Toutes venues de l’intérieur du pays, en espoir de meilleures conditions de vie, ces familles, essentiellement haratines se retrouvent empêtrées dans la jungle des villes modernes.
Leurs habitats précaires manquent quasiment de tout, jusqu’au plus nécessaire vital. L’électricité, bien sûr, mais, aussi, l’eau et, par voie de conséquence, l’hygiène sont du luxe, pour ces citoyens qui peinent à se soigner, envoyer leurs enfants à l’école, trouver un lopin de terre. Des familles à la merci des intempéries, vent, poussière, canicule, froid et pluie, parfois.
Parce que leurs chefs ne trouvent que peu ou prou de travail, dans une ville où tout est devenu cher. Même la chaleur humaine. La débrouillardise a fini, elle aussi, par se raréfier, à cause de l’afflux, depuis quelques années, de la main d’œuvre étrangère, essentiellement en provenance de l’Afrique de l’Ouest.
Cette précarité n’émeut presque personne. Pas plus leurs concitoyens qui passent tout près d’eux, balançant leurs restes de nourriture dans leurs poubelles, que des nombreuses structures humanitaires de l’Etat ou des tout aussi nombreuses ONG qui arpentent les rues de la capitale en quête de financements, se souciant à peine plus, affirment les gens, de l’intérieur du pays que des nombreuses poches de pauvreté qui pullulent à Nouakchott.
Le Calame est allé à la rencontre de ces oubliés. Paroles des squats et de chantiers ; de gens qui, en dépit de leurs conditions de vie particulièrement pitoyables, débordent d’humanité et d’humilité. Tous comptent sur Dieu pour sortir de misère.
Squat Mellah
C’est vers 18 h passées que nous avons déniché cette cour où vivent une bonne dizaine de familles, dans des baraques et hangars en bois recouverts de zinc ou de tissus. Le lieu fait partie d’une maison inhabitée dont le propriétaire ferme les yeux, en attendant de la mettre en valeur ou de la revendre.
Comme tout habitat précaire, ce squat n’a ni eau ni électricité « officielle ». L’absence de clôture pose un sérieux problème de sécurité, en cette zone qualifiée de « transit », en ce que ses occupants s’attendent, à tout moment, à un déguerpissement, avec ou sans tracteur.
La vie y est suspendue à la volonté ou aux humeurs du propriétaire. Voici Minetou, la quarantaine révolue, en train de coudre un voile, ses plus jeunes enfants jouant auprès d’elle ; âgée de 13 ans, l’aînée de la famille regarde le petit téléviseur dans la chambre servant de salon et de chambre à coucher.
La dame délaisse un instant sa tâche, pour les salamalecs d’usage, avant de se confier : « C’est suite à la démolition de la gazra du Poteau 11, de l’autre côté du goudron, que nous avons atterri ici.
Le propriétaire nous menace régulièrement d’expulsion. Mon mari et moi vivons dans ce hangar, avec nos six enfants, âgés de 5 mois à 13 ans, tous non scolarisés, pour la bonne et simple raison qu’ils ne disposent pas de papiers d’état-civil. Nous avons tout fait pour en avoir mais on exige de nous l’impossible».
A la question « De quoi vivez-vous ici ? », Minetou répond, un peu gênée : « Mon mari Hamadi vend de l’eau, avec une charrette, et, moi, je couds des voiles. J’aurais bien voulu travailler hors de la maison mais je ne peux pas laisser les enfants seuls ici, à cause de l’insécurité. Vous n’êtes pas sans savoir que les petites filles sont souvent violées, par des brigands qui rôdent autour des maisons et des baraques, en quête de proies faciles ».
D’où vient l’électricité qui alimente la baraque ? La dame raconte qu’il s’agit d’un branchement frauduleux : un gars fournit de l’électricité à partir d’un « remonté », autrement dit, un poteau public bidouillé, dans la majorité des cas, par des agents de la SOMELEC qui revendent le courant ainsi détourné à des familles pauvres, dans les quartiers périphériques.
