Dans son livre, Le soleil ne se lève plus à l’est, publié aux éditions Plon, l’ancien patron de la DGSE Bernard Bajolet livre quelques informations confidentielles sur l’Algérie et le Sahel. Pour lui, le leader terroriste Iyad Ag Ghali est sous protection.
RFI : Vous dites de Daech : « S’il a été vaincu sur le plan territorial il est en train de se reconstituer ».
Bernard Bajolet : Oui, même si le prestige de Daech a été affecté par ces pertes territoriales, son influence, pour autant, n’a pas complètement disparu. Et d’autre part, le traitement politique des situations qui sont à l’origine du terrorisme qui le favorise, ces situations politiques là doivent être traitées. C’est vrai pour l’Irak, c’est vrai pour l’Afghanistan, c’est vrai pour le Sahel.
Au Sahel, vous pensez aux communautés de la région, c’est ça ?
Au Sahel, il y a eu les accords d’Alger qui ont eux-mêmes été d’excellents accords, mais dont la mise en œuvre piétine à cause de la mauvaise volonté du gouvernement de Bamako et peut-être aussi des groupes du Nord qui ont leur propre agenda. Et je ne crois pas, pour ma part, à une réponse purement sécuritaire. Cette réponse sécuritaire est nécessaire, mais le problème de fond c’est la désespérance des populations du Nord. Qu’elles soient touarègues, Arabes bérabiches ou un peu plus au sud les Peuls, aussi, qui se sentent marginalisés. Donc si les gouvernements en question comptent résoudre ces problèmes par la force, ils n’y arriveront pas.
Vous semblez dire que dans la mauvaise application des accords d’Alger, le gouvernement de Bamako a plus de responsabilités que les groupes armés du Nord. Pourquoi ?
J’ai toujours eu le sentiment, et ça ce n’est pas nouveau, c’était vrai du temps, déjà, du président précédent, ATT (Amadou Toumani Touré), une certaine réticence à vouloir agir en direction de ces populations du Nord.
Alors justement, au Sahel, depuis un an et demi les groupes terroristes se sont mis sous la bannière du groupe de soutien à l’islam et aux musulmans – le GSIM -, et sous la bannière de Iyad Ag Ghali. C’est le signe d’un renforcement ou d’un affaiblissement ?
Iyad Ag Ghali est une personnalité qui a un certain prestige dans cette région, dont on peut tout à fait regretter qu’il soit devenu un chef terroriste. Et qui, je le pense, vous me permettrez de ne pas être trop spécifique, bénéficie de toute évidence de certaines protections.
Et certains soupçonnent Bamako de pratiquer un double jeu avec Iyad Ag Ghali. C’est-à-dire de le combattre le jour et de parler avec lui la nuit.
Je n’irais pas jusqu’à dire cela et je n’ai pas d’éléments qui me permettraient d’aller dans ce sens. Mais, encore une fois, Iyad Ag Ghali bénéficie de certaines protections. C’est vrai.
On n’entend plus parler de Mokhtar Belmokhtar depuis deux ans. Qu’est-il devenu ?
Je pense qu’on n’en entend plus parler sans doute pour de bonnes raisons. Mais voilà, je n’en dirai pas davantage.
C’est-à-dire qu’il n’est plus de ce monde ?
Dieu seul le sait.
Quand vous dites que Iyad Ag Ghali est sous protection, vous pensez notamment à l’Algérie ?
Je ne veux pas être plus spécifique. Mais je pense qu’il bénéficie, en effet, de l’indulgence de certaines parties, mais je ne les nommerai pas.
Y a-t-il un délitement de l’Etat algérien qui profite aux trafiquants et aux terroristes ?
Je n’emploierais pas le terme de « délitement » et les trafics se passent plutôt aux frontières sud de l’Algérie.
En tout cas, il y a un problème dans le Sud algérien.
Il y a un problème en tout cas dans les territoires au sud de ce pays.
Le 20 septembre dans Le Figaro vous avez dit : « Le président Bouteflika, avec tout le respect que j’éprouve pour lui, est maintenu en vie artificiellement et rien ne changera dans cette période de transition ».
Je crois que j’ai été assez clair là-dessus. Je ne veux pas y revenir.
Et vous avez écrit dans votre livre que quand vous étiez ambassadeur entre 2006 et 2008 vous avez été pris de vertige par les sommets que la corruption avait atteints, touchant jusqu’à la famille du président Bouteflika.
