« La Mauritanie réputée pour ses divorces […] avec un taux de divorce qui varie de 42 à 49 % »
Assise en tailleur dans sa petite boutique de vêtements de Nouakchott, Mloukhout, la soixantaine, raconte candidement son histoire :
« Je me suis mariée une première fois à 16 ans, et j’ai eu une fille. Le problème avec les hommes, c’est qu’ils aiment trop les femmes, or la femme mauritanienne est jalouse !
Quand on a divorcé, mon ex-mari m’a proposé de m’aider pour l’éducation de notre fille, mais mes parents sont riches, je n’avais pas besoin de son argent ! »
Son expérience est partagée par un grand nombre de ses compatriotes, de toutes les classes sociales : la Mauritanie est réputée comme étant le pays arabe où le divorce est le plus répandu.
Un taux de divorce qui varie entre 42 et 49%
Les statistiques ne sont pas évidentes à trouver : il faut remonter au recensement de 2000 pour trouver un taux officiel de femmes ayant contracté plus d’un mariage. Il atteignait 39% à Nouakchott.
Des estimations plus actuelles du taux de divorce données dans la presse locale varient entre 42 et 49%. Chose certaine, dans ce pays désertique de 4,3 millions d’habitants, le divorce est considéré comme quelque chose de normal, et n’est pas mal vu par la société, même après trois ou quatre reprises.
Le phénomène touche surtout les Maures, qui représentent 70% de la population de la Mauritanie – ils sont séparés entre « Maures noirs » ou Haratines (40%) et « Maures blancs » ou Beidanes (30%).
Une situation qui pourrait surprendre dans une république islamique, qui impose par ailleurs des règles religieuses très strictes : par exemple, l’alcool est interdit en Mauritanie, et tant l’apostasie que le blasphème sont passibles de la peine de mort.
Mais pour l’actuelle commissaire à la sécurité alimentaire, Najwa Kettab, qui a débuté une thèse sur le sujet, le côté « femme forte » des Mauritaniennes explique cette réalité :
« La femme maure a toujours eu son mot à dire tant dans la sphère publique que privée, assure-t-elle. Les traditions islamiques la cantonnent à un certain rôle, mais notre société est aussi marquée par un héritage berbère qui la met en avant.
A l’époque où les Mauritaniens étaient nomades, les hommes partaient pour de longs voyages, à la guerre ou pour chercher des vivres, et les femmes s’occupaient de la tente. Elles devaient parfois se battre contre des gens qui essayaient d’exploiter les campements où il n’y avait pas d’hommes.
Cela se voit aujourd’hui dans le domaine politique : on a plusieurs femmes ministres dans des gros ministères, comme les Affaires étrangères ou l’Habitat. Et dans le domaine privé, une femme peut mener ce que j’appelle une carrière matrimoniale : elle arrive à acquérir un certain statut social par un mariage, avec une notabilité par exemple. Elle bénéficie alors de son réseau social.
Et plus elle divorce, plus elle acquiert de la valeur aux yeux des hommes. Vous savez, cette image de la femme un peu rebelle, qui a eu plusieurs aventures ? Nous, c’est un peu pareil, mais avec les mariages ! »
Certaines femmes fêtent même leur divorce… ou plutôt, la fin de la période de trois mois imposée par l’islam avant de pouvoir contracter un autre mariage. L’an dernier, AJ+ Arabi a publié une vidéo d’une telle fête. Au programme, henné, maquillage, thé et rires.
Mais au fait, pourquoi divorce-t-on ?
Au Maroc, pays voisin, la femme divorcée se retrouve plutôt marginalisée. Qu’est-ce qui est donc différent en Mauritanie ? « Je crois que nous avons une lecture éclairée de l’islam », dit Najwa Kettab sans fausse modestie.
« Nous avons beaucoup de femmes érudites en islam, qui ont pu interpréter comme il le faut les écrits religieux. Dans d’autres pays, on donne la lecture uniquement aux hommes, et dans ce cas, ils l’interprètent à leur façon. »
En creusant un peu, on trouve des raisons bien plus prosaïques expliquant ce haut taux de divorce.
