Depuis un mois, notre télévision officielle et «semi officielle» tenue par le Président Aziz par le bais de ses proches parents s’emploie, tambour battant, à annoncer la grande conquête accomplie par le Chef de l’Etat mauritanien tenant une main de bienfaisance pour son ami de la Gambie menacé de noyade, à la recherche d’un rameau pouvant lui servir de bouée de sauvetage et dilapidant sur son chemin tout ce qu’il peut emporter.
Jammeh était terriblement arrogant lorsqu’il s’est emparé des véhicules du protocole d’Etat et des devises du pays mais il ne s’est pas occupé de la vente des écoles, des pistes d’atterrissage d’avions, des stades sportifs et d’école de police.
Les analyses inventives empruntant la même orientation dans la glorification du Président Aziz ont bourdonné dans les oreilles des gens qui écoutent les dires des uns et des autres aussi bien en arabe qu’en français de manière à nous rappeler les divagations et l’absence de tout esprit où prévaut la crédibilité personnelle par comparaison au statut du Président symbole de la nation à l’époque de Maaouya à un moment caractérisé par l’inexistence de possibilités de survie en dehors des miettes que distribuent le régime pour ceux qui rampent à ses pieds.
Ces gens de tous bords cherchent à crédibiliser des analyses osées sur le soit disant succès de la «diplomatie mauritanienne». Il n’existe pas d’éléments d’appréciation crédibles pouvant servir d’indicateur par rapport à la situation de la Gambie à moins de considérer qu’il s’agit de sauver Jammeh et de perdre notre influence dans ce pays. Sur quatre pays voisins, nous vivons des relations tendues périodiquement avec trois d’entre elles et les causes ne sont connues que de deux à trois personnes.
Les facteurs subjectifs sont presque déterminants dans cette situation avec les pays frontaliers. Aujourd’hui, nos relations avec la France connaissent une réelle crispation, un certain recul avec des pays arabes importants. Les Présidents français et américain, le Roi du Maroc ainsi que les ministres de la Défense de France et d’Allemagne ont visité notre sous-région à plusieurs reprises sans daigner s’intéresser à la Mauritanie alors que certains de ces voyages étaient entrepris dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, combat dans lequel notre pays s’est investi de l’avis de ceux-là même qui nous avaient évités copieusement dans leur quête de partenaires dans le Sahel et le Maghreb Arabe.
Cela est d’autant plus significatif de notre isolement diplomatique que des pays beaucoup moins concernés que la Mauritanie dans la lutte contre le terrorisme ont été visités comme le Burkina Faso par des ministres des pays occidentaux et ont pu, de ce fait, bénéficier d‘appuis conséquents en vertu duquel leurs capacités de lutte contre le phénomène du terrorisme ont été renforcées. Notre «allié», l’Algérie a été fréquenté plusieurs fois par de nombreuses délégations de haut niveau dans cette même quête de partenaires fiables au moment où nous sommes demeurés presque entièrement isolés. C’est par précaution que certains devront être vigilants en parlant du «succès de notre diplomatie» s’ils tiennent à être crédibles.
La Mauritanie et la Gambie disposaient, jusqu’ici, des relations stratégiques confiantes. Depuis le début des années 90, le Sénégal cherchait à s’immiscer dans les affaires intérieures de la Mauritanie à travers le levier de la manipulation de la question raciale condamnée à être mort-né n’eût été ses manœuvres périodiques surtout depuis les événements de 1989. Et par chance, le Sénégal n’était pas mieux lotie que la Mauritanie dans ce genre d’événements périlleux pour la paix sociale et la stabilité: elle faisait face au problème d’une «minorité nationale sécessionniste» dans la Casamance. C’était pour la Mauritanie une carte à jouer pour contrer l’action de sape que mène le Sénégal et un moyen efficace de dissuasion en vue d’empêcher ses immixtions dans les affaires intérieure du pays.
C’est compte tenu du fait que la Casamance et la Gambie disposent de frontières communes et de relations sociales très imbriquées de leurs deux peuples que la Mauritanie a veillé à la sauvegarde et au renforcement de ses relations avec Banjul pour faire valoir «l‘équilibre de la terreur» avec Dakar. Dès le départ, le Président Yaya Jammeh qui s’est engagé à combattre l’hégémonie sénégalaise a joué parfaitement ce rôle au profit de la Mauritanie au point de devenir pour Nouakchott un puissant allié stratégique. Au fil des ans, ces relations se sont étendues et étoffées pour devenir solides entre les peuples de deux pays se couronnant par l’implantation de la plus importante colonie en Gambie.
