Soutien au terrorisme : l’Arabie saoudite se blanchit sur le dos du Qatar



La ficelle est un peu grosse. L’Arabie saoudite, membre du Conseil de coopération du Golfe (CCG) depuis 1981, a rompu ses relations diplomatiques avec un autre membre éminent de l’organisation, le Qatar, a-t-on appris ce lundi 5 juin. Avec trois autres pays du CCG – l’Egypte, les Emirats arabes unis et le Bahreïn -, les Saoudiens accusent en effet les Qataris de soutenir « des groupes terroristes ». Un motif d’autant plus surprenant que l’Arabie saoudite est elle-même mise en cause pour le soutien financier apporté par ses concitoyens, voire par ses dirigeants, aux terroristes, justement.

Qu’importe. L’agence officielle saoudienne SPA a annoncé la suspension des liaisons terrestres, aériennes et maritimes avec l’émirat pour « protéger sa sécurité nationale des dangers du terrorisme et de l’extrémisme », le Qatar accueillant « divers groupes terroristes pour déstabiliser la région dont Daech (acronyme en arabe de l’Etat islamique) et Al-Qaïda ».

Quand Hillary Clinton pointait l’Arabie saoudite

Daech et Al-Qaïda… Des groupes qui auraient précisément bénéficié de la manne financière saoudienne, selon plusieurs câbles diplomatiques qui ont fuité dans la presse. Ainsi des récentes révélations concernant l’affaire des « emails » de la candidate démocrate à la Maison Blanche, Hillary Clinton. Parmi les courriels rendus publics l’automne dernier figure par exemple un email daté du 17 août 2014 dans lequel celle qui fut secrétaire d’Etat entre 2009 à 2013 pointe clairement le rôle du Qatar ET de l’Arabie saoudite dans l’expansion, entre autres, de Daech.

« Nous devons utiliser notre diplomatie et profiter des atouts de nos services de renseignement pour mettre sous pression les gouvernements du Qatar et de l’Arabie saoudite, écrit-elle, qui fournissent un soutien financier et logistique à Daech et à d’autres groupes radicaux dans la région ». Une critique que la candidate avait d’ailleurs formulée publiquement en pleine campagne, en juin 2016, au lendemain de l’attentat d’Orlando. « Il est plus que temps que les Saoudiens, les Qataris, les Koweïtiens et d’autres empêchent leurs ressortissants de financer des organisations extrémistes », avait-elle déclaré dans un discours à Cleveland, dans l’Ohio.

Al-Qaïda : « Sans l’argent des Saoudiens, on n’aurait rien »

Des accusations qui n’étaient pas nouvelles. En 2009 déjà, les services de la secrétaire d’Etat faisaient état du problème, d’après une note secrète révélée par Wikileaks. « Les donateurs en Arabie saoudite constituent la plus importante source de financement des groupes terroristes sunnites à travers le monde », lit-on dans ladite note, qui précise : « L’Arabie saoudite reste une base essentielle d’appui financier pour Al-Qaïda, les talibans, Lashkar e-Tayyiba et d’autres groupes terroristes y compris le Hamas, qui soulèvent probablement des millions de dollars chaque année à partir de sources saoudiennes, souvent pendant le Hajj et le Ramadan ».

Pis, un propre membre d’Al-Qaïda – et non des moindres -, Zacarias Moussaoui, impliqué dans la préparation des attentats du 11 septembre et détenu aux Etats-Unis, a affirmé sous serment selon un document daté d’octobre 2014 « qu’Al-Qaïda recevait des dons de la part de membres de la famille royale saoudienne ». « Sans l’argent des Saoudiens, on n’aurait rien », a-t-il martelé.

La menace terroriste prétextée par l’Arabie saoudite pourrait en réalité cacher une lutte d’influence entre les deux pays. En 2014, l’Arabie saoudite avait temporairement rappelé son ambassadeur à Doha en raison des liens tissés entre le Qatar et l’organisation des Frères musulmans, considérée par le royaume saoudien comme concurrente vis-à-vis de l’un de ses principaux fonds de commerce : la diffusion de la pensée wahhabite, qui prône la pratique d’un islam ultra-rigoriste. Les tensions entre les Qataris et les Saoudiens sont ensuite montées d’un cran après que des articles de presse publiés ces derniers jours ont prêté à l’émir du Qatar, Tamim Bin Hamad Al-Thani, des propos critiques à l’égard de la position anti-iranienne de ses voisins et du président américain Donald Trump, reçu avec faste en Arabie saoudite il y a deux semaines.

« L’Arabie saoudite et son industrie idéologique »

Outre les accusations de financement direct de groupes terroristes, l’Arabie saoudite demeure le principal moteur d’un islam radical diffusé à coup de pétrodollars partout dans le monde, comme le soulignait l’écrivain algérien Kamel Daoud peu après les attentats du 13 novembre à Paris, dans une tribune publiée par le New York Times.

« Daech a une mère : l’invasion de l’Irak. Mais il a aussi un père : l’Arabie saoudite et son industrie idéologique », dénonçait-il. Si l’intervention occidentale a donné des raisons aux désespérés dans le monde arabe, le royaume saoudien leur a donné croyances et convictions. Si on ne comprend pas cela, on perd la guerre même si on gagne des batailles. On tuera des djihadistes mais ils renaîtront dans de prochaines générations, et nourris des mêmes livres… »