Cette déclaration volontaire aux relents autobiographiques, qu’accentue la solennité du témoignage, permet déjà de dire que Ben Bella est un Béni Hassane de cette contrée. D’ailleurs, dans certains pays dont précisément le Maroc, le nom tribal et le nom géographique se confondent souvent. Les Filali de Tafilalet en sont d’ailleurs la meilleure des illustrations.
Si cette déclaration est venue trancher la question des origines, objet de controverses, de Ben Bella, elle consacre désormais la certitude que les Maghrébins ont, en plus d’une histoire commune, un peuplement bien enchevêtré.
On trouve les origines de cet enchevêtrement dans les brassages et interpénétrations qui ont changé la physionomie du Maghreb et façonné son tissu ethnologique. On les trouve aussi et surtout, dans les mouvements migratoires qui l’ont marqué, depuis que le déclin de la civilisation de Rome, qui y assurait la stabilité de l’ordre de la cité, a contraint celle-ci a l’abandon de ses provinces de la rive sud de la méditerranée.
Parmi ces grands mouvements de populations, il y a bien sûr les invasions hilaliennes au milieu du XIe siècle, mais il n’est pas de notre propos de revenir ici sur cette dynamique. Nous nous limiterons simplement à faire la présentation succincte des Béni Hassane, notamment leurs branches marocaine et mauritanienne auxquelles appartient l’ancien Président algérien Ahmed Ben Bella.
Les Béni Hassan :
Béni Hassan est un ensemble tribal arabe hachémite présent au Maghreb depuis l’arrivée des Béni Hilal en Afrique du Nord. Selon l’historien marocain Ahmed Khaled Enaçeri, auteur de Talaat Almouchteri, leur filiation se présente dans ses grandes lignes comme suit :
Hassan, l’ancêtre éponyme, est Ben Mokhtar, Ben M’hammed, Ben Maghil, Ben Moussa El Harraj, Ben Jaafar Al Emir, Ben Ibrahim Al Arbi, Ben Mohamed El-jaouad, Ben Ali Ezzeinabi, Ben Abdallah, Ben Jaafar Attayiar.(2)
Au XIVe siècle, ce flux migratoire de tradition guerrière quitte l’Ifriqiya. En 1455, il est signalé du côté de l’Adrar mauritanien après avoir traversé l’Algérie et le Maroc en y laissant des colonies de peuplement.
A une époque plus antérieure, les historiens Ibn Khaldoun, Léon L’Africain, Marmol parlent dans leurs récits des Oulad Delim, Oulad Berbiche et Oudayas au Sud du Maroc, dans la région de Souss (3) où ils y étaient en campagne militaire en appui au chef berbère-hintata Ieder en conflit avec le sultan Almohade. (4)
Au Maroc, les tribus issues d’Oudei Ould Hassane se désignent par Oudayas, pluriel d’Oudei. Elles se composent d’Ereha, Ehel Souss, Almaghafira, et Oudayas se démembrant en une multitude de tribus parmi lesquelles on peut compter sans être exhaustif, Chebanate, Edrabka, Zirara, Oulad Delim, Ould M’taa, Oulad Jerar, Rehamna et Oulad Nacer « qui vivaient au début du XIIème siècle dans le triangle Molouia-Taza-Rif »(5).
Au fil du temps, la vocation guerrière des hommes Béni Hassane s’est illustrée. Pépinière de la Garde Royale, ils étaient devenus de redoutables faiseurs de sultans. C’est pourquoi Moulay Abderrahmane décida de les désarticuler en 1832. Il expédia les Maghafira à Marrakech, les Oudayas à Alaraich, et les Ehl Souss (fraction des Oudayas) iront à Ribaa prendre et sécuriser la Kasbah d’Almansouriya et la Kasbah des Oudayas (6).
La tentative de dispersion ainsi décidée fut de courtes durées eu égard à la double volonté des sultans à étendre leurs acquis territoriaux et aussi maintenir leurs trônes contre vents et marées. L’idée d’une armée régulière va vite s’imposer à l’avantage de ces tribus combattantes, transformées à cet effet en « tribus Guich », tendance qui s’est accentuée au XVIIe siècle sous Moulay Ismail(7). Le Sultan alaouite en bon stratège contracta une relation matrimoniale stratégique avec les Maghafira.
La reine Khnatha Bent Bakar de l’Emirat du Brakna va lui permettre de compter « sur le solide corps de l’Armée des Oudayas, issu de sa confédération tribale » (8).
Que ça soit sous la dynastie des Alaouites ou sous la dynastie des Saadiens ou sous celles qui les ont précédés depuis le XIIe siècle, les Béni Hassane ont toujours joué un rôle de premier plan dans l’histoire du Maroc. Leurs cousins mauritaniens eux aussi ont marqué leur temps.