Pas de disjoncteur ni de compteur, juste une évaluation mensuelle des dépenses. Avec son seul téléviseur, la famille de Minetou s’en tire avec 3000 UM/mois. Le courant est très instable et capricieux, parce que les fils traînent par terre, provoquant, par la même occasion, un véritable danger public, particulièrement pour les enfants.
Fatma, 25 ans
Couchée sur du sable apporté pour la construction de la maison en chantier, près des écoles privées El Veth, Fatma vit avec son mari et leurs cinq enfants, âgés de 2 à 9 ans. Le bâtiment que la famille garde leur sert d’habitat. Les travaux sont très avancés (le toit est posé) mais la bâtisse ne dispose ni de porte, ni de fenêtre.
Devant la maison ouverte aux quatre vents, un âne, attaché à un piquet. « Nous vivons ici depuis quelques mois, avec un traitement mensuel de 20.000 UM ; nous avons demandé, en vain, au propriétaire de la maison, de mettre les portes ».
Face à cette réticence, la dame a recouru à des haillons, pour protéger les maigres bagages de la famille, éparpillés dans les différentes chambres. « Mon mari est sorti chercher quelque chose pour le dîner », nous déclare Fatma, scrutant du côté de la route en direction de Mellah.
« Deux de nos enfants vont à l’école », poursuit-elle, « mais l’un d’eux en a été renvoyé, parce qu’il ne dispose pas des papiers d’état-civil derrière lesquels nous courons, depuis longtemps ».
L’aîné, âgé de 9 ans, s’occupe, après l’école, au transport des ordures ménagères du quartier, un petit appoint financier pour boucler les fins du mois très difficiles. Fatma nous montre du doigt son fils, affairé à une centaine de mètres au loin, près d’un dépôt d’ordures où il vient justement de déverser sa cargaison.
Les dépôts d’ordures de ce genre pullulent dans les quartiers périphériques, près des routes passantes, dans les maisons abandonnées. Ceux qui, comme le fils de Fatma, se livrent à cette tâche, balancent les déchets n’importe où, en n’importe quel endroit apparemment disponible, loin des familles, souvent la nuit, pour éviter les réprimandes.
Faute de services publics de ramassage, quasiment inconnus des quartiers périphériques, ces ramasseurs spontanés sont pratiquement la seule alternative pour les foyers désireux de se débarrasser de leurs ordures ménagères.
« Je veux bien travailler pour subvenir aux besoins de la famille mais je n’ai même pas assez d’argent pour me monter le moindre petit commerce », regrette Minetou. Elle pourrait en effet profiter de la présence, chaque soir, de nombreux jeunes des quartiers voisins, venus jouer au ballon dans une cour mitoyenne à leur logis ; leur vendre des cigarettes, des bonbons, de l’eau, des jus, des biscuits… mais « les mutuelles de crédit ne prêtent pas aux pauvres », relève-t-elle avec dépit.
Squat d’Ould Zeïne (Mairie deTevragh Zeïna)
C’est une espèce de grand palace, située entre l’école Excellence de Tevragh Zeïna, le commissariat de police et la mairie dudit quartier. Plus d’une dizaine de familles luttent, ici, pour la survie, dans des baraques, des hangars bâchés, auprès des maisons cossues, des établissements publics ou privés, dont le siège des établissements Ould Ghadda, sise non loin de l’Ecole française.
Face à la mairie à laquelle est collée la cour, le célèbre siège des Nations Unies. L’endroit ne dispose pas de toilettes, « celle construite par la mairie est fermée », nous précise Cheikh, le patron de la « Société des gens qui n’ont rien ».
L’homme a la soixantaine, cheveux gris, et forte corpulence. Nous le rencontrons à son retour du marché Capitale, un sachet à la main. « Oui », nous lance-t-il avec un large sourire, « je suis le directeur de la société des gens qui n’ont pas de quoi s’occuper». Et de nous présenter le groupe d’hommes qui se retrouvent, chaque jour, à cet endroit qui leur sert presque d’exécutoire.