1- On se marie vite et jeune
Dans un pays très pratiquant, le mariage est un passage obligé afin d’avoir des relations sexuelles, et tout couple va donc se marier rapidement, sans toujours bien se connaître.
Par ailleurs, en Mauritanie, le mariage n’implique pas seulement deux personnes, mais aussi leurs familles respectives. Les mariages en bas âge (dès 12 ans) sont nombreux, et souvent forcés : la famille de la fille cherche en effet un homme qui va la prendre en charge financièrement.
C’est ce qui est arrivé à Fatima*, 30 ans :
« Ma mère est morte tôt, et mon père, qui était pauvre, s’occupait de tout à la maison. A 16 ans, j’ai été mariée à un monsieur beaucoup plus âgé, qui était de ma famille. Je dois dire qu’au début, ça s’est très bien passé pour moi : il m’a poussée à étudier, jusqu’à la licence. »
Le dernier recensement, effectué en 2013, souligne que seules 27% des femmes mauritaniennes ont choisi leur mari. Il note également que « seulement 32 % des femmes […] ont contracté un (premier) mariage avec un homme non apparenté, ce qui indique que le mariage consanguin est largement pratiqué en Mauritanie. Plus de deux femmes sur cinq (43%) se sont mariées avec un cousin direct ».
L’âge médian de la première union recule toutefois : de 16 ans pour les femmes urbaines qui ont aujourd’hui entre 45 et 49 ans, il est passé à 20,2 ans pour les femmes âgées de 25 à 29 ans. La progression est plus lente en campagne, de 16,3 à 18,1 ans.
2- On n’aime pas la polygamie
Autre aspect culturel : la polygamie, autorisée en Mauritanie bien qu’assez peu répandue (5,6% des hommes selon le recensement), est très mal vue dans la société maure.
« En Europe, les hommes ont des maîtresses cachées. Ici, ils ont des femmes cachées qu’ils épousent pour être en accord avec la charia, explique Najwa Kettab. Mais quand une femme maure découvre que son mari a pris une deuxième épouse, c’est un scandale et elle demande immédiatement le divorce. »
Dans les communautés noires africaines (Poulars, Soninkés, Wolofs et Bambaras) où la polygamie est courante, c’est au contraire le divorce qui est très mal vu. Fatimetou*, 37 ans, de l’ethnie wolof, a enduré un moment la polygamie cachée de son mari :
« Quand je me suis rendu compte qu’il avait une autre femme, je me suis fâchée ! Mais la coutume veut que le musulman ait de deux à quatre femmes, alors ma famille m’a convaincue d’accepter ce comportement. »
3- Divorcer, c’est simple comme bonjour
« Dans les autres pays arabes, il y a une longue procédure judiciaire, on va réfléchir à deux fois avant d’engager un divorce, remarque Najwa Kettab. Ici, il suffit d’un acte verbal, une phrase, et la personne est divorcée. »
Certains divorces se font au téléphone ou par une simple note.
L’après-divorce
Traditionnellement, lorsque la femme se remarie, son nouvel époux la prend en charge, ainsi que ses enfants. Dans un foyer mauritanien, on finit par ne plus faire la différence entre les enfants issus du mariage actuel et ceux des unions précédentes.
La pension alimentaire prévue par la loi n’est donc pas systématiquement versée par le père.
« L’expérience montre qu’à un moment donné l’homme contracte un autre mariage, s’occupe d’autres enfants qu’il fera avec une autre femme, explique Najwa Kettab.
La mère divorcée prend l’éducation de ses enfants en main. Pour cela, elle fera appel aux membres de sa famille et à son nouveau mari. Personnellement, je connais beaucoup de femmes qui ont pu offrir la meilleure éducation possible à leurs enfants sans pour autant avoir recours à leur(s) père(s). »
Figure majeure du mouvement féministe mauritanien, Aminetou Mint El Moctar est la présidente de l’Association des femmes chefs de famille (AFCF), qui réclame l’égalité hommes/femmes, tant en droits qu’en responsabilités. Elle a une vision beaucoup moins rose du phénomène :
« Dans la famille mauritanienne, toutes les charges économiques reposent sur l’homme. Il peut donc mentir sur sa richesse avant de se marier, pour obtenir le consentement de la famille de la femme, ou cacher à son épouse des difficultés financières qu’il rencontre.
