Comment inciter les chefs d’états africains à lâcher le pouvoir? Ahmedou Ould Abdallah, ex-ministre des Affaires étrangères de Mauritanie et surtout haut fonctionnaire à la retraite de l’ONU, impliqué dans la résolution des crises en Afrique au cours des 20 dernières années, livre ses recettes.
Le 3e mandat constitue la hantise des peuples africains face à des dirigeants qui s’accrochent au pouvoir en manipulant les constitutions. Ce mode de gouvernance politique, qui consiste à transformer la Constitution en vulgaire torchon à adapter aux convenances du chef, frise la caricature avec le Congo-Brazzaville, le Cameroun, la Guinée équatoriale et la République démocratique du Congo.
Ainsi, une soixantaine d’années après la grosse vague des indépendances, l’Etat de droit reste encore une fiction en Afrique. S’accrocher au pouvoir pour la vie est une attitude constante chez de nombreux chefs d’Etat africains.
Le diplomate mauritanien rappelle avoir écrit en 2005, pendant qu’il était en poste à Dakar, une brochure «pour expliquer comment aider nos chefs d’Etat à quitter pacifiquement le pouvoir, car je pense qu’il faut effectivement accompagner nos leaders pendant une période de transition. Ce n’est pas tout le monde qui peut agir comme les présidents Leopold Sédar Senghor, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, au Sénégal. Les Ghanéens, eux, l’ont fait depuis la présidence de John Kufuor».
Malheureusement, l’Afrique de l’Ouest est en train de suivre le mauvais exemple. Le cas du Burkina Faso ne semble pas offrir un modèle aux dirigeants ouest-africains. Le président mauritanien compte introduire des réformes constitutionnelles qui risquent de lui ouvrir les voies pour un 3e mandat. Pour sa part, Alpha Condé, président de la Guinée, multiplie les phrases qui semblent montrer qu’il n’est pas vraiment enclin au respect de l’alternance pacifique après deux mandats.
Face à cette situation, Ahmedou Ould Abdallah, ancien ministre des Affaires étrangères de Mauritanie, haut fonctionnaire des Nations unies (ONU) à la retraite, plusieurs fois représentant spécial du secrétaire général des Nations unies dans les régions en crise, livre ses recettes pour aider les présidents africains à quitter pacifiquement le pouvoir.
Cet homme à l’expérience riche, très actif sur les questions de gouvernance et de sécurité en Afrique, s’exprimait sur le site de «Wathi»: un think tank citoyen ouest-africain.
Les propositions d’Ahmedou Ould Abdallah comportent quatre grands axes:
D’abord, offrir «une amnistie conditionnelle, valide tant que le bénéficiaire reste à l’intérieur du pays, un peu à l’exemple du processus chilien (avec le cas Pinochet).
Ensuite, lui allouer une pension généreuse, si possible en devises.
Lui assurer un rôle dans les grandes cérémonies républicaines, qui en ferait un invité officiel. Dans certains pays, il peut être sénateur à vie, membre de la Cour Constitutionnel, etc.
Enfin, le haut fonctionnaire à la retraite de l’ONU évoque une multitude d’avantages, tels que les véhicules de fonction et les possibilités de couverture de frais de voyage, qui concourent à l’offre d’une sécurité matérielle durable.
Régulièrement impliqué dans les tentatives de résolution de crises nées d’élections carabinées, Ould Abdallah suggère que cette démarche « coûterait moins cher que les pillages dont sont victimes les Etats ». Toutefois, poursuit-il, « la plupart des partis d’opposition dans nos pays refusent ce genre de propositions. Avec pour conséquence des présidents qui ont peur de quitter le pouvoir ».
Ainsi, la monopolisation du pouvoir par des chefs d’Etat «monarques» prend-elle la forme d’une tradition, avec à la base des arguments fallacieux tels que «le besoin de stabilité pour se développer, l’expérience, la capacité et le leadership d’un homme, son génie hors commun», etc.
En réalité, ces satrapes s’accrochent au pouvoir après avoir commis des crimes de sang ou à caractère économique, à travers le pillage systématique des richesses nationales. Mais également sous la pression d’un entourage prédateur, prêt à tout pour conserver ses avantages.
Par notre correspondant à Nouakchott
Cheikh Sidya
Source : Le360 (Maroc)