Procès en appel des abolitionnistes à Zouérate : Une issue incertaine

Procès en appel des abolitionnistes à Zouérate : Une issue incertaine Treize militants abolitionnistes et sept habitants du squat Bouamatou sont, depuis lundi, devant la Cour d’appel, sise nouveau palais de justice de Zouérate, quadrillé par un important déploiement des forces mixtes de sécurité (police, gendarmerie, groupement de la sécurité routière et police).

Familles des détenus, militants et sympathisants abolitionnistes ont rallié, la veille, la cité minière, donnant de la voix quelques heures avant l’ouverture du procès, avec un objectif central : obtenir la relaxe de prévenus. Ceux-ci sont apparus, dans le box des accusés, sereins, certains avec des traits tirés. La salle d’audience s’est révélée trop petite pour accueillir le public.

De nombreuses personnes n’ont pu accéder au palais. Leur attroupement, en masse aux alentours, a poussé la Garde à les disperser. Le nombre de manifestants s’élevait à plusieurs centaines, en dépit des appels à la prudence et des avertissements.

De passage à Zouérate, un dirigeant d’un parti récemment reconnu déconseillait, depuis plusieurs jours, aux populations locales, tout déplacement, les appelant à « veiller au grain face à l’arrivée de bandes de délinquants ». Des appels relayés dans les mosquées et les marchés mais battus en brèche par les militants d’IRA, surtout les membres du Comité de la paix, qui n’ont cessé de rappeler, au public, le caractère pacifique du combat mené par l’organisation abolitionniste.

Ses militants et sympathisants ont scandé des slogans hostiles au pouvoir, dénonçant la persistance de l’esclavage, du racisme et de l’injustice dans le pays, non sans réclamer la libération des treize détenus condamnés, injustement, selon eux, à de lourdes peines, pour des délits imaginaires. Des tambours et banderoles ont été confisqués par les forces de l’ordre. Aucun incident n’a été enregistré.

Dés l’entame du procès en appel, le pool des avocats de la défense annonce la couleur. Ils soulèvent les exceptions de forme relatives au cas de flagrant délit qui, selon eux, ne s’appliquent pas à leurs clients, arrêtés en différents lieux éloignés des échauffourées, plusieurs jours après ceux-ci.

Les procès-verbaux établis par la police sont d’autant moins conformes à la loi, de l’avis des avocats, qu’ils n’ont été ni paraphés ni même authentifiés. « Certains officiers de police judiciaire n’étaient pas compétents pour mener les enquêtes qui n’étaient, non plus, pas de leurs ressorts territoriaux ».
Les avocats sont aussi revenus sur les tortures dont ont été victimes certains des détenus, au moment de leur garde à vue. Ils ont demandé l’ouverture d’une enquête à ce sujet, la poursuite des tortionnaires et l’annulation des procès-verbaux. Un procès en appel à l’issue incertaine, même si la défense, affichant une certaine sérénité, ne désespère pas d’obtenir « l’abandon de toutes les poursuites contre ses clients et leur libération immédiate ». Ils veulent croire que les erreurs commises en première instance seront réparées en appel.

Pour rappel, le président de la Cour a décidé d’enregistrer les exceptions soulevées (sur le flagrant délit, les cas de tortures, la nullité des PV et l’incompétence des officiers de police judiciaire) par la défense, à l’entame du procès et de statuer à la fin des auditions et des plaidoiries.

Les abolitionnistes mitraillent

Dans une missive destinée à l’opinion nationale et internationale, diffusée à la veille de leur procès, les détenus d’IRA ont dézingué « le régime raciste et esclavagiste du dictateur Ould Abdel Aziz [qui] s’évertue à afficher son mépris pour les défenseurs de droits humains, en général, et des abolitionnistes, en particulier. […]

Ce mépris ostentatoire se traduit par l’instrumentalisation, méthodique et assumée par ce régime, de ce qui reste des autorités judiciaires du pays. Pour preuve, si besoin en était, notre présence, injustifiée et absurde, derrière les barreaux des geôles des esclavagistes, sans autres raisons que nos idées, nos principes et la ferme intention des les défendre et de les exprimer ».

