Connue à travers le monde pour son combat contre les biens mal acquis, particulièrement ceux des présidents qui saignent leurs Etats, l’ONG Sherpa, que dirige le célèbre avocat français William Bourdon vient de publier un rapport sur notre pays. Intitulé ’’La corruption en Mauritanie : un gigantesque système d’évaporation’’, il devait être présenté à la presse le samedi 30 septembre lors d’une conférence de presse conjointe avec la président d’IRA, Biram Ould Dah à Dakar au Sénégal. Mais les autorités sénégalaises, certainement sur pression de Nouakchott, ont informé les organisateurs que la conférence de presse ne pouvait avoir lieu.
Le rapport comporte trois grandes parties : l’attribution des marchés publics, la mauvaise gestion des ressources naturelles, la mauvaise gestion et le pillage des finances publiques.
Au chapitre des adjudications des marchés publics, SHERPA cite trois cas. En un, le programme Emel. Une opération d’urgence, lancée en 2012, pour laquelle l’Etat a mobilisé 45 milliards d’ouguiyas, soit l’équivalent de 120 millions d’euros. Officiellement, cet argent devait servir à soulager les populations rurales affectées par un sévère déficit pluviométrique et une pauvreté extrême. Sans détour ni diplomatie, le rapport soupçonne que les marchés de cette opération ont été attribués de façon opaque. L’achat des produits et leur transport a permis à des groupes proches du pouvoir d’engranger 33 millions d’euros, sur cinq marchés de gré à gré.
En deux, la construction de la centrale électrique de Nouakchott. En Octobre 2012, la SOMELEC lance un appel d’offres international, pour la construction d’une centrale électrique, suite à l’obtention, par le gouvernement mauritanien, d’un financement du FADES et de la Banque Islamique du Développement. Plusieurs très grandes sociétés internationales postulent. Paradoxalement, selon le rapport de Sherpa, c’est une société française, affiliée un groupe hollandais, qui rafle le marché, avec une proposition de 153,8 millions d’euros, contre deux propositions de 139 millions d’euros et 125,8 millions d’euros, respectivement avancées par une société chinoise et une société espagnole. Selon Sherpa, citant des sources de l’opposition mauritanienne, le groupe français aurait versé une commission de dix millions d’euros à Bedr ould Abdel Aziz, le fils du président mauritanien, pour obtenir l’affaire.
En trois, le marché de l’aéroport de Nouakchott. Selon le rapport, la transaction qui a permis son adjudication à la société Najah Major Works (NMW) s’est effectuée dans des conditions particulièrement opaques. « Non seulement le projet », souligne Sherpa,« n’a pas été soumis à l’approbation des députés (faute d’avoir été inscrit sur le budget) mais il a été en outre conclu sans passer par une quelconque procédure d’appel d’offres ». Le groupe NMW a obtenu 451 hectares du domaine public, en zone résidentielle (deux tiers sur les terres de l’ancien aéroport et un tiers ailleurs) puis a obtenu un « prêt » de 50 millions de dollars, en violation de toutes les règles en la matière, et bénéficié, enfin, d’une baisse des obligations préalablement inscrites aux cahiers de charges, sans aucune incidence équivalente sur les avantages acquis.
Bailleurs de fonds inquiets
Sur la mauvaise gestion des ressources naturelles, le rapport de Sherpa cite la convention de pêche, conclue avec la société chinoise Polyhone Dong, aux termes de laquelle cette « pilleuse » devrait verser cent millions de dollars, en contrepartie d’un droit de pêche étalé sur 25 ans, avec des conditions fiscales et commerciales particulièrement avantageuses. La convention avec les Chinois ne prévoit, curieusement, aucune restriction aux modalités de pêche et un domaine de 60.000 mètres carrés a été attribué à ladite société qui s’avère n’être qu’une filiale de Poly Technologies, à son tour choisie, en 2016, pour la construction du nouveau port militaire et commercial de Ndiago, pour la bagatelle de 325 millions de dollars. La convention, avance Sherpa, aurait permis, à de « très hautes personnalités » de ce pays, d’engranger de colossales commissions.
Quant à la mauvaise gestion et le pillage des finances publiques, le rapport commence par la citation du rapport annuel du FMI de 2016 où l’institut international regrette que « ni ses conseils ni ses recommandations n’aient été pris en compte par le gouvernement mauritanien ». De son côté, la Banque Africaine pour le Développement (BAD) a fait aussi état de mal-gouvernance et de mauvaise gestion des finances publiques qui ont engendré une détérioration du déficit budgétaire, aggravant ainsi la dette publique qui a atteint 93% du PIB, à la fin de 2015. Ladite dette avait déjà augmenté, entre 2010 et 2015, de 153%, au point que la BCM dut contracter un emprunt bilatéral, avec l’Autorité d’Investissement du Koweït, pour soutenir cette très inconfortable situation. Selon le rapport de Sherpa, la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International ont critiqué le manque de transparence des finances publiques de la Mauritanie. Exemple, avec le budget de l’Etat où les procédures prévues par la loi ne sont pas respectées. Le pillage s’opère, principalement, via la BCM par qui transite la majorité des flux financiers du pays. Il existe aussi d’importants volumes de recettes et de dépenses publiques dont, principalement, celles afférentes aux marchés publics, qui échappent au contrôle du Parlement et à celui de la Cour des Comptes. « Le silence équivaut à une approbation », dit un de nos adages populaires, exact équivalent de « Qui ne dit mot consent ». Avec ce rapport accablant, la balle est bien plus que dans le camp – carrément, de fait, au fond des filets – du pouvoir de Mohamed ould Abdel Aziz, si « allergique », le pauvre, à la gabegie et à l’une de ses principales manifestations, le gré à gré. On hésite à compatir. Le Gouvernement produira-t-il un rapport alternatif, pour édifier l’opinion nationale et internationale, sur ces très graves accusations ou fera-t-il, comme d’habitude, la sourde oreille à tant d’incommodités proférées, publiquement, à son rencontre ?
El Kory Sneiba