de la candidature de Moulaye ould Mohamed Laghdaf, dans un contexte où les divisions de la majorité présidentielle ont été étalées sur la place publique pendant la gestion de la crise née de la malheureuse initiative avortée de certains députés en faveur du troisième mandat».
«Quel sera en définitive le résultat final des intenses tractations de l’opposition en vue de trouver un candidat unique, ou principal? Une personnalité de large consensus de cette mouvance pourrait-elle d’une certaine manière, rendre la tâche moins facile au candidat de l’armée?», s’interroge Moussa ould Hamed.
Pour donner un contenu à la thèse selon laquelle une élection n’est jamais totalement gagnée d’avance, l’ancien DG de l’AMI rappelle le cas de la commune d’Arafat (banlieue de Nouakchott), lors des élections municipales de septembre 2018. Dans cette commune, la majorité présidentielle a exigé une annulation en justice des résultats, réussi à forcer un 3e tour, usé de fraude massive, amis sans jamais pouvoir y battre les islamistes de Tawassoul.
A noter cependant qu’il est difficile d’établir un parallèle entre des élections municipales et une élection présidentielle, aux enjeux infiniment plus importants.
Pour sa part, un homme d’affaires (MBB) qui préfère garder l’anonymat, semble avoir trouvé le filon de l’espoir: «si l’opposition veut se donner une chance de résister à la machine de la fraude et de la corruption en place dans le pays depuis plusieurs années, qui a toujours assuré la victoire au camp des détenteurs des leviers de commande de l’Etat, elle serait bien inspiré d’investir Mohamed ould Bouamatou, banquier en exil depuis une dizaine d’années, comme candidat».
Il rappelle le soutien déterminant de ce dernier à Ould Abdel Aziz pendant la période difficile qui a suivi le putsch du 6 août 2008. Son exil volontaire, sa popularité et l’ingratitude de Ould Abdel Aziz à son égard sont des atouts qui peuvent relativement peser face au clan des généraux mauritaniens.
Par notre correspondant à Nouakchott
Cheikh Sidya
Source : Le360 Afrique (Maroc)