Tous acquiescent aux propos de leur ‘’patron’’: « Nous nous retrouvons ici pour bavarder, boire un verre, tout en espérant un passant en quête d’un manœuvre. A défaut de quoi, l’on reste jusqu’à la fin de la journée, on se sépare, ceux qui ont des « chez eux » y rentrent, les autres restent ici ».
Tous âgés, ils sont visiblement marqués par la dure réalité de la vie dans la capitale. Comme des rejetés de ce monde moderne sans pitié. Et la pitié, justement ? Ils la rencontrent souvent, reconnaissent certains. Mais, fatalistes, ils semblent surtout résignés.
« C’est Dieu qui donne, nous comptons sur Lui », lâche Cheikh, avant d’ajouter, « nous vivons ici de la générosité de certaines maisons ou baraques voisines qui nous envoient quelque chose à manger ». Autre point commun : ils proviennent tous de l’intérieur du pays, en quête de « meilleures conditions de vie ». Hélas !
« Je suis originaire du Gorgol où j’ai laissé ma famille », explique ainsi Cheikh. « J’ai quatre enfants dont un seul a pu aller à l’école, les autres ne disposent pas de papiers d’état-civil, j’ai tout fait, mais en vain. Dieu est grand ! » Averti de la déliquescence du système éducatif, il renchérit : « Il faut des moyens pour envoyer les enfants à l’école, ce que je n’ai pas ; l’école publique n’enseigne plus et le privé est réservé aux nantis ».
A la question sur des éventuels rapports avec les nombreuses organisations, gouvernementales ou non, qui passent par là, c’est à l’unanimité que le groupe tonne : « Aucun d’entre elles ne s’est jamais arrêtée ici ! Nous ne les connaissons pas, nous ne les voyons qu’à la télé, elles ne travaillent, toutes, que pour leur compte, pas pour les pauvres qui ne manquent pas à Nouakchott ! »
Et Cheikh de préciser : « Les organismes publics de lutte contre la pauvreté, comme l’agence Tadaamoun, ne s’intéressent qu’aux adwabas du triangle dit de « pauvreté », entre l’Assaba, le Gorgol et le Guidimakha, alors que de véritables poches de pauvreté pullulent à Nouakchott.
A croire vraiment que ces nombreuses familles recluses en des cours, comme en enclos, ou dans des chantiers en construction, comme gardiens, avec des salaires de misère, ou, simplement, dans les espaces privés laissés en friche, sont classifiées « laissées pour compte » et leurs lieux de survie tenus en « ghettos ».
Fatimetou, 57 ans
Parmi le groupe du « Grand palace », voici Fatimetou, 57 ans. Elle serait arrivée à Nouakchott avec les indépendances. Bien qu’ayant une fille mariée à Arafat et un fils mécanicien, elle a choisi de vivre ici, auprès des hommes.
A la question de savoir pourquoi ne vit-elle pas avec ses enfants, Fatimetou répond, « ils n’ont rien à m’offrir ; ils sont pauvres, autant ne pas en rajouter». Et d’invoquer la paix et la tranquillité. « Je vis ici depuis des années, sous cet arbre, auprès de ce groupe de désœuvrés ; nous vivons au crochet des familles voisines ou de nos voisins d’infortune, dans ces baraques à côté. Tous nous envoient de quoi manger.
Certes, il nous arrive, des fois, de ne rien trouver, les temps sont durs mais Dieu est grand ! Et le soir, je rentre dormir chez des parents, à côté ». Répondant à la question concernant les ONG et autre organisation comme Tadaamoun, Fatimetou accuse : « Elles nous ignorent totalement, pour s’occuper d’autres moins pauvres que nous. Chacune en fait son gagne-pain, et les pauvres ne leur servent que de fonds de commerce ! »
Fati, 22 ans
Contrairement à Fatimetou, Fati vit dans une petite baraque, avec son mari et leurs enfants, près de la « Société des désœuvrés ». Nous la trouvons occupée à laver quelques habits, discutant avec une voisine, tout en surveillant son enfant du coin de l’œil.