Souvent, un mariage se termine parce que la femme découvre la vérité, ou parce que l’homme part car il n’est plus en mesure d’assumer ses responsabilités. Et la crise économique que vit notre pays empire les choses : il y a un accroissement des migrations vers les villes et vers l’étranger. En conséquence, le taux de divorce explose. Le phénomène est devenu prépondérant même chez les Négro-Africains qui n’ont pas cette culture de divorce. »
Aminetou Mint El Moctar sépare les femmes divorcées en deux camps qui n’ont rien d’émancipateurs : celles qui se remarient pour être en mesure, grâce à l’aide financière d’un nouvel époux, d’élever leurs enfants… et celles qui se débrouillent seules avec leur progéniture, laissant leurs projets personnels de côté. Elles représentent 11% des 15-49 ans, selon le recensement de 2013.
Femme wolof, Fatimetou ne reçoit pas un sou de son ex-mari, père de sa fille :
« On habite le même quartier, il travaille comme cadre et gagne beaucoup d’argent. Il a une autre femme et des enfants. C’est comme si en divorçant de moi, il avait aussi divorcé avec notre fille. »
Pourquoi ne porte-t-elle pas plainte?
« J’ai bien pensé à faire des démarches, mais je me suis dit que ça ne valait pas la peine de perdre du temps au tribunal. Je travaille et je reçois du soutien de mes frères et sœurs : tout ce que j’ai en ce moment, je ne l’ai jamais eu dans mon foyer. »
Au ministère des Affaires sociales, de l’Enfance et de la Famille (MASEF), on a conscience du problème. Depuis 2006, une cellule des litiges existe, décentralisée au niveau régional.
L’objectif : solliciter un ex-mari qui fait défection, trouver une solution à l’amiable aux problèmes entourant un divorce, avant que la cause ne se retrouve devant un juge. De 2010 à 2015, le MASEF a ainsi traité 4.118 cas de litiges concernant le versement d’une pension.
Des lois peu appliquées
« Le niveau d’éveil des gens a changé : ils ont conscience de leurs droits et portent plainte », assure la directrice adjointe de la famille, Lebneik Soulé. Mais rapidement, elle confesse les limites de sa propre organisation : les campagnes de sensibilisation que le MASEF a menées auprès de la population et des magistrats ont été arrêtées, faute de financement.
« Les tribunaux manquent de personnel et sont dirigés par des hommes, et le tribunal des affaires familiales que nous demandons depuis des années n’a jamais été créé, énumère-t-elle.
Plusieurs lois ne sont pas appliquées, comme l’obligation de verser une pension alimentaire, ou la loi de l’aide juridique permettant aux plus pauvres de couvrir leurs frais. »
« La Mauritanie est championne de la ratification de lois pour consommation étrangère, mais avec zéro application », soupire Aminetou Mint El Moctar. « Les juges, plus souvent formés dans des mahadras coraniques que dans des écoles modernes, confondent lois et traditions », ajoute-t-elle.
Elle parle d’expérience : son association, l’AFCF, fournit un accompagnement juridique aux femmes victimes de maltraitance ou dont le mari refuse le divorce.
« La famille représente la cellule de base de la société, rappelle Lebneik Soulé. Comment combattrons-nous les dangers qui nous guettent, la délinquance, le banditisme et le terrorisme, si elle n’est pas bien prise en charge ? »
Parlant de famille, Fatima, elle, a fini par céder face aux pressions de la sienne :
« Après mon divorce, j’aurais voulu rester seule. Mais mon père vivait mal mon célibat, alors je me suis remariée. J’ai peur d’avoir refait la même bêtise… »
Seul l’avenir le dira.
Rémy Bourdillon
Source : L’OBS
*Les prénoms ont été changés.