L’ONG SOS-Esclaves, connue pour sa lutte pour les droits de l’homme, notamment contre l’esclavage en Mauritanie, a clos dimanche 30 septembre 2018, son 3ème Congrès ordinaire dont l’ouverture a eu lieu vendredi au siège de l’organisation.
Trois jours de conclave au cours desquels, les différentes commissions, celle chargée de la révision des textes, celle chargée de l’étude du Manuel de procédures et celle chargée de l’étude de la protection de l’enfance, ont restitué les résultats de leurs travaux et formulé des recommandations. Un nouveau bureau exécutif a été élu et le président sortant, Boubacar Ould Messaoud, a été reconduit sans surprise à la tête de l’organisation.
La cérémonie d’ouverture de ce 3ème congrès a été marquée par la présence d’éminentes personnalités de l’opposition, notamment des présidents de partis comme Ahmed Ould Daddah du Rassemblement des Forces Démocratiques (RFD), Mohamed Jemil Mansour de Tawassoul, Mohamed Ould Maouloud de l’Union des Forces du Progrès (UFP), Samory Ould Bèye de Mostaqbel, des personnalités de la société civile, comme le président de l’Ordre national des avocats, Me Cheikh Ould Hindi, l’avocat Me Brahim Ebetty, l’ancien ministre et coordinateur de la coalition RAG/Sawab, Oumar Ould Yali, Sarr Mamadou du FONADH, la député Khadiatou Malik Diallo.
L’occasion fut surtout empreinte du discours-bilan prononcé par le président Boubacar Ould Messaoud, entouré d’éminents membres fondateurs et sympathisants de SOS-Esclaves, à l’image du Pr.Cheikh Saad Bouh Kamara, l’ancien ambassadeur Ely Ould Allaf, président du Congrès, pour ne citer que ceux-là.
L’Union européenne était aussi représentée, à travers Pierre Yves-Renaud, tout comme les délégués de Minority Rights Group International, partenaires de SOS-Esclaves. Boubacar Ould Messaoud a déploré l’absence des autorités malgré selon lui, l’invitation qui leur a été adressée, considérant la présence de Dahmoud Ould Abdatt, conseiller du Ministre de la Justice comme découlant de lui-même, puisqu’il est membre de l’organisation.
C’est le bilan de plus de 23 ans de lutte pour les droits humains et l’éradication de l’esclavage que Boubacar Ould Messaoud a évoqué, se réjouissant des étapes franchies et des difficultés surmontées avec toujours ce même objectif en ligne de mire, une Mauritanie réconciliée avec elle-même, débarrassée de toute forme d’injustice.
Pour lui, « la lutte pour l’éradication de l’esclavage doit être l’affaire de tout le monde », et qu’aucune « communauté ni organisation n’en détient le monopole ». Il faudrait selon lui combattre l’esclavage en milieu maure et avec la même fermeté en milieu négro-africain où « parfois les préjugés qui s’y rattachent et les pratiques qui en découlent dépassent l’entendement » a-t-il précisé.
Ainsi, pour le président de SOS-Esclaves, le troisième congrès qui vient de se dérouler a été l’occasion pour les congressistes de renouveler l’engagement qui était le leur, celui de faire de leur organisation un outil de promotion de tous les droits humains en général et d’éradication de l’esclavage en Mauritanie, en particulier.
C’est dans ce cadre que Boubacar Ould Messaoud a cité les cas d’esclavage que son organisation a présenté devant les juridictions nationales entre 2008 et 2011, avec en apothéose, l’affaire des deux frères Said et Yarg, et la première condamnation d’esclavagistes, même si cette condamnation ne fut que symbolique, car selon lui, elle n’a été d’aucune conséquence, le prévenu ayant bénéficié d’un allègement de peine et libéré au bout de quelques temps.
