Le 28 août, Mohamed Ould Bouamatou a publié un brûlot d’une rare violence contre le président Mohamed Ould Abdelaziz. Dans ce texte intitulé « Appel à la résistance contre la tyrannie », l’homme d’affaires, 64 ans, accuse son lointain cousin de la tribu des Ouled Bousbaa d’être un « dictateur » qui bafoue les libertés publiques et fait « main basse sur les biens de l’État ».
Il ne craint pas l’outrance quand il accuse son parent d’avoir instauré un « terrorisme d’État […] pire que le terrorisme qui sévit contre les populations dans la région du Sahel ». Il est vrai qu’il confesse « regrette[r] aujourd’hui d’avoir » soutenu en 2009 le coup d’État d’Aziz, qu’il accuse de ne pas avoir tenu ses promesses d’alors.
Bouamatou appelle en outre à « la désobéissance civile » et convoque dans cette rébellion les jeunes, les consommateurs, les salariés, les contribuables, les dockers, les agriculteurs, les pêcheurs et tous ceux qui n’ont pas trouvé une place sur les listes des candidats de la majorité. Il appelle à l’union de toutes les oppositions pour que se réalise son « vœu le plus cher de voir la Mauritanie devenir la Norvège de l’Afrique de l’Ouest » grâce à « un raz-de-marée [électoral] qui emportera le tyran et ses acolytes ».
S’il demande la suppression du Basep, le Bataillon de la sécurité présidentielle, habitué des coups d’État, il prend la peine d’adresser un « vibrant hommage » à l’armée, sans laquelle rien ne se fait en Mauritanie.
Riche mécène
Pourquoi cet homme d’affaires discret, voire secret, régulièrement qualifié de « milliardaire », est-il sorti du bois si spectaculairement, lui qui a toujours été proche des pouvoirs mais peu adepte de la lumière qui leur est associée ? De la boulangerie à la confiserie, des cigarettes au bouillon, puis à la banque (Générale de Banque de Mauritanie – GBM), l’assurance, la téléphonie, le ciment et le transport aérien, il a amassé une fortune dont il a généreusement fait profiter une foultitude d’institutions et d’individus : mosquées, hôpital ophtalmologique totalement gratuit (d’un coût de 1,5 à 2 millions d’euros par an), ONG, armée (lorsqu’elle était démunie), associations de femmes, lycée français (pour lequel le Français Dominique Strauss-Kahn a demandé pour lui la Légion d’honneur, en vain), membres des juntes accédant au pouvoir et quasiment tous les opposants.
Toute la Mauritanie est un peu redevable à celui qui voudrait être reconnu comme une sorte de mécène comparable à George Soros, le milliardaire américain d’origine hongroise, ou à Mo Ibrahim, le milliardaire anglo-soudanais.
Qui a blessé qui ?
Après avoir financé la campagne électorale de Mohamed Ould Abdelaziz en 2009, il a pris de plus en plus ses distances avec le président élu, jusqu’à lui vouer une véritable haine. Les avis sont variés sur les raisons de cette rupture. L’un prétend que Bouamatou s’imaginait pouvoir développer ses affaires avec le nouveau régime comme il l’avait fait avec le frère du précédent président, Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya, et qu’il a été blessé par le refus d’Abdelaziz de le favoriser alors que celui-ci avantageait son clan.
Un autre date la brouille d’un jour de 2010, sur le tarmac de l’aéroport de Bamako, parce que Bouamatou aurait demandé à Aziz, d’un ton comminatoire, la nomination d’un de ses amis et que le président n’a pas supporté cette outrecuidance. Qui a blessé qui ?
Toujours est-il que, malgré les efforts de Ahmed Ould Hamza, ancien président (RFD) de la communauté de Nouakchott et autre membre de la tribu des Ouled Bousbaa, le fossé entre les deux hommes n’a fait que croître, Bouamatou laissant à ses proches le soin de démolir la réputation du chef de l’État mauritanien sur la scène publique domestique et internationale.
Le tournant de 2017
Jusqu’à la réforme constitutionnelle de 2017. La fuite au Sénégal de son principal collaborateur, Mohamed Ould Debagh, et un accident mortel de la route causé par le sénateur Mohamed Ould Ghadda donnent lieu à des investigations – dont la légalité est contestée – dans leurs téléphones et ordinateurs.
Ce qui en ressort convainc le président Aziz que Bouamatou a soudoyé les sénateurs qui ont empêché l’adoption par la voie parlementaire de la réforme supprimant le Sénat, l’obligeant à recourir au référendum, et qu’il a financé des journalistes et des syndicalistes pour saboter ses projets. Un mandat d’arrêt international est lancé contre Bouamatou et Debagh le 1er septembre 2017. L’homme d’affaires demeure silencieux, si ce n’est par l’intermédiaire de ses avocats et de ses proches, bien qu’il ait été prié par le Maroc – à la demande de la Mauritanie – de quitter Marrakech, où il résidait avec sa famille.
L’intéressé n’ayant pas répondu aux questions de Jeune Afrique, il est difficile de savoir la vraie raison de son pamphlet virulent publié le 28 août. Est-ce parce que « des barbouzes étrangers sont payés pour attenter à [sa] vie », comme il l’écrit dans son « Appel » ?
Est-ce parce qu’il juge le moment opportun pour empêcher le président de remporter massivement les élections et de pouvoir ainsi modifier la Constitution afin de se représenter pour un troisième mandat, à ce jour anticonstitutionnel ?
Ou bien parce que ses avoirs financiers ainsi que ceux de Debagh ont été mis sous séquestre, à la mi-août, par la Caisse des dépôts et du développement, dans le cadre de l’enquête sur la corruption des sénateurs ouverte l’an dernier ?
L’opposition (FNDU, Tawassoul, RFD…) a alors crié au « hold-up » et à une atteinte à la propriété privée. Dans la majorité présidentielle, on fait valoir que Bouamatou tentait de mettre en faillite sa banque, la GBM, en transférant subrepticement des fonds dans d’autres établissements. Pour lui, cette saisie n’est pas grave, car sa fortune est localisée à New York, Dubaï, Genève ou Dakar notamment. Mais l’opposition mauritanienne est définitivement privée d’argent pour faire campagne et l’hôpital ophtalmologique de Nouakchott risque de ne plus avoir les moyens de sa gratuité.
Jusque-là, on pensait que l’homme d’affaires rêvait surtout de créer le « Prix du chef d’État le plus corrompu », afin de pouvoir le faire décerner à son cousin détesté. Il est possible qu’à force de « lui pourrir la vie », celui-ci ait fini par l’inciter à se lancer en politique à visage découvert, à l’instar d’un Patrice Talon, milliardaire devenu président du Bénin en partie pour se venger de son prédécesseur.
Par Alain Faujas
Source : Jeune Afrique