Les prisonniers le clament, haut et fort : « du fin fond des lugubres cellules d’isolement de la prison de Zouérate, notre moral n’a fait que se raffermir et notre volonté que grandir, à poursuivre notre combat, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des prisons ».

Sans aucune confiance envers une justice aux ordres, les prisonniers disent ne s’attendre à « rien de bon, vu comment nous fûmes empêchés de nous défendre en première instance. Cependant, nous exploiterons la tribune que nous offre le jugement en appel, pour dénoncer les accusations mensongères portés contre nous et pour crier notre innocence, en direction de l’opinion nationale et internationale ».

S’adressant à Ould Abdel Aziz qualifié de « dictateur en chef qui, paraît-il, se demandait « qui sont les Haratines ? », nous disons que nous en sommes les fiers descendants, que ses verdicts ne nous font nullement peur et qu’ils ne nous détourneront jamais de nos nobles objectifs.

Alors, à vous de choisir : vingt, vingt-cinq ans, la perpétuité ou, même, la peine capitale ». Enfin, les prisonniers remercient « tous les Iraouis, militants et dirigeants, nous leur disons merci. Merci pour les combats menés, les actions ciblées.

A tous, nous renouvelons notre serment de poursuivre la lutte quel qu’en soit le prix et quels qu’en seront les sacrifices. Aux organisations de la société civile et partis politiques qui nous soutiennent nous disons merci et continuons ensemble la lutte, pour hâter l’avènement de l’aube de cette longue nuit peuplée de ténèbres et de dangers. La victoire ou le sacrifice, telle est notre décision et Allah disposera », ont-ils conclu.

Amnesty International exige la relaxe

« La cour d’appel de Zouérate doit annuler les peines d’emprisonnement allant jusqu’à quinze années, prononcées contre treize militants anti-esclavagistes et les libérer de prison immédiatement », a déclaré Amnesty International. « Les autorités se servent de cette affaire dont la solution est évidente pour tenter de faire taire les militants anti-esclavagistes en Mauritanie », a déclaré Kiné Fatim Diop, chargée de campagne pour l’Afrique de l’Ouest.

« Depuis le début, ce procès est entaché d’irrégularités et des allégations de torture n’ont donné lieu à aucune enquête. Les autorités n’ont pas réussi à prouver la moindre responsabilité pénale, pour les actes de violence dont ces personnes sont accusées. La cour d’appel doit mettre un terme à cette mascarade ».

« La répression visant actuellement les militants antiesclavagistes et les défenseurs des droits humains en Mauritanie n’a aucune justification légale. Si la cour d’appel n’annule pas ces condamnations injustifiées, ce sera un affront aux centaines de milliers de personnes dans le monde qui militent pour l’abolition réelle de l’esclavage », a ajouté Kiné Fatim Diop.

« Ces militants sont des prisonniers d’opinion accusés à tort et incarcérés en vue d’entraver leur travail légitime. Régulièrement pris pour cibles, en raison de leurs opinions, ils doivent être libérés immédiatement et sans condition.

Cette persécution de longue date n’a aucun fondement légal. Les autorités doivent mettre fin à leur règne de la peur, cesser de réprimer les militants anti-esclavagistes et veiller à ce que tous les défenseurs des droits humains puissent accomplir leur travail dans un climat favorable et sûr. » Une position approuvée par tout un panel d’organisations qui ont tenu à signer une déclaration commune en ce sens.

Thiam Mamadou, Envoyé spécial à Zouérate

Encadrés

Lourdes peines

Les abolitionnistes avaient été condamnés, en première instance, par la Cour criminelle de Nouakchott-Ouest, à diverses peines pour « rébellion, usage de la violence, attaque contre les pouvoirs publics, attroupement armé et appartenance à une organisation non reconnue », le 18 Août dernier, à l’issue d’un procès qualifié par les avocats et les observateurs de « mascarade judiciaire ».
D’autant plus que, selon la défense, la procédure était entachée de « nombreuses irrégularités », alors que certains des condamnés avaient été « soumis à des actes de torture et de mauvais traitements, lors de leur détention ». Le 22 Août, le collectif d’avocats interjetait appel de ces condamnations.