Sur le plan de l’appui et de l’accompagnement des victimes d’esclavage ou de ses séquelles, SOS-Esclaves a bénéficié selon son président de 18 projets dans 8 régions du pays, avec l’appui de ses partenaires, Anti-Slavery et Minority Rights Group, mais aussi de quelques donateurs étrangers et nationaux.
Ces appuis ont servi, selon lui, à l’assistance judiciaire, aux moyens de libération des victimes ou de leur convoyage, mais aussi en termes de fonds d’urgence pour l’insertion, et le renforcement de capacités des groupes de soutien des membres qui assurent les activités d’accompagnement, d’aide et de soutien aux victimes, mais aussi en termes de sensibilisation et d’information des communautés autour de la législation, entre autres.
Parmi les difficultés rencontrées par SOS-Esclaves dans son combat pour les droits humains et la lutte contre l’esclavage en Mauritanie, Boubacar Ould Messaoud a cité la non indépendance de la justice, la complicité implicite ou explicite de nombreux responsables de l’administration et de la sécurité face aux pratiques esclavagistes, les difficultés à créer une jurisprudence, à instaurer le dialogue constructif avec l’Etat, à constituer un fonds propre de l’association, à avoir suffisamment de documents légaux, entre autres.
A la fin de son discours, le président Boubacar Ould Messaoud a demandé à l’assistance d’observer une minute de silence et la récitation de la Fatiha à la mémoire de personnalités disparues qui ont marqué de leur vivant la lutte pour la promotion des droits humains et la lutte contre l’esclavage en Mauritanie, à l’image du diplomate Mohamed Said Ould Homody ; l’ingénieur Niang Abdoul Aziz, le professeur Mohamed Mahmoud Ould Breihmatt, Elhadj Ould Shaba, Ethmane Ould Mahmoud Ould Souweiloum, ou plus récemment le juge Bâ Aliou.
Cheikh Aïdara
L’intégralité du discours de Boubacar Messaoud lors du troisième congrès de SOS-Esclaves
Honorables invités
‘Le troisième congrès de notre organisation dont nous célébrons aujourd’hui les festivités intervient à un moment particulièrement important d’un processus de lutte enclenché bien avant la création de l’organisation en 1995 pour tous les droits de l’homme en général et pour l’éradication de l’esclavage en particulier.
Ainsi, après plus de vingt-trois ans de combat ponctué de hauts et de bas, SOS-Esclaves se réjouit aujourd’hui d’avoir réalisé certains succès qui lui permettent d’entretenir l’espoir de voir un jour une Mauritanie réconciliée avec elle-même et départie de toute injustice sociale où la promotion de tous les droits est une réalité et où le Mauritanien de toutes les communautés nationales n’est plus qu’un Citoyen.
La lutte pour son éradication doit être l’affaire de tout le monde. Aucune communauté ni aucune organisation n’en détient le monopole. Surtout que cette pratique est commune à toutes les communautés nationales.
Autant l’esclavage doit être combattu en milieu Arabe, autant il doit l’être dans les milieux négro-africains (Soninké, Poular et Wolof) où parfois les préjugés qui s’y rattachent et les pratiques qui en découlent dépassent l’entendement.
Ce troisième congrès constitue donc pour nous une occasion de renouveler l’engagement de SOS-Esclaves de rester comme toujours une organisation de lutte pour la promotion de tous les droits humains en général et pour l’éradication de l’esclavage en Mauritanie en particulier à travers le soutien inconditionnel à toutes les victimes de violations quelque soient leurs origines sociales contre tous les oppresseurs de quelque communauté qu’ils soient.
SOS-Esclaves adopte une approche pacifique basée sur la légalité et le respect des textes et lois en vigueur dans le pays sans jamais accepter ni la moindre concession ni la moindre compromission.