En dépit du fait que la diplomatie mauritanienne n’a pas pu exploiter à bon escient cet avantage et le poids local de notre grande colonie en Gambie pour appuyer les intérêts stratégiques du pays, elle n’a pas non plus compensé ce défaut majeur par une plus grande vigilance et un suivi sans faille des événements qui se déroulaient sous les yeux pratiquement ébahis dans le seul pays au Monde avec lequel nous avons des relations stratégiques. Quatre régimes politiques qui ont gouverné le pays ont préservé ces relations privilégiées avec la Gambie. Face aux événements dans ce pays, la Mauritanie n’a pas agi sur la base d’un quelconque scénario prévisible et n’a pas cherché à préserver cette relation devant être considérée à tous égards priorité.
C’est profitant de cette circonstance inespérée et à la faveur de l’orientation de la communauté internationale affirmant son soutien au verdict des urnes que le Sénégal s’est rangé, très tôt, du côté des forces de la démocratie qui constituaient la vraie alternative au régime du Président Jammeh ; De même, elle a cherché fébrilement à isoler complètement ce pouvoir qui étouffait son peuple plus de deux décennies.
Ainsi, le Sénégal a réussi le tour de force de se présenter comme le champion de la défense des gambiens qui contractent désormais, par ce geste sénégalais, une immense dette qu’ils ne pourront jamais payer. Elle engrange en même temps une relation privilégiée avec le nouveau pouvoir, acquis qu’elle n’a jamais espéré obtenir et pour lequel elle est demeurée longtemps incapable d’y parvenir à cause du régime de Jammeh. Cette nouvelle donne est évidement au détriment surtout de la Mauritanie et de la Casamance. Le Sénégal s’est insinuée à ne pas faire ses démenées en son nom, préférant agir en premier lieu en vue de favoriser l’émergence de la démocratie en Afrique de l’Ouest et de réactiver le rôle d’une organisation sous-régionale dans les oubliettes et pratiquement non opérationnelle depuis assez longtemps, soit disant sous le parapluie de la légalité internationale.
Par ce geste, Macky Sall a voulu se projeter de l’avant comme il l’avait fait auparavant lorsqu’il a permis à l’opposition de vaincre le puissant patriarche sénégalais qui était son rival d’alors. Aujourd’hui, il impose également dans son voisin de Gambie le respect de la victoire de l’opposition sur un régime arrogant en Gambie, réussissant à faire venir à Dakar le Président élu et l’a protégé sous l’étiquette la protection de la légalité et de la démocratie tout en veillant à assurer dans les délais requis l’investiture du nouveau Président.
Il a aussi cherché à provoquer Jammeh à travers la presse sénégalaise qui s’est appliquée à mener une campagne demandant de traduire le Président gambien sortant devant la Cour Internationale de Justice pour avoir tué des soldats sénégalais et puis de pousser l’opposition sénégalaise à réclamer son jugement immédiat pour sa gestion des affaires du pays. Le but recherché est évidement d’empêcher tout compromis ou entente avec la nouvelle équipe dirigeante en Gambie pour que ne subsiste plus à l’avenir un quelconque rôle pour Jammeh dérangeant pour le Sénégal et d’effacer à jamais toute trace de relations avec la Mauritanie.
C’est ainsi que le Sénégal a surpris tout le monde en encerclant la Gambie dans le but d’empêcher toute remise en cause du résultat des élections et pour imposer le fait accompli au nom de la CEDEAO.
C’est également à ce moment précis où le Sénégal s’employait par toutes ses forces à rendre irréversible la perte d’influence et d’intérêts stratégiques de la Mauritanie que le Président Aziz se trouvait pénard, au Tiris, dans son paradis artificiel, s’occupant de l’achat et de la collecte de centaines de têtes de chameaux et passant ses soirées à palabrer avec ses amis préférés parmi les commerçants et les courtiers. Ainsi, notre intervention est venue tardive, inefficace et débarrassée de tout intérêt concernant l’objectif principalement recherché, à savoir les relations avec la Gambie et reléguant au second plan le positionnement géopolitique de la Mauritanie dans cette partie de l’Afrique de l’Ouest, son influence et son rôle dans la sous-région.
Il en résulte une soumission totale du nouveau régime sous le manteau du Sénégal, une situation qui risque de perdurer pour un temps encore. C’est dans ces circonstances que le Président Aziz a rendu visite à la Gambie en même temps que Macky Sall où il fut accueilli par la Vice Présidente en tant que hôte de second rang tandis que son homologue sénégalais a eu les honneurs d’un invité de marque et a été reçu à l’aéroport par le nouveau Président Gambien.
