Oumar Yali, ancien ministre de l’Hydraulique et de l’Energie sous Sidi Ould Cheikh Abdallahi, tête de liste des Régionales de la coalition Sawab/RAG, est le principal artisan du rapprochement entre les Baathistes dirigés par Adessalam Horma et le mouvement antiesclavagiste IRA et son leader, Birame Dah Abeid.
Celui-ci est incarcéré depuis plus de deux semaines, alors qu’il est candidat à la députation et déjà promis candidat à la présidentielle de 2019. Oumar Yali revient sur le climat politique délétère qui prévaut actuellement à quelques encablures d’un scrutin compliqué prévu le 1er septembre prochain, mais aussi sur l’arrestation de Birame Dah Abeid.
L’Authentique : quelle analyse faite-vous de la joute électorale en cours ?
Oumar Ould Yali : je considère que les élections en cours ont été mal préparées par l’ensemble de la classe politique, aussi bien par le pouvoir que par l’opposition. Je crois en effet que le fait d’avoir prévu des élections sans l’implication de tous les acteurs présentent des risques.
En effet, la Commission électorale nationale indépendante (CENI), pièce maîtresse des opérations de vote, n’est pas représentative des partis en lice, car l’opposition qui représente la majeure partie des acteurs engagés dans les scrutins est totalement absente de cette structure. Une telle situation ne peut qu’être préjudiciable à la crédibilité des résultats attendus et présente un danger potentiel.
L’Authentique : la coalition Sawab/RAG qui est engagée dans les élections semble particulièrement être visée par le pouvoir qui a mis hors scène politique son candidat et tête de liste nationale pour la députation, Birame Dah Abeid. Pensez-vous réellement que le pouvoir en veut à Sawab et à IRA d’avoir conclu une telle alliance ?
Oumar Yali : le pouvoir ne nous en veut pas à cause de cette alliance ; celle-ci n’est en fait que la goutte qui a fait déborder le vase de l’hostilité que le régime en place a toujours voué au mouvement IRA et à son leader, Birame Dah Abeid.
Le mouvement IRA, avec ses militants et ses cadres, a toujours été, depuis sa création, dans le collimateur du pouvoir actuel qui ne lui a jamais fait cadeau en termes d’exactions, d’emprisonnements, de brimades, s’il ne dépense ses dernières énergies pour y provoquer des dissensions, saper ses fondements et le disloquer.
En vain. Il suffit juste de remarquer que le pouvoir a toujours refusé la moindre reconnaissance à IRA, mais chaque fois qu’il parvient à recruter un cadre dissident d’IRA, il lui accorde aussitôt un récépissé pour créer un parti politique ou une ONG.
Ce qui prouve que c’est IRA et ceux qui continuent à militer au sein de ce mouvement qui sont particulièrement visés, sans parcimonie, par le régime. Une cabale en dix ans d’existence qui a fini par devenir de la véritable persécution. En fait, de toutes les oppositions, c’est IRA qui gêne le pouvoir.
L’Authentique : pourtant, vous êtes restés longtemps en dehors de la politique, qu’est-ce qui explique aujourd’hui votre retour sur scène ?
Oumar Ould Yali : c’est vrai que je suis resté quelques années en marge de la scène politique, déçu que j’étais aussi bien par la majorité présidentielle que par l’opposition, pour le peu de cas que les acteurs de tous les bords politiques faisaient de l’avenir de ce pays et de son peuple.
J’ai cependant été attiré par la philosophie et le combat du mouvement IRA et de son président, mais surtout de la base du mouvement, composée de milliers de jeunes qui n’aspirent qu’au changement.
J’ai remarqué tout au long des dix années de combats qu’ils mènent, semées d’exactions, d’emprisonnements, de brimades, de tortures, d’injustice, ils sont restés dans une philosophie de la non-violence qui force l’estime et la considération. Ces jeunes n’ont jamais fait preuve de violences, alors qu’à leur âge et avec toutes ces iniquités subies, ils pouvaient mettre le feu au pays.
Si aujourd’hui, on devrait décerner la palme de la quiétude et de la stabilité sociale en Mauritanie, c’est aux jeunes d’IRA que cette distinction doit revenir. C’est pourquoi j’assume entièrement la responsabilité qui m’est confiée au sein du mouvement iRA. Je me sens également fier d’avoir mené à bon terme la mission qui m’a été confiée, celle de chercher un parti politique sous la bannière de laquelle les cadres du mouvement IRA pouvaient participer aux élections générales prévues en septembre prochain.