C’est dans ce contexte qu’agit SOS-Esclaves dénonçant l’esclavage par ascendance et portant au niveau des juridictions les cas qui lui sont soumis par les victimes ou leurs proches. De 2008 à 2011, les cas sont le plus souvent requalifiés en conflit de travail, ou en exploitation des mineurs, ou impossibilité de contact des prévenus qui sont supposés être ailleurs que sur le sol mauritanien. A partir de 2012 avec le cas de Said et Yarg, la juridiction décide d’une peine aux auteurs de crime d’esclavage en dessous de celles prévues par la loi, peine malheureusement non suivie d’effet, le prévenu ayant bénéficié d’un allégement de peine en contrôle judiciaire.
Il est constaté une obstruction instaurée en système par les autorités pour dissimuler toute tentative d’information sur les cas de violation des droits humains en général et une banalisation des cas d’esclavage en particulier.
En 8 ans, l’association a pu gagner 18 projets mis en œuvre diversement dans 8 régions du pays sur toutes les thématiques concernant l’esclavage ; ces projets ont été mis en œuvre soit avec les partenaires Anti Slavery International, Minority Rights Group avec des financiers de donateurs internationaux ou sur levée locale des fonds de donateurs étrangers et nationaux.
Les projets ont servi essentiellement à la prise en charge des victimes en termes d’assistance juridique, en termes de moyens pour la libération et le convoyage des victimes, en termes de fonds d’urgence contribuant à leur réinsertion, et en renforcement de capacités des groupes de soutien des membres qui assurent l’ensemble des activités d’accompagnement, d’aide et de soutien aux victimes, mais aussi les sensibilisations et l’information des communautés autour de la législation, les difficultés et défis des victimes, les difficultés que rencontre l’association à poser une bonne jurisprudence, et aussi à alimenter un plaidoyer pour l’amélioration de la prise en charge des questions de l’esclavage.
L’association a connu beaucoup de difficultés mais aussi beaucoup de succès importants qui tendent tous vers une vérité essentielle : c’est de faire plus qu’il n’a jamais été fait pour que l’organisation soit plus forte par son existence et sa présence sur tous les terrains, ses activités vers les victimes et survivants de l’esclavage, vers les communautés nationales et internationales.
Elle doit renforcer les outils juridiques pérennisant son existence : manuel de procédure, statuts, règlement intérieur, politique de protection de l’enfance, politique contre le harcèlement des femmes, etc.
Principales difficultés de 2010 à 2018
L’exercice de répertorier les difficultés de l’association s’avère en soi une difficulté. Les défis sont d’autant plus nombreux et contextuels que les meilleurs résultats :
– N’avoir pas eu le statut de partie civile a longtemps limité l’action de l’association à l’endroit des victimes
– Malgré les moyens humains et matériels investis dans les dossiers, malgré la célérité commandée par la loi, il est difficile de les programmer.
– La non indépendance du pouvoir judiciaire de l’exécutif
– La complicité implicite ou implicite de nombreux responsables de l’administration et de la sécurité face aux pratiques esclavagistes
– La non indépendance de l’agence chargée de l’éradication de d’esclavage
– La non mise à niveau des mesures d’accompagnement à la loi (tribunaux, police et gendarmerie spéciale, services sociaux dédiés), centres d’écoute et de suivi psychologique non existants)
– Difficultés de créer une jurisprudence
– Difficultés d’instauration d’un dialogue constructif avec l’Etat
– Difficultés de constituer un fonds propre de l’association
– L’insuffisance des documents légaux : (1) manuel de procédure, (2) statut et règlements intérieurs, (3) politique de protection de l’enfant, (4) politique de protection contre le harcèlement des femmes, (5) politique contre la corruption
– Communication interne de l’association et la gestion des conflits sont à améliorer
Principaux meilleurs résultats 2010 à 2018
De 2010 à 2018 l’association a enregistré des résultats importants :
Elle a eu l’opportunité avec l’appui des partenaires :
– De se positionner comme une des associations ayant acquis l’expertise sur les questions liées à l’esclavage par ascendance
– D’assurer un suivi et accompagnement des victimes sans interruption de 2008 à 2018.