Ainsi, la Mauritanie a perdu un allié important au moment où ses relations sont tendues avec le voisin sénégalais en raison de son appui aux mouvements de dissidences qui complotent contre l’unité et la cohésion du pays. En plus de cette évolution, Macky Sall a réussi à se donner une certaine virginité politique, une soit disant image de protecteur de la légalité constitutionnelle et de sauveur de la démocratie gambienne permettant au Sénégal de bâtir des relations fortes avec ce pays dont les rapports avec la Mauritanie ont été sacrifiés pour une randonnée au Tiris. L’intervention tardive de la Mauritanie ne servait pratiquement qu’à sauver Jammeh et ses acolytes.
Malgré ces déboires, certains analystes mauritaniens ont poussé le ridicule, l’arrogance et la flagornerie jusqu’à décrire le rôle de la Mauritanie comme étant un «succès». Dès lors, comment expliquer la perte de cet important allié stratégique!!? Est ce qu’on pourra également considérer cela comme un succès? C’est cette manière de pensée qui reste à appréhender !? Et comment pourra-t-on se décharger de nos égarements, de nos hésitations et de notre imprévoyance du déroulement des événements sur autrui? Comment peut-on juger les autres en les coupables parce qu’ils ont cherché à privilégier leurs intérêts !!?
Notre échec ne devra pas être une raison pour entretenir la tension dans nos relations avec le Sénégal parce que ce voisin cherche à détruire le mouvement de dissidence en Casamance et à empêcher toutes les possibilités d’appui dont elle pourra bénéficier à l’extérieur. Elle ne devra pas, non plus, nous demander l’autorisation de défendre leurs intérêts vitaux, ce qui ne veut pas dire qu’elle cherche à s’opposer à la Mauritanie. Les craintes de la Mauritanie sont tout à fait légitimes s’agissant des agissements probables de Macky Sall qui a certainement l’ambition de jouer un certain rôle régional en dehors des frontières de son pays et, dans ce cadre, chercher surtout des connexions avec le Royaume du Maroc dont les relations avec la Mauritanie connaissent, de temps à autre, des frictions.
Dans cette quête, le Président sénégalais s’est déjà installé dans une situation de harcèlement du régime mauritanien en étant plus réceptifs à l’égard des groupes revendicatifs à base raciale et certains opposants incommodes pour Aziz sans pour autant compromettre les intérêts de notre pays au Sénégal. A un certain moment, Macky Sall a fait preuve de bonne foi mais le manque total de confiance s’est installé solidement entre les deux pays.
Il est tout à fait normal que chaque pays s’efforce de disposer du maximum de cartes de pression contre son voisin comme nous le faisons, nous mauritaniens de façon permanente mais en empruntant la voie diplomatique, les pressions économiques et les conventions en vue d’obtenir une position meilleure et des avantages dans les relations bilatérales, non pas pour favoriser la crispation des rapports, les tensions et les menaces de confrontation. Cette démarche d’un Etat pour conquérir une place enviable dans ses rapports avec un voisin ne devra être sur le compte d’un certain niveau de relations imbriquées, anciennes et vitales pour les deux pays.
Le Sénégal, pays voisin et frontalier, dispose avec la Mauritanie de relations et d’intérêts réciproques qui dépassent de loin celles avec la Gambie dont les rapports représentent un facteur d’équilibre et de stabilité avec le Sénégal, ni plus, ni moins. Lorsque les relations avec le Sénégal sont au beau fixe, nos liens avec la Gambie deviennent secondaires.
Nos liens avec le Sénégal sont profonds, historiques et ont été forgés par la trame des siècles. Les illustrations sont nombreuses: l’extension des confréries religieuses à la rive gauche du Fleuve Sénégal, la mainmise de l’Emirat du Trarza de deux côtés de la frontière actuelle et des rapports entrelacés entre les entités qui gouvernaient de part et d’autre les deux pays à des époques très reculées de notre histoire commune. Au Trarza, ces rapports privilégiés sont développés depuis l’époque de l’Emir Ely Al Kory Ould Amar Ould Ely jusqu’à la naissance Ely Ould Mohamed Lehbib dont la mère est Djimbett M’Bodj, la reine du Walo.