Après les salamalecs d’usage, elle nous apprend que son mari est allé à la plage des pêcheurs, pour trouver du travail et rapporter quelques provisions pour la famille. « D’autres enfants ? J’en ai trois et la dernière que voyez, là, sur le sol, a deux ans. Elle a un frère âgé de 8 ans qui va à l’école Khayar, et un autre âgé de 5 ans ».
Figurant parmi les premiers établissements historiques de la capitale, l’école Khayar est, aujourd’hui, probablement le dernier établissement d’enseignement public primaire, en cette partie de la ville. L’école du Marché, l’école 7, au sud du marché Capitale et l’école Justice, près du carrefour Polyclinique, ont été vendues par le gouvernement. Ces établissements recevaient de nombreux enfants des familles pauvres de Tevragh Zeïna, quartier au cœur de Nouakchott.
Cette petite famille n’a pas besoin de nous décrire ses conditions de vie, on les constate de visu. Tout y est précaire. Le froid, la chaleur, le manque d’eau, en somme la misère, en forment le lot quotidien, comme pour tous ceux qui vivent ici.
Sur les conditions qui l’ont fait atterrir ici, la jeune dame explique : «Nous nous sommes installés ici, au hasard de la vie, comme tant de familles errantes de la capitale qui n’ont pas les moyens d’acquérir un bout de terrain.
C’est un homme généreux, nommé Didi (Ould Soueidi, NDLR), qui nous a permis d’occuper cette baraque et le terrain clôturé d’à côté ; il nous a tout offert : eau et provisions. « Ce brave homme a été rappelé à Dieu, voici trois ans », précise Fati, avec un regret évident, « mais la maire de Tevragh Zeïna, Mint Abdel Malick, accomplit souvent des petits gestes, envers nos familles ».
La population de ce micro-bidonville s’approvisionne en eau avec des bidons, auprès des familles voisines ou des rares vendeurs d’eau qui passent, sinon, auprès des divers établissements qui le jouxtent, comme la mairie ou le commissariat de police, juste à côté. Comme dans toutes les autres poches de pauvreté, l’électricité provient de la fraude ou des maisons voisines.
Comme la plupart des femmes haratines en analogue situation, Fati tient un petit commerce : bonbons, cigarettes, biscuits, allumettes, savons, etc. Mais, exception notable qui ne fait probablement que confirmer la règle partout constatée, ses enfants disposent tous de papiers d’état- civil et sont tous vaccinés.
Tislim, 60 ans
Venue des environs de Barkéol (Assaba), Tislim a atterri ici grâce à la générosité du même Didi. Avec quatre enfants aujourd’hui, dont le dernier âgé de 14 mois. L’ainé, 20 ans, a été renvoyé de l’école, en 6èmeannée, faute de papier d’état-civil. Il s’est, depuis, spécialisé dans la mécanique.
Chauffeur de son état et sans emploi depuis longtemps, le papa « se débrouille », comme nombre de ses pairs. « Quand on nous a exigé des papiers », raconte Tislim, « je me suis démenée pour me rendre à la Badiya, mais à l’arrivée, on n’a rien voulu me donner, je suis revenue avec les enfants et, depuis, je cours à gauche et à droite, pour leurs papiers. Je n’avais même pas de certificat de mariage, à l’époque, je ne l’ai obtenu que bien plus tard ».
Tislim vend du couscous au marché Capitale, chaque soir. Elle dispose de quelques chèvres et moutons. « Quand les problèmes nous tenaillent trop », indique-t-elle, « nous en vendons un ou deux ». Comme tous nos précédents interlocuteurs, Tislim ne connaît aucune ONG de bienfaisance, elle n’en a même jamais vu le moindre représentant, reléguée qu’elle vit, excuse-t-elle gentiment, « dans une cour difficile à dénicher ». (A suivre)
Reportage réalisé par Dalay Lam
Au service du programme : « Liberté, droit et justice
Pour combattre l’esclavage par ascendance en Mauritanie » du Département d’Etat des Etats Unis d’Amérique
Source : Le Calame (Mauritanie)