Figure emblématique de la lutte contre l’esclavage en Mauritanie, Biram Dah Abeid témoigne d’une pratique qui subsiste sous plusieurs formes. L’esclavage en Mauritanie ? Une vaste question qui revient régulièrement sur le devant de l’actualité.
Malgré les efforts officiellement entrepris pour y mettre un terme définitif, le combat des acteurs de la société civile contre cette pratique d’un autre âge est loin d’être bien vu. C’est le cas de Biram Dah Abeid souvent inquiété par la justice mauritanienne en raison de son activisme sur la question.
Ce militant des droits de l’homme, qui dirige l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste en Mauritanie, porte un regard critique sur l’attitude de l’Union africaine face à la vente aux enchères de migrants africains en Libye qui a suscité un concert de condamnations à travers le monde.
De même, il ne se montre pas tendre à l’égard des autorités mauritaniennes qui se parent d’habits de réformistes qu’ils ne sont pas en réalité. Issu de la communauté haratine, constituée de Maures noirs descendants d’esclaves, Biram Dah Abeid s’est confié au Point Afrique lors de son récent séjour à Paris.
Le Point Afrique : Qu’en est-il de la lutte contre l’esclavage en Mauritanie ?
Biram Dah Abeid : En 2017 et en 2018, qui commence, environ 20 % des Noirs mauritaniens sont possédés par des citoyens mauritaniens arabo-berbères, le plus légalement du monde. La version locale de la charia islamique légalise, légitime et sacralise cette pratique.
Ce corpus est inscrit dans la Constitution et considéré comme la principale source du droit et la seule interprétation officielle, valide et acceptable des textes sacrés du Coran et de la geste du Prophète. La Constitution actuelle, adoptée en août dernier, dit, dans son préambule, que la principale source des lois est la charia islamique.
Il s’agit, pour l’essentiel, de livres de l’école malékite, comme ils l’appellent en Afrique du Nord. La loi fondamentale sacralise ainsi un code négrier, dont les visées esclavagistes dénient, de facto, l’égalité entre les races noire et blanche et autorise des musulmans à réduire en esclavage d’autres musulmans.
Cet enseignement, constitué de normes, de jurisprudence et de principes généraux, codifie l’inégalité de naissance, autorise la vente d’êtres humains, leur châtiment corporel, le viol des femmes serviles et la castration des mâles noirs.
L’ensemble de ces prescriptions figure, en des termes explicites et pratiques, dans de tels livres. Dans un élan d’insurrection morale, volontaire et symbolique, j’en ai incinéré quelques-uns, le 27 avril 2012. Des personnalités, des partis politiques et une partie de la population ont réclamé ma tête pour cela.
Je ne suis pas sous le coup d’un mandat d’arrêt, mais un dossier se trouve dans les tiroirs de la justice, par lequel le ministère public réclame la peine de mort contre moi, au motif que j’aurais brûlé des « références sacrées ». La sentence est pendante, comme un chantage. Malgré tout, le chef de l’État, le parquet, la majorité des partis politiques organisés et les soi-disant érudits, pour la plupart des hauts fonctionnaires, réclament encore mon exécution.
Avez-vous quitté la Mauritanie pour vous établir au Sénégal après avoir dénoncé l’esclavage qui a cours dans votre pays ?
Je vis au Sénégal, à intervalles plus ou moins réguliers, pour des raisons de sécurité et de bien-être de ma famille et de mes enfants. Je repars de temps en temps en Mauritanie, malgré les risques, parce qu’il faut bien poursuivre la lutte. Je passe par l’aéroport ou à la frontière avec Sénégal, mais quand j’arrive dans mon pays, je suis escorté par la police et la gendarmerie jusqu’à la maison.
Et on m’interdit d’établir une relation physique avec la population. Mes détracteurs prétendent que l’incinération de ce code négrier est un acte d’apostasie passible de la peine de mort.
Le président Mohamed Ould Abdel Aziz affirme qu’il n’y a plus d’esclavage en Mauritanie, tout en admettant néanmoins qu’il y a encore ce qu’il appelle des séquelles de l’esclavage…
Je vous renvoie aux documents des rapporteurs spéciaux des Nations unies. Leurs enquêtes ont été transmises au Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Ils ont écrit sans ambiguïté que l’esclavagisme tue d’une mort lente des milliers de Haratines mauritaniens.
Le rapporteur spécial de l’ONU sur l’esclavage est une personne crédible qui n’est pas sous les ordres de Biram Dah Abeid. Le président Abdel Aziz est dans le déni. Il contredit l’inflation législative qui tente de compenser l’ampleur du scandale par un surcroît de pénalisation formelle, mais sans jamais toucher au fond du problème, à savoir l’idéologie raciste.
Pourquoi avoir prôné la mise sur pied des juridictions spéciales pour prétendument réprimer l’esclavage si la pratique a disparu ? Pourquoi a-t-il financé une chambre de juges ad-hoc pour réprimer l’esclavage s’il n’y a plus d’esclaves ? En réalité, ce sont des militants anti-esclavagistes qui partent en prison. La persécution qui s’abat sur eux en dit long sur la persistance de la justice servile en Mauritanie.
La nouvelle Constitution, adoptée en août 2017, est-elle considérée comme une avancée majeure sur le terrain des droits humains ?
La Constitution a été tripatouillée… Sur le plan des libertés, il n’y a pas eu d’avancées. La réforme a été inutile. L’hymne national adopté est sectaire, inspiré par l’extrême droite arabo-berbère raciste et conservatrice.
C’est un groupe informel qui gravite autour des militaires arabophiles, adeptes d’un racialisme nimbé d’islamisme. Selon la mentalité dominante dans cet univers de paranoïa anti-occidentale, la Mauritanie est une citadelle arabe, cernée de Noirs conquérants. Certes, l’écrasante supériorité numérique des Noirs est un fait qui s’accentue, en Mauritanie, par la force de la démographie.
Or, le risque de dissoudre l’arabité de la Mauritanie relève du fantasme puisque les descendants d’esclaves d’origine subsaharienne ne parlent que la langue de leurs maîtres. Les Noirs, y compris les Haratines, constituent, au minimum, 80 % de la population. La tendance est exponentielle…
Propos recueillis par J.J Arthur Malu-Mal
Source : Le Point Afrique (France)