Quand tu ne seras plus là

Quand tu ne seras plus làIl te reste encore quelques mois. Cinq exactement, si tout va bien.

Tu as décidé de ne pas renier ton serment. Je ne serai pas candidat pour un troisième mandat ! C’est ce que tu as dit – et redit – Wtowv ! Une décision que beaucoup de tes compatriotes approuvent parce qu’ils considèrent que l’alternance est une nécessité. D’autres par contre s’accrochent à ce troisième mandat dont tu ne veux pas. Dont tu ne veux plus, peu importe les raisons. Ont-ils tort de vouloir te maintenir, « contre vents et marées » ? Oui et non.

Non ! Je commence par là, parce que c’est aussi mon intime conviction, moi qui n’appartiens à aucun camp, depuis que j’ai découvert, qu’être opposant ou « majoritant » c’est kif-kif. On dit chez nous que « tous les pains sont faits de farine » (Mbourou fof ko farine).

Non donc, parce que ceux qui s’accrochent au troisième mandat, sans y croire vraiment, ne peuvent te forcer à rester contre ton gré. Comme tout président qui a besogné dur, tu as besoin de te reposer. De l’avis de tes soutiens, tes deux mandats n’ont pas été de tout repos. Je ne veux pas me mettre sur le dos l’opposition qui trouve que ton passage à la tête du pays a été une calamité. Tu vois, Président, je parle déjà de toi au passé ! Je suis de ceux qui pensent que tu tiendras parole. Ce n’est pas parce que tu ne veux pas rester, à seulement 61 ans, mais parce que tu sais que c’est dans ton intérêt de partir maintenant.

Tu te reposeras de ce lourd fardeau qu’est la direction d’un pays pauvre. Un président qui est à la tête d’un pays nanti n’a aucun mérite. Il suffit seulement qu’il veille à la bonne redistribution des richesses. C’est pareil pour les vieilles démocraties où le pouvoir se pratique en coupe réglée. Un président qui échoue ne craint que le verdict des urnes, pas qu’un obscur officier décide, sur un coup de tête, d’être président à la place du président.

En partant comme tu l’as décidé, tu te reposeras ainsi de cette opposition qui crie, à qui veut l’entendre, que tes dix ans de règne n’ont servi qu’à mettre à sac un pays que ton successeur, choisi par ton camp ou issu de ses rangs, aura du mal à redresser. Je le répète, encore une fois, c’est l’avis de tes opposants. Les autres veulent ton maintien pour un autre mandat, voire plus, parce qu’ils pensent que « les réalisations doivent se poursuivre ». Un autre que toi sera-t-il capable de « préserver les acquis » ?

Tu as encore le temps de dire « oui » à ceux qui répètent, comme des enfants de chœur, le célèbre refrain de la chanson de Garmi, « Aziiz, laa temchi anna » (Aziz, ne nous quitte pas). Eh oui, parce que, franchement, on ne peut te refuser ce que la communauté internationale a accepté pour d’autres « présidents fondateurs ». Un « poète » conquis par la politique a même profité du festival de Walata pour rappeler qu’en Algérie, Bouteflika, cloué à son fauteuil roulant depuis plusieurs années, se représente pour la sixième fois ! A 84 ans, Paul Biya est à son septième exercice. Kagamé pourrait rester jusqu’en 2029 ! Et la liste est longue. Alors, pourquoi pas toi, fichtre ?

Oui, tes partisans ont raison de refuser que tu sois le « petit mur » de l’Afrique, toi un ancien général qui a su forcer le destin. Deux coups d’Etat au compteur, ce n’est pas rien ! C’est même une première dans le pays !

Moustapha Salek a poussé Daddah dehors, Louly a pris la place de feu Bousseif mais, au bout de quelques mois, Haidalla, l’a poussé « doucement », vers la sortie. Ensuite, Taya a profité d’une circonstance favorable, pour occuper le palais. Et ça a duré vingt ans ! Je ne te dis rien sur cette période parce que tu étais là, observant, apprenant et attendant ton heure qui a sonné un certain 05 août 2005. Ton coup du berger était imparable. Il était la réplique parfaite de celui joué par Taya à Haidalla. Ne dit-on pas que : « qui tue par l’épée, périra pas l’épée » ? Mais, heureusement que, lors de ton coup contre Taya, tout comme celui que tu mèneras trois ans plus tard contre Sidioca, aucune goutte de sang n’a coulé !

L’argument de tes partisans, pour justifier le troisième mandat ? Sa solidité tient à sa simplicité : Ce qui est permis pour certains présidents de républiques bananières, doit l’être pour les autres. Quand l’Occident ne dit rien, c’est qu’on n’est vraiment pas tombé dans la « ridda » (le sacrilège). Paris, Washington et Londres protesteront certes durant quelques jours ou semaines, le temps de donner l’impression qu’ils sont pour le respect de la démocratie, mais ils n’entreprendront rien, absolument rien, tant que leurs intérêts ne sont pas menacés.

Mais toi tu sais, par expérience, que l’appel au troisième mandat est un leurre, une perfidie même. Les mauritaniens soutiennent toujours un pouvoir, jamais un homme. Celui qui te succédera aura droit aux mêmes égards. Il sera applaudi et chanté, jusqu’au jour où il décidera de partir, s’il n’est poussé vers la sortie par un énième putsch.

Tu sais que tout est mensonge. Les initiatives et le reste. Tu n’as pas été aux côtés de Taya pour rien. Le Système n’a plus de secrets pour toi.

Qu’on t’aime ou pas, il y a une chose qu’il faut reconnaître : ta capacité à manœuvrer. On dit que tu n’as pas été sur le terrain de la guerre mais la politique est un champ de bataille tout aussi pernicieux. Les gens agissent sans honneur. L’important est de gagner. De tirer profit des situations favorables. C’est ce que tu fais depuis 2005. Dans le cockpit, avec Ely, ton cousin disparu mystérieusement, tu tenais parfaitement ton rôle de copilote. Jusqu’à l’achèvement de la transition militaire, en 2007, tu n’as rien laissé apparaître de tes intentions. Personne ne pouvait deviner, à l’époque, que tu allais être président à la place du président.

Avec Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, « le président qui rassure », la situation avait complètement changé. Le pilotage était devenu automatique. Le bon marabout tenait seulement la barre mais c’est toi qui avais fixé le cap. Tu savais que, dans deux ans au plus, tu serais arrivé à tes fins. Occuper la présidence de laquelle tu avais dégagé Taya, l’homme que tu as servi vingt ans durant ! Bravo général ! Pardon, bravo Monsieur le Président !

Actuellement, tu es encore maître du jeu. Mais demain? Ta volonté de quitter en 2019 a déjà provoqué un branle-bas de combat au sein de ton camp. Un « weylemak yel warrani » (gare au dernier) qui justifie amplement la volonté de ne pas rater le train des positionnements. Les hommes qui t’entourent, ceux ayant pris place dans les premières loges, sont à la recherche d’un surplus de notoriété. Le peuple est à la recherche d’un dauphin, et chacun espère qu’il sera de sa tribu ou de sa région. La succession est ouverte.

A SUIVRE

SNEIBA Mohamed

Source : Elhourriya (Mauritanie)