– D’avoir eu à son compte (1) le procès de Salma Mint Ahmed Koïry et Oum El Ide Mint Salem Tayvour, esclaves de Madame Oumelmouminine Mint Boubakar Vall, cadre à la BCM, dossier traité sous la loi contre la traite des personnes, (2) procès de Said et Yarg tenus en esclavage par la famille de Monsieur Cheikh Ould Hassine à Lemden dans les environs d’Aleg au Brakna, (3)procès de Mboirika Mint Khdeija Mint Ahmed à Néma, tenue en esclavage par Mme M’Teytou Mint boba, d’Echemim (30 km Nord Est de Nema), procès de Vatma Mint Hamody et de Vatma Mint Zaida de Néma, tenues en esclavage par les sieurs Hanana Ould Sidi Mohamed et Khllihina Ould Haymad, procès de Rabi’a et ses sœurs à Nouadhibou où pour la première fois l’association use sans coup férir de son statut de partie civile.
– D’assurer un appui institutionnel continu pour les bureaux de Nouakchott de 2008 à 2018, Néma et Atar de 2011 à 2019, de Bassiknou de 2013 à 2019.
– D’avoir la propriété d’un siège national, une grosse acquisition qui assure une pérennité de l’association.
– D’avoir la propriété de 3 véhicules
– De donner mensuellement à 132 personnes un pécule qui va des indemnités à des contributions au transport et communication
– D’avoir une base de données des victimes accompagnées depuis 2008
– D’avoir mis en œuvre 18 projets sur diversement les thématiques :
a) du travail des enfants harratines, des droits des femmes harratines,
b) l’assistance juridique des survivants à l’esclavage,
c) la sensibilisation des populations autour de la loi et de la problématique de l’esclavage,
d) la mise en œuvre d’AGRs pour les femmes et les hommes,
e) l’alphabétisation des femmes et des enfants survivants et descendants d’esclaves,
f) Formation des femmes Harratines en métiers
g) un plaidoyer au niveau régional et international autour de toutes les questions liées à l’esclavage
h) un accroissement de la population des membres
h) une renommée et une expertise sur l’esclavage en Mauritanie
i) des alliances fortes au niveau national, régional, international
j) Appui à l’Association Mauritanienne pour l’Eradication de l’Esclavage et de ses Séquelles (AMEES) dans la lutte contre les pratiques esclavagistes à Coumba Ndaw, région du Guidimakha
Je voudrai rendre un vibrant hommage à d’illustres militants de SOS-Esclaves aujourd’hui disparus qui ont chacun selon ses capacités et ses compétences contribué efficacement au travail de l’organisation. Je veux citer :
Le diplomate Mohamed Said Ould Homody
L’ingénieur Niang Abdoul Aziz
Le professeur Mohamed Mahmoud Ould Breihmatt
Elhadj Ould Shaba
Ethmane Ould Mahmoud Ould Souweiloum
Je vous appelle tous à l’observance d’une minute de silence et à la lecture de la Fatiha pour le repos de leurs âmes.
Mesdames, Messieurs, Honorables invités
Mesdames, Messieurs les congressistes
Au nom de SOS-Esclaves et à mon nom personnel, je vous adresse mes vifs remerciements et ma profonde gratitude pour l’honneur que vous nous faites en acceptant de venir partager avec nous ce moment décisif de l’histoire de notre organisation.
Mes remerciements vont aussi à tous nos partenaires nationaux et internationaux sans lesquels les succès précités n’auraient pas été possibles. J’invite enfin les congressistes à de laborieuses réflexions pour apporter toutes les contributions positives de nature à permettre à leur organisation d’améliorer ses prestations pour la promotion de tous les droits de l’homme en Mauritanie, en Afrique et dans le Monde.
Je vous remercie.’
Nouakchott, le 28 Septembre 2018
Source : L’Authentique (Mauritanie)