En Mauritanie, les Béni Hassane renferment toutes les descendances d’Oudei Ould Hassane et ses frères Delim et Hamma comme le montre l’arbre généalogique suivant(9) :
Hassan.
Oudeï. Delim, ancêtre des O. Delim. Hamma, ancêtre des Berabich.
Marfar, ancêtre des Merafra. Rizg, ancêtre des O. Rizg. Mohammed. Arrouq.
Othman. Daoud, ancêtre des Oulad Daoud Mohammed. Daoud, ancêtre des Oulad Daoud Arrouq.
Omran. Yahia, ancêtre des O. Yahia ben Othman. Antar, ancêtre des Oulad Nacer. Rehhal, ancêtre des Rehahla.
Heddaj. Mohammed, ancêtre des O. Mohammed et des O. Mbarek.
Barkenni, ancêtre des Brakna.
Terrouz, ancêtre des Trarza.
Khouaou, ancêtre des Khouaouat (disparus).
La toute première présence arabe sur le territoire mauritanien date du début du XIVe siècle avec les Oulad Rizg suivis progressivement et sur plusieurs décennies des Béni Hassane vivant jusqu’ici dans la Saghié al hamra. Selon le maitre Ibn Khaldoun, pendant ce temps là « les Oulad Delim étaient encore dans la région côtière du Sud marocain … les Berabich n’avaient pas encore dépassé le Souss, alors que les Oudaia avaient déjà pris pied dans la région de Ouadane » (10).
A la fin du XVIIe siècle, les Béni Hassane après de solides résistances devinrent maîtres sur cet espace qui s’appellera plus tard avec la colonisation française « Mauritanie » et jadis entre les mains des populations nigritiques et des populations berbères. La voie leur est de la sorte ouverte pour amorcer l’arabisation du pays, devenue effective après l’épisode connu sous le nom de Charbeba et jeter les bases de l’organisation de la société sur un modèle déjà en place chez la composante négro-africaine du pays.
En établissant de puissants émirats comme ceux de l’Adrar, du Trarza, du Brakna à côté de très nombreuses autres chefferies tribales telles que celles des Oulad Mbarek, des Oulad Daoud ; des Ould Nacer aux Hodhs, et des Ould Delim dans la région de Tirs ; les Béni Hassanes avaient pu garder le territoire sous contrôle avant de le perdre avec la Colonisation française à la fin du XIXe siècle.
Au final, Béni Hassane appartiennent à la deuxième vague venue d’Arabie en Egypte. Leur migration a traversé sur quelques siècles la Tunisie, la Lybie, l’Algérie et le Maroc pour se ramifier en Afrique de l’Ouest : la Mauritanie, l’Azawad et même le Niger.
Le Royaume du Maroc, par respect à son histoire a inscrit dans sa constitution de 2011 en son article 5 ceci : « L’Etat œuvre à la préservation du Hassani en tant que partie intégrante de l’identité culturelle marocaine unie ». Apparemment, le Maghreb des peuples a précédé celui des Institutions, qui reste un vœu pieux.
Ely Ould Sneiba.
Université de Nouakchott,
Mauritanie.
Référence :
1. شاهد على العصراحمد بن بلا – HTTP://WWW.YOUTUBE.COM/WATCH?V=NMSMR5UPY7A
2. http://fr.wikipedia.org/wiki/Banu_Maqtil
3. Portugais, Arabes et Français dans l’Adrar mauritanien.
Bulletin du Comité d’Etudes Historiques et Scientifiques.1922, Tome V.
//www.mr.refer.org/numweb/spip.php?article23&artpage=5-18
4. Marty, Paul. Etudes Sur l’Islam et Les Tribus du Soudan.
Tome III. Les Tribus Maures du Sahel et du Hodh.
Paris, Ernest Leroux, 1921. P4.
5.Marty, idem.
6. http://www.oujdacity.net/regional-article-4917-ar/
7. HACHIM, MOUNA. LA MARCHE VERS LE NORD DES TRIBUS SAHARIENNES AU XVIE SIÈCLE.
WWW.LECONOMISTE.COM, ÉDITION N° 3386 DU 19/10/2010.
8. KHNATA-BENT-BAKKAR-REINE-MAROCAINE.HTTP://WWW.HORIZONS-DZ.COM
9. Marty, Paul. Etudes Sur l’Islam et Les Tribus du Soudan.
Tome III. Les Tribus Maures du Sahel et du Hodh.
Paris, Ernest Leroux, 1921. P4.
10. Portugais, Arabes et Français dans l’Adrar mauritanien.
Bulletin du Comité d’Etudes Historiques et Scientifiques.1922, Tome V.
//www.mr.refer.org/numweb/spip.php?article23&artpage=5-18