En effet, le parti RAG, aile politique d’IRA, qui avait déposé un dossier de reconnaissance a été débouté par le pouvoir et toute candidature indépendante a été bannie ; il s’agit-là d’une disposition qui vise essentiellement Birame et le mouvement IRA, depuis leur performance aux élections présidentielles de 2014.
L’Authentique : comment en êtes-vous arrivés à cette alliance avec Sawab ?
Oumar Ould Yali : en fait, je suis parvenu à prendre contact avec 16 partis politiques, avec lesquels j’ai procédé à l’analyse de la situation politique, économique, sociale et culturelle du pays, avec de rudes négociations à la clé. J’ai discuté avec eux des élections programmées et des formes de collaboration qui pourraient naître entre eux et le mouvement IRA.
C’est avec Sawab que les discussions ont été les plus avantageuses pour les deux parties. Nous étions d’accord sur tout, sur la composition des listes, même si pour les têtes de listes, nous avons dû négocier plus âprement.
Il fallait juste décanter quelques questions, comme cette souveraineté que le parti Sawab voulait s’accorder sur le choix des têtes de liste ; mais il a fallu peser sur la balance ce qu’apportait IRA, en termes de popularité, et ce qu’apportait Sawab, en termes de cadre légal d’expression. Là, j’avais considéré Birame Dah Abeid, comme le candidat le mieux placé, eu égard à son aura, aussi bien sur le plan national qu’international.
Aucun Mauritanien, à mon avis, n’a jamais atteint un tel degré de popularité. Ensuite, il est le denier homme politique à avoir pris contact avec l’ensemble de la population sur toute l’étendue du territoire national, grâce à la campagne présidentielle qu’il avait menée en 2014. Donc, il était le mieux placé pour occuper la tête de liste nationale pour les députations au nom de la coalition Sawab/RAG.
Argument imparable, d’autant que je considère que cette alliance est une bénédiction, tellement je suis convaincu que la Mauritanie ne peut être construite que par l’ensemble de ses fils, par-delà la couleur de leur peau ou leur appartenance sociale ou culturelle.
En fait, il y a des contre-vérités qu’il faut vite rétablir. Une partie de l’opinion considère que les Baathistes sont racistes, tout comme d’autres considèrent le mouvement IRA comme raciste.
Ce qui n’est pas vrai. Cette alliance entre Sawab, considérée comme un parti raciste d’obédience maure, et IRA considérée elle-aussi comme un mouvement raciste d’obédience harratine et négro-africaine, est une pierre solide ajoutée à l’unité nationale.
Ce mariage concoure à la cohésion sociale et au changement dont rêvent les Mauritaniens. Pour démontrer cette assertion, la coalition a mis en tête de liste nationale des femmes, une Négro-africaine, Coumba Dado Kane, nous avions aussi proposé un homme politique emprisonnée, Mohamed Ould Ghadde, même s’il a désisté tout en exprimant sa reconnaissance, une veuve d’un ancien officier négro-africain victime des évènements 89/91 et une ancienne esclave libérée des chaînes de la servitude.
Avec de telles figures emblématiques à l’Assemblée Nationale, ce sont de nouvelles voix qui seront entendues et d’autres causes. C’est là le changement que la coalition Sawab/RAG compte apporter à la scène politique.
L’Authentique : Birame est emprisonné depuis plus de deux semaines. Quel regard portez-vous sur sa mise hors scène, à l’entame d’une campagne électorale décisive et à laquelle il s’est préparé depuis de longs mois ?
Oumar Ould Yali : j’ai publié une déclaration dès que j’ai appris son arrestation. Pour moi, arrêter un simple citoyen dans ces circonstances et dans le contexte électoral que nous connaissons, est déjà une très mauvaise décision, que dire d’un leader et d’une personnalité de l’envergure de Birame Dah Abeid.
Quand j’ai appris que son arrestation est survenue après une plainte déposée par un journaliste, j’ai aussitôt pensé à toutes ces plaintes que la justice mauritanienne n’a jamais accepté de recevoir, comme celle d’Aminetou Mint Mokhtar, présidente de l’ Association des Femmes Chefs de Famille (AFCF), qui a été insultée et sa tête mise à mort sur le plateau d’une télévision par un certain Ould Dahi.