En dépit des récriminations de la défense et des familles des détenus, les autorités judiciaires décident, le 28 Septembre 2016, de transférer, à Zouérate, les treize membres d’IRA et les sept habitants de la gazra, avant leur acheminement définitif à la prison de Bir Moghrein où ils devraient purger leur peine.

Or, de l’avis de plusieurs organisations de défense de droits humains, « cette prison ne possède pas les infrastructures nécessaires et adaptés aux besoins médicaux des détenus ».

Le transfert des abolitionnistes ne visait, estiment-ils, « qu’à les éloigner de leurs familles, de leurs avocats et de tout soutien de la société civile, ainsi qu’à les punir davantage pour leurs activités en faveur des droits humains ». En outre, leurs médecins qui « les considèrent trop affaiblis en raison des actes de tortures subis » ont fortement déconseillé leur transfert.

Les membres d’IRA et les habitants de la gazra ont été arrêtés en lien avec une manifestation spontanée organisée, le 29 Juin 2016, contre l’expulsion forcée des occupants installés dans une propriété privée, manifestation au cours de laquelle des scènes de violences ont été perpétrées.

Une voiture des forces de sécurité fut brûlée, certains manifestants et agents des forces de sécurité blessés et des véhicules privés endommagés. Aucun des condamnés, arrêtés quelques jours après les échauffourées, ne se trouvait sur les lieux de la manifestation.

Audition de trois détenus et coupure

Le procès en appel des abolitionnistes et des habitants de la gazra Bouamatou a été interrompu lundi nuit (14 novembre) par une coupure d’électricité- fait rarissime dans la cité minière- intervenue à 20 heures obligeant le président de la Cour d’appel à suspendre la séance après un temps d’attente de 20 minutes. L’éclairage au solaire de la salle d’audience état de mauvaise qualité. Peu avant la suspension, Diop Amadou Tidjane était passé à la barre.

Devant les magistrats de la cour et un vaste public, Diop a plaidé non coupable et administré un mémorable réquisitoire devant le tribunal. Durant quatre heures d’horloge, le troisième vice-président de IRA a tenu à démonter la thèse d’accusation qui lui avait valu une condamnation à 15 ans de prison ferme pour avoir été l’un des planificateurs des troubles ayant conduit à l’attaque contre les policiers, attaque qui s’est soldée par la blessure de plusieurs policiers (dont certains dans un état grave) et l’incendie de leur véhicule.

Plaidant de son innocence et celle de ses compagnons d’infortune, Amadou Tijane a demandé aux juges d’œuvrer en toute conscience. «Nous vous demandons d’apporter un contenu objectif quand à l’interprétation du droit, l’application et la mise en œuvre de la loi. Car c’est cela qui doit constamment qualifier le sens de votre responsabilité et déterminer la grandeur de votre âme et conscience, les seuls leviers qui dictent et commandent vos actes en pareille circonstance », souligne-t-il.

Mesurant la délicatesse liée à l’exercice et à la fonction de juge, «même lorsqu’il est réputé dire la vérité et appliquer la loi, dans un univers ou la controverse et la compromission de l’autonomie des institutions judiciaires ne font l’ombre d’aucun doute », Diop a souhaité que la cour mesure la gravité du moment, à l’heure où elle rendra son verdict.

Peu avant Moussa Biram et Abdallahi Mattala Saleck ont plaidé non coupable et réfuté les faits qui leur sont reprochés. Relatant les conditions de son arrestation et de détention marquées, dit-il, par 72 heures de tortures affligeantes avec privation de nourriture et de possibilité d’aller aux toilettes, Moussa Biram a nommément cité ses tortionnaires et évoqué non seulement le refus du procureur de la République du tribunal de Nouakchott Ouest de prendre en compte sa plainte contre ses bourreaux et de le faire bénéficier d’une réquisition, de manière à lui permettre d’être ausculté par un médecin.
 

Source : Le Calame (Mauritanie)