En plus des grandes problématiques de fond, comme l’esclavage ou le passif humanitaire – véritables casse-tête, pour les autorités nationales – plusieurs militants des droits humains sont en souffrance, comme les deux d’IRA (Moussa Ould Bilal Birame et Abdallahi Maatala Salek) emprisonnés, depuis deux ans, à Bir Moghreïn ;
Abdallahi Ould Yali, accusé d’avoir diffusé un vocal incitant à la haine et au racisme ; alors que le sénateur Mohamed Ould Ghadda séjourne, depuis plusieurs mois, dans la prison centrale de Nouakchott, et des syndicalistes (Samory Ould Bèye (CLTM), Mohamed Abdallahi dit Nahah (CGTM) et journalistes, Ahmed Ould Cheikh, du Calame, Moussa Ould Samba Sy, du Quotidien de Nouakchott, Jedna Deida du site Mauriweb et Aminata Bâ du site Cridem, restent sous contrôle judiciaire, dans le cadre de l’affaire dite Ould Ghadda.
Le déclassement de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) et la dernière découverte du charnier de Ben Amera, aux environs du tristement célèbre camp militaire d’Inal ne sont pas de nature à redorer le blason, très terni, de la Mauritanie, sur le plan du respect du très intéressant arsenal juridique national dont elle s’est dotée et des conventions, chartes et traités internationaux qu’elle ratifie pourtant à tout va.
Voilà qui me rappelle l’histoire d’un courtier de chez nous qui achetait, à crédit, des moutons, à des prix si exceptionnellement chers qu’aucun autre ne pouvait s’y aventurer. Le secret de cette témérité ? Mon inénarrable cousin de courtier savait, d’avance, qu’il ne paierait jamais.
Exactement comme beaucoup de pays africains qui ratifient tout, sachant pertinemment qu’ils ne respecteront rien. À cet égard, la Mauritanie rectifiée se révèle excellente manœuvrière.
En 2011, juste avant la visite annoncée de Gulnara Shahinian, la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur l’esclavage et ses formes contemporaines, le gouvernement organisa le premier procès d’esclavagistes, alors que la loi 048 le criminalisant existait depuis 2007 et que des dizaines de dossiers étaient, depuis, pendants devant les juridictions.
Dans l’affaire dite Yarg et Saïd (du nom de deux jeunes esclaves) un seul membre de la famille reconnue esclavagiste, Ahmed Ould Hassine, fut condamné à une peine de deux ans fermes, assortie d’une modique somme, alors que la loi prévoyait cinq ans, au minimum, et deux millions d’amende.
Finalement, Ould Hassine ne purgea que quatre mois, avant d’être mis en liberté provisoire, juste après le départ de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies. Il court toujours.
Mêmes manœuvres, à la veille de l’arrivée, en 2016, de Philip Alston, le rapporteur spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté. Le gouvernement a tenté toutes sortes de pressions, sur l’intraitable expert dont le rapport fut un véritable réquisitoire contre l’État mauritanien.
Les réguliers « examens périodiques universels », présentés généralement à Genève, constituent encore des occasions de manœuvres où la Mauritanie envoie de fortes délégations panachées de responsables d’institutions officielles en charge la gestion de la problématique (Commissariat des droits de l’homme, Commission nationale des droits humains, Tadamoun et autres) et de pseudo-militants des droits de l’homme inféodés et enrégimentés, pour la diffusion de la propagande officielle.
Les comportements inadéquats de certains d’entre eux, à la tribune des Nations Unies de Genève, lors de plusieurs sessions, ont considérablement écorné l’image du pays.
Aujourd’hui encore, les manœuvres du gouvernement continuent, « devant » les travaux de la 62èmesession de la Commission africaine.
Le dernier procès organisé, par la Cour spéciale de l’esclavage à Nouadhibou, à l’issue duquel Rev’a mint Mouhamad, reconnue coupable de pratiques esclavagistes sur Rabi ‘a et ses deux sœurs, a écopé de dix ans de prison et de deux cent cinquante mille nouvelles ouguiyas, constitue un acte fort de la justice mauritanienne qui semble se rappeler, subitement, de la sacralité de l’application des lois.
Certains militants des droits de l’homme, rompus à ses pratiques, prédisent que l’esclavagiste emprisonnée bénéficiera d’une énième liberté provisoire, juste après la fin des travaux de la session africaine.
De son côté, la Cour spéciale de l’esclavage de Nouakchott a programmé, pour le 23 Avril 2018, le procès de l’affaire Seh Ould Mousse, le neveu d’Aïchana, première victime soutenue par SOS-Esclaves, en 1994.
Le dossier met en cause la famille Ehl Mouhamadou, accusée de pratiques esclavagistes sur ce jeune homme de vingt-trois ans, dans la localité de Lemteyen, aux environs de R’kiz (Trarza).
Or, comme le suggère un responsable de SOS-Esclaves, organisation-leader, rappelons-le, dans la lutte pour l’éradication de l’esclavage : « au lieu de manœuvrer, souvent maladroitement, l’État pourrait, tout simplement, décider trois choses pour espérer en finir avec ce crime : d’un, reconnaître officiellement son existence, en pratiques et en séquelles, pour permettre une véritable synergie entre tous les acteurs chargés de son éradication ;
c’est-à-dire, les autorités administratives, judiciaires et sécuritaires. De deux, mettre en œuvre les vingt-neuf points de la feuille de route.
Et, de trois, veiller à l’application stricte et rigoureuse des dispositions de la loi 031/2015, en gardant à l’esprit qu’il s’agit d’un crime contre l’humanité dont les auteurs ne peuvent bénéficier ni de circonstances atténuantes, ni de liberté provisoire, ni de mise sous contrôle judiciaire ».
El Kory Sneïba
Source : Le Calame (Mauritanie)