Un Etat réellement de droit n’existe pas sans une société civile libre. Et vice-versa.
Une société civile vivante et active, facteur d’équilibre et qui joue un rôle croissant dans la promotion de la démocratie et l’enracinement de la culture citoyenne, est la preuve qu’un Etat est démocratique et moderne.
Entre l’Etat et la société civile doit donc exister un rapport de complémentarité, assaini mais aussi un rapport de soutien réciproque et de distribution, pour le bienêtre des citoyens, loin de toute confrontation et contradiction mais aussi de conflit d’intérêt.
En Mauritanie, la société civile, encore très jeune, a peine à émerger car plusieurs difficultés d’ordre interne et externe se dressent devant elle, au rang desquelles il y a les institutions étatiques mais aussi les idées dominantes en cours, la formation idéologique, la culture politique qui constituent autant de pesanteurs particulièrement déterminantes. Ces obstacles revêtent un caractère structurel.
D’un autre côté, la configuration de la vie politique actuelle participe à l’inhibition de la société civile officielle composée des partis politiques, des syndicats, des associations, et gérée par les élites intellectuelles et technocrates, les notables.
Il s’agit d’une société civile trop diversifiée fonctionnant principalement à l’écrit et proliférant dans la capitale et les grandes villes. Mais face à l’Etat, se dresse aussi une société civile silencieuse en périphérie des villes mais souffrant des conditions de vie difficiles.
On peut ajouter à juste raison que la plupart des élites de toute nature se trouvent pour une raison ou pour une autre imbriquées dans les cercles du pouvoir ; cette imbrication crée, de fait, un rapport quasi-hiérarchique avec l’Etat. D’où l’absence de l’autonomie du social du fait du quadrillage administratif aussi intense que constant, attentif à toute amélioration qui pourrait en accroître l’efficacité dans une ambiance de maîtrise sécuritaire de la société.
En outre, la situation de dépendance sociale et économique dans laquelle se trouve la société civile la situe face à l’Etat dans une relation de clientélisme.
La problématique de la société civile en suscite une autre, aussi importante, à savoir sa capacité à croire en la validité et la justesse du projet qu’elle est en train de défendre et son pouvoir d’insuffler la confiance entre ses composantes.
Mais en dépit d’obstacles divers, de nombreux indices attestent de l’affirmation d’une société civile dynamique : ces signes récognitifs de l’existence d’une société civile sont constitués, d’une part, par les changements opérés au niveau du mouvement national et le développement du mouvement social qui attestent tous les deux des signes d’existence d’une certaine société civile vivant selon les conditions objectives des mouvements de flux et de reflux.
Et d’autre part, à l’état actuel de la vie partisane, son mode d’existence, ses articulations sur l’Etat n’incitent pas à privilégier les partis politiques à assumer le rôle de médiateurs entre la société et l’Etat.
Il en résulte qu’une part importante des inputs en faveur de la réforme politique du pays doit provenir des individus et des groupes qui forment ce qu’on appelle société civile, dans la mesure où ce sont eux qui créent les réseaux tant politiques qu’institutionnels, en vue de l’articulation, du regroupement et de la représentation des intérêts divers.
La société civile a besoin plus que jamais de démontrer combien est erronée la vision réductrice qui prétend occulter l’existence d’une réalité sociale complexe et articulée en Mauritanie. Elle doit contribuer à mobiliser les citoyennes et citoyens à devenir responsables et aider à l’éveil politique des populations. Cela suppose que l’Etat doit avoir confiance à la société civile dans toute sa diversité afin qu’elle puisse jouer pleinement son rôle de contrepouvoir, de faire face, de contrôle de l’action publique et faire d’elle un partenaire pour contribuer au développement économique durable et à la stabilité politique et sociale.
Cela suppose aussi que les partenaires au développement aident la société civile à disposer de l’expertise nécessaire pour un renforcement de ses capacités humaines et financières.
Mais cela suppose aussi et surtout que le projet de loi sur la société civile, devant être soumis au Parlement, adopte le système déclaratif et non celui de l’autorisation administrative.
En effet, le maintien du système d’autorisation ci-dessus cité constitue la préoccupation majeure de la société civile. Cette éventuelle disposition qui soumet toute association – qui se crée – à une autorisation administration n’est pas admissible dans un monde où la liberté d’association est la règle.
Le système d’autorisation peut être utilisé par l’administration pour refuser ou accepter une association sur la base de critère sélectif et subjectif.
Ce système, qui constitue une incongruité, est, par ailleurs, de nature à occasionner des abus, voire des injustices, et briser ainsi la combativité de la société civile ; d’autant plus que les OSC continuent, sous ce système, d’être régies par la loi n°64.098 devenue obsolète et inadaptée.
A l’instar des pays voisins et amis (Maroc, Mali, Sénégal, etc.), la Mauritanie doit opter pour un système déclaratif qui garantira aux OSC le plein exercice de leurs droits et contribuera à leur promotion, car ce système permet de doter le citoyen d’un cadre juridique clair et adapté, un moyen juridique diligent, sérieux et efficace pour défendre les droits de ce dernier vis-à-vis de l’administration, de l’autorité de l’Etat lui-même.
Ce système a aussi l’avantage que les OSC se sentent responsables et mènent à bien leurs activités respectives au service du pays. En outre, il permet de faire respecter le principe de l’égalité devant la loi.
En conséquence, l’adoption du système déclaratif reste un impératif, dans un monde où les libertés ne peuvent plus être bafouées ; surtout que ce système constitue un cadre juridique approprié et en cohérence avec l’arsenal juridique mauritanien, notamment la Constitution en son article 10 et les normes internationales ratifiées par la Mauritanie (Pacte des droits civils, politiques, en son article 22).