L’affaire du député et non moins leader antiesclavagiste Birame Dah Abeid, est devenue l’affaire d’un système politique dictatorial, qui au détour d’une plainte savamment orchestrée déposée par un pseudo-journaliste, en a fait une véritable chasse à l’homme.
L’objectif, au-delà d’une volonté d’empêcher un représentant du peuple de se faire entendre dans l’hémicycle d’un Parlement où il a réussi à se faire élire à partir de sa cellule de prison, est tout simplement de lui barrer la route pour les élections présidentielles prévues en 2019.
Ce plan machiavélique est servi par un appareil judiciaire caporalisé qui vient de décider, en violation de l’article 138 du Code Pénal, de déplacer le dossier pour en faire une affaire criminelle, donc une condamnation plus sévère qui pourrait lui faire perdre son statut de député et le mettre hors course pour la présidentielle, alors qu’elle relevait de la correctionnelle.
Cette inimitié contre un des adversaires les plus intransigeants du système esclavagiste et raciste qui dirige la Mauritanie depuis près d’une décennie, s’est manifestée dans toute sa fragrance, lors du transfert du leader de sa cellule de prison vers l’hôpital cardiologique suite à un malaise. L’image de l’homme, menottes aux poignets, descendant d’une ambulance, bien que destinée à satisfaire une clientèle esclavagiste, a heurté non seulement l’opinion publique nationale, mais le monde entier, qui s’est indigné de cette mise en scène inhumaine et dégradante.
C’est ainsi, la frustration refoulée contre une dizaine d’années de luttes acharnées contre un fléau qui continue de ternir l’image de la Mauritanie, ajoutée à une popularité grandissante d’un homme et d’un groupe, l’Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), qui est en train d’être soldée par les voies politiques et judiciaires.
Le système est en train de venger des dizaines d’esclavagistes, la plupart membres influents de la nomenklatura, qui ont été poursuivis et certains mis en prison, grâce au mouvement abolitionniste déclenché depuis l’émergence de l’IRA sur la scène publique.
Le tort qui est surtout reproché aujourd’hui à IRA et à son président, c’est d’avoir porté la lutte contre l’esclavage, le racisme et la discrimination en Mauritanie, sur le plan international.
Cette démarche fait suite à la mauvaise volonté des pouvoirs publics mauritaniens et de leur justice, qui au-delà d’un arsenal juridique séduisant contre l’esclavage, élevé au rang de crime contre l’humanité dans la Constitution, ont montré leur volonté délibérée de protéger les auteurs, car tous les verdicts prononcés dans les cas présentés devant les juridictions sont allés en deçà des peines minimums requis par les textes. Ces peines vont de 6 mois à 2 ans, avec des cas de prescription.
Pourtant, la Loi 031-2015 incriminant l’esclavage prévoit des peines minima de 20 ans de réclusion ferme et exclut toute prescription. Reste que les textes de loi et les juridictions spéciales chargées de juger les affaires d’esclavage en Mauritanie ont été conçues seulement pour la consommation extérieure et non pour leur application.
Dans ce pays, il y a plus d’activistes antiesclavagistes emprisonnés que d’esclavagistes avérés. Plus d’une centaine de dossiers traînent encore dans les tiroirs des tribunaux sans jugement. Les rares auteurs d’actes esclavagistes interpellés sont ainsi traités avec respectabilité, alors que les activistes des droits de l’homme, sont méprisés et violentés lorsqu’ils s’élèvent pour réclamer l’application de la loi.
Dans l’impossibilité d’avoir justice chez soi, des plaintes ont ainsi été déposées dans les pays dont les juridictions ont une compétence universelle, ou auprès d’autres instances comme la Cour Africaine des Droits de l’Homme. Celle-ci a été saisie par SOS Esclaves et IRA dans l’affaire des deux jeunes frères Said et Yarg.
A la suite de cette plainte, l’Etat mauritanien a été condamné par décision n°03/2017 du 15 décembre 2018, mettant en cause l’incapacité des juridictions mauritaniennes à faire preuve de partialité dans la poursuite des auteurs, couverts par l’impunité, et d’incapacité à protéger les victimes d’esclavage.
D’erreurs politiques en maladresses diplomatiques, le régime mauritanien salit de jour en jour sa réputation au regard de la communauté internationale, faisant de ce pays, l’un des plus grands prédateurs des droits de l’homme. Résultat, la Mauritanie perd des opportunités de financement, car après l’exclusion prévue en janvier 2019 des facilités de commerce avec les Etats-Unis (AGOA), l’USAID ferme l’un après l’autre, ses robinets dans des secteurs clés comme la santé.
Cheikh Aïdara