Combien de personnes ont publiquement réclamé la tête de Ould M’MKheïtir en public, avec même quelqu’un qui a offert une fortune pour quiconque lui apporterait sa tête. Jamais la justice mauritanienne n’a réagi face à ces appels au meurtre.
Ensuite, je me suis renseigné sur ce journaliste. On m’a dit qu’il avait abordé Birame soi-disant pour une interview sur la demande de certaines chaînes arabes. Puis, il est revenu pour dire que l’enregistrement n’était pas bon et qu’il voulait recommencer l’interview, ensuite il est devenu familier de la maison et assistait même aux discussions entre les militants, sans qu’une seule fois Birame n’ait soupçonné qu’il pouvait lui nuire.
Jusqu’au jour où il publia son documentaire à charge contre lui et son mouvement. Je considère que l’arrestation et l’emprisonnement de Birame sont injustifiées, qu’elles sont arbitraires, antidémocratiques et contraires à toutes les normes.
L’Authentique : que pensez-vous des velléités de Mohamed Abdel Aziz à rester au pouvoir. Croyez-vous réellement qu’il cherche à briguer un 3ème mandat ?
Oumar Ould Yali : en réalité, mon avis évolue en dents de scie. Je me dis qu’Aziz a déclaré à plusieurs reprises haut et fort, devant l’opinion publique nationale et internationale, qu’il respectera la Constitution et qu’il ne briguera pas un troisième mandat.
A certains moments, j’essaye de m’expliquer les contradictions entre ses déclarations péremptoires et celles de ses ministres, notamment son Porte-parole qui affirment jour après jour qu’il ne partira pas et qu’il reste au pouvoir.
Alors je me dis qu’Aziz respectera son engagement mais que ce sont les gens autour de lui qui tentent de créer la confusion, car son départ consommé du pouvoir pourrait créer l’éclatement de l’Union Pour la République (UPR), le pari-Etat, dont les membres ne sont mus que par la peur ou par la convoitise. Que le maître ne soit plus là et ce sera la débandade.
A partir du moment, où il part en campagne dans le cadre d’élections municipales et législatives, je me dis que l’UPR doit être dans une bien piètre situation. En tout cas, je n’ai jamais vu dans ma vie un président de la République descendre sur scène pour battre campagne à la place de candidats.
A mon avis, Aziz doit se situer au-dessus de la mêlée, car son immixtion sur le terrain des élections a tout gâté. Je profite de cette tribune pour lui demander de respecter le peuple et sa volonté.
L’Authentique ; avez-vous un dernier mot ?
Oumar Ould Yali : je veux revenir à Birame Dah Abeid, pour dire que durant l’élection présidentielle de 2014, le discours qu’il avait prononcé est un discours historique, dont les effets se font sentir jusqu’à nos jours. C’’est grâce à ce discours unificateur, novateur et qui change des discours habituels qu’il a pu engranger le résultat qu’il avait obtenu à l’époque.
Imaginez un homme sans aucune culture politique, sans un cadre politique structuré, qui se jette sans aucun moyen dans une élection présidentielle où il était le seul candidat indépendant et sortir 2ème, juste après le président sortant et devant deux grands partis politiques, n’est-ce pas un exploit ? C’est vous dire qu’il a su véhiculer un message qui a gagné le cœur des électeurs mauritaniens.
Je lui avais dit à l’époque, après la présidentielle, « Mohamed Abdel Aziz va t’emprisonner, tu ne peux pas y échapper ». Et quand il alla quelques mois plus tard à Rosso pour accueillir la Caravane contre l’esclavage foncier, il fut effectivement arrêté puis emprisonné.
Pourtant, il avait lui-même dirigé des caravanes dans des contextes plus sensibles, comme Inal, Sori Malé, Wothié, des villages où subsistent des sépultures communes, celles des victimes des pogroms de 89/91. Et il n’a pas été inquiété pour cela.
Ce qu’il y a, c’est que le régime de Mohamed Abdel Aziz a décidé de rendre la vie dure et difficile à Birame Dah Abeid et à son mouvement IRA et tous les prétextes sont bons. Le pouvoir est engagé depuis plus de dix ans à saper IRA, à détruire Birame, mais je pense que jusque-là, Allah est avec lui.
Recueilli par Cheikh Aïdara
Source : L’Authentique (Mauritanie)