Ces liens ont conduit les deux peuples à tisser des alliances pour mener des guerres de part et d’autre de la frontière commune. Les relations des sénégalais avec les Idew Iche qui étaient fortes se traduisaient, entre autres gestes, par le droit d’asile accordé par Bakar Ould Soueid’Ahmed entre 1779 et 1791 pour les rebelles sénégalais Abdou Ould Boubacar et l’Almamy de la région Bosséa et Alboury N’diaye du Royaume du Djolof qui ont se sont réfugiés en pays Maure déterminés qu’ils sont à lutter de toutes leurs forces contre la colonisation du Fouta par la France. A ce palmarès de liens solides et séculaires tissés par le sang, la proximité géographique et les valeurs culturelles et morales communes entre le Sénégal et la Mauritanie, le Brakna a joué un rôle prépondérant.
A un certain moment, le Sénégal abritait notre capitale N’Dar Leb’Yadh (Saint Louis de son nom colonial) que le Président Mokhtar Ould Daddah a abandonné comme exactement l’abandon de Dakhla au Sahara Occidental par le régime militaire sous la conduite de Mohamed Khouna Ould Haidalla.
Les frontières naturelles avec le Sénégal s’étendent sur près de 483 km, les intérêts communs trouvent leur expression dans la gestion du cours d’eau du fleuve, de l’électricité, la pêche, les pâturages, la santé, le commerce et la main d’œuvre employée dans la mécanique et l’électricité entre autres spécialités techniques. De nombreux mauritaniens vivent au Sénégal, soit de manière permanente, soit temporairement, assurant les moyens de leur subsistance annuelle.
Il est évident que les problèmes qui découlent normalement du voisinage existent bien entre le Sénégal et la Mauritanie exactement comme entre la France et l’Allemagne (Alsace et Lorraine), l’Amérique et le Mexique, l’Inde et le Pakistan et bien d’autres sans pour autant que cette situation, parfois marquée par des tensions, n’entache des rapports féconds et réguliers, ni créaient une influence négative.
Pour le cas de la Mauritanie et du Sénégal, il s’agit de rapports et d’intérêts de deux peuples qui concernent les commerçants, les confréries religieuses, les malades, les éleveurs et d’autre part les intérêts stratégiques et communs en ce qui concerne l’exploitation des champs de gaz à la frontière. Le régime mauritanien qui ne prend pas en compte que les intérêts évidement considérables du Sénégal dans notre pays feint d’ignorer l’énorme préjudice que cause la tension avec Dakar pour de nombreux foyers mauritaniens dont les revenus dépendent de leur séjour au Sénégal.
Ils sont nombreux à souffrir de la disponibilité et de la quantité du poisson Sardinelle (Yaye Boy de son nom local) disponible sur le marché alors que celui-ci entre comme élément essentiel dans le plat des populations démunies. Ce mal à gagner pour les mauritaniens concernent également l’impact négatif que subissent les investisseurs dans la pêche artisanale. Or, ces derniers font intervenir les sénégalais dans les pêcheries de Mauritanie. De même, les éleveurs qui profitent des pâturages abondants et sous exploités risquent d’en être privés alors qu’ils bénéficiaient de cet atout en période de sécheresse et de soudure.
La responsabilité et le sens du devoir dictent au régime de gérer la spécificité et les richesses du pays en vue de tirer le maximum de profits pour l’intérêt général des mauritaniens et non pour des considérations personnelles et subjectives. Il devra éviter de confondre son échec et la victoire des autres afin de ne pas exploiter cette situation pour un motif de tension dans les rapports entre les deux pays.
Il est aussi nécessaire d’envisager en toute urgence une action conséquente pour compenser la perte de relations stratégiques par une démarche qui construit des rapports fiables, fraternels et durables avec des pays voisins et se départir des conduites qui poussent à la tension et à la confrontation avec les pays limitrophes. Il nous suffit, pour le moment, de faire face à nos problèmes internes qui trouvent leur expression éloquente dans le chômage endémique, la détérioration du pouvoir d’achat des citoyens à travers l’augmentation des impôts sur les matières de première nécessité, la cherté de la vie et l’insécurité totale.
Le pouvoir ne devra pas priver les mauritaniens de tirer profit des pays voisins et ce risque est grand quand l’obsession de la guerre plane à l’horizon. Une telle situation est porteuse de facteurs d’isolement, de paupérisation et de privations pour ce malheureux peuple dont s’en occupe une minable élite dans le seul but de servir des intérêts du moment. A quand alors le régime va se désister et abandonner cette conduite périlleuse? A quand va donc émerger une élite qui contribuera à la protection du peuple et à son émancipation au lieu de l’acharnement et la ruée vers l’embellissement de la destruction du pays et la ruine de son peuple?
Par: Mohamed Mahmoud Ould Bekar
Source : Mauriweb (Mauritanie)