Oui, d’ailleurs ce n’est un secret pour personne, puisque ça l’était jusqu’au moment où WikiLeaks a publié un télégramme de compte-rendu de mon collègue américain d’une conversation que nous avions eue, où j’évoquais ces questions-là. Et je dois dire qu’en lisant, en découvrant ce télégramme trois ans après, j’ai trouvé que l’ambassadeur avait reproduit très fidèlement mes propos.
En vue de l’après-Bouteflika, est-ce que cette succession à venir est ouverte ou elle se fera dans le même cercle ?
Il faut demander aux Algériens. Je ne veux pas me prononcer davantage.
Mais au vu des limogeages récents et notamment de Toufik Mediène, l’ancien chef des services de renseignement algériens, comment vous voyez la suite ?
Ces mouvements que l’on constate ici et là, en effet, montrent que la suite se prépare. Mais quelle est cette suite ? Je n’en sais vraiment rien.
Mais de façon plutôt ouverte ou de façon plutôt fermée ?
Pour ma part, je ne vois pas – actuellement -, beaucoup de facteurs d’ouverture.
D’où le limogeage, peut-être, de Toufik Mediène ?
Encore une fois, je ne vais pas commenter spécifiquement cet épisode.
La visite d’Emmanuel Macron chez la veuve de Maurice Audin, la reconnaissance que l’armée française a torturé jusqu’à la mort pendant la guerre d’Algérie, est-ce que cela vous a choqué, vous, l’ancien ambassadeur de France ?
Pas du tout. Je crois qu’on aurait dû le faire bien plus tôt, même. Je pense qu’Emmanuel Macron a eu parfaitement raison de le faire. C’est une justice qui devait être rendue. Et je précise qu’il s’agit d’abord d’un problème franco-français.
Ce travail de mémoire, est-ce qu’il se fait de deux côtés, algérien comme français ?
Il y a eu des avancées. Mais c’est sûr que je trouverais intéressant que les archives du FLN soient aussi ouvertes.
Est-ce que vous estimez qu’en Afrique la Chine exerce une politique qui est digne de son statut de grande puissance ?
La Chine s’apprête à accueillir le statut de première puissance mondiale et je pense que ceci ne peut pas se faire sans un certain nombre de principes. Par exemple, quand on réunit les chefs d’Etat africains pour leur dire : « Nous allons vous effacer la dette, nous allons vous soutenir, mais nous n’exigerons absolument rien en retour ». Je trouve que ça ne paraît pas en ligne avec les principes des Nations unies en matière de bonne gouvernance. Donc on ne peut pas, comme ça, dire faites tout ce que vous voulez. Quand on s’apprête à prendre une telle responsabilité, on ne peut pas dire faites ce que vous voulez. Un problème qui m’a aussi beaucoup choqué dans mes pérégrinations en Afrique, notamment récemment, c’était le peu de qualité de la gouvernance. Par exemple, je ne citerai pas de noms, mais j’ai eu le mauvais exemple d’un chef d’Etat, qui par l’intermédiaire d’un homme de paille, avait claqué 30 millions d’euros en quelques mois dans un casino pour recycler de l’argent et qui ensuite venait réclamer une aide budgétaire.
A un chef d’Etat africain ?
A un chef d’Etat africain. On ne peut pas totalement ignorer les problèmes de gouvernance. C’est un mauvais service qu’on rend à l’Afrique et qu’on rend aux peuples africains.
Page 433 vous écrivez : « Ces derniers temps je n’ai cessé de penser aux otages assassinés. Je n’oublie pas notamment les deux journalistes de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, assassinés près de Kidal en novembre 2013 ». Alors, cinq ans après, presque jour pour jour, vous voilà dans ce studio de RFI, où Claude et Ghislaine ont été. Ghislaine de ce côté de la vitre, Claude de l’autre côté. Comment vous sentez cela ? Est-ce que vous gardez un souvenir précis de ce drame ?
Bien sûr ! C’est un drame qui m’a marqué et je pense à eux en ce jour à cet endroit encore plus que jamais. Je ne rentrerai pas dans les détails parce que c’est un sujet qui continue à faire l’objet d’une instruction, d’une procédure judiciaire…
Avec le juge Jean-Marc Herbaut…
Voilà… Mais je crois pouvoir dire ici que les coupables sont identifiés. Donc ce qu’on peut souhaiter c’est qu’en effet, la lumière soit faite, que les familles, leurs confrères, leurs collègues sachent exactement ce qui s’est passé et que les coupables, dans la mesure où ils sont encore en vie, répondent de leurs actes devant la justice.
Source : RFI