Voici une communication qu’a présentée notre compatriote, Ahmedou Ould Abdallah, la semaine dernière, devant une réunion de la Francophonie réservée à la lutte contre le fléau du terrorisme au Sahel.
Ahmedou Ould Abdallah, président Centre4s,Nouakchott, Mauritanie : «Quelques observations.
Je me suis souvent demandé si le terrorisme n’était pas un phénomène transhumant. En d’autres termes, un mutant qui passe d’un continent à un autre et d’un pays vers d’autres. Dans les années 1960, il y avait les Tupamaros enAmérique Latine, les Brigades Rouges en Italie, la Bande de Baader enAllemagne, l’Armée rouge au Japon. Puis suivirent le Moyen Orient et l’Asie. Puis l’Afrique par étapes : orientale, septentrionale et, à présent, le Sahel Sahara.
Une autre curiosité. On appelait alors terroristes les poseurs de bombes qui tuaient aveuglement quelques soldats mais surtout un grand nombre de civils innocents. Condamnés comme terroristes, pour leurs actions meurtrières, ils apparaissaient parfois quelques années plus tard comme invités officiels des pays auxquels ils avaient naguère infligé de graves dommages humains et matériels.
Mon premier point est que la question du terrorisme est si complexe qu’il faut savoir de quoi on veut exactement parler. D’ailleurs, face à ce problème aussi polémique que passionnel, l’Assemblée générale des Nations Unies après des années de débats a fini par en recenser, non pas une, mais 142 définitions.
Le second point à faire est que depuis le 11 septembre 2001 les choses ont fondamentalement changé. Le terrorisme a pris une dimension planétaire et cherche, par la violence armée, à s’approprier une religion voire toute une culture pour imposer un seul système au reste du monde. D’où la tournure actuelle des choses.
Dans ce nouveau contexte, quelle est, aujourd’hui, la situation en particulier dans l’espace francophone qui nous réunit ici ?
Combien de courage et de temps faudra-t-il pour arrêter la spirale des pertes en vies humaines et la déconstruction des institutions et donc des pays ?
L’espace francophone et la violence armée
Une radicalisation insidieuse, base de recrutements futurs pour la violence armée, s’enracine chaque jour davantage à travers tout le Sahel. Elle affecte les libertés et la sécurité des populations et fragilise aussi la neutralité de leur espace territorial.
De fait, l’extrémisme violent a d’autres causes, plus profondes, que le seul fait religieux.
A cet égard, il est fréquent de parler de la faiblesse du niveau de l’enseignement, de l’urbanisation rapide et chaotique qui facilite les excès dans un anonymat presque total. Le chômage massif des jeunes est souvent montré du doigt de même que les technologies de l’information un vecteur de communication rapide et accessible à tous. Parmi ces causes, les sources extérieures de financements, parfois sous le couvert de certaines activités charitables, sont fréquemment mentionnées.
Le consensus autour de ces causes de la radicalisation graduelle des sociétés et, pas seulement que des jeunes a également une autre explication. Elle s’appelle la mauvaise gouvernance.
Riches sur le plan spirituel et affiliées depuis des siècles à de grandes confréries Soufis, les populations du Sahel sont résilientes et sobres. La pauvreté ne les pousse pas vers le radicalisme. Plusieurs facteurs, dont essentiellement le sentiment d’injustice généralisée, le fléau d’une corruption impunie et le retour graduel au tribalisme affaiblissent l’autorité des états. Tous encouragent l’enracinement du radicalisme comme « la solution ».
Pour de nombreux citoyens, l’état est devenu une fiction peu visible en dehors des cérémonies officielles. Dans plus d’un cas, cette fiction s’est transformée en un état informel. Mais un état souvent peu craint, peu sollicité et rarement respecté par ses sujets.
Une indifférence internationale et, au mieux un penchant peu convaincant en faveur du statu quo, limite les pressions ou actions propices à un plus vaste espace démocratique.
Sauf rares exceptions, les partis politiques gouvernementaux ont depuis fort longtemps cessé d’être des relais entre les peuples et leurs dirigeants. Ceux de l’opposition, du fait de l’impossibilité d’alternances pacifiques au pouvoir, tournent souvent à vide. Ils se trouvent de plus en plus supplantés par des organisations de la société civile non encore récupérées par les pouvoirs. Enfin, se croyant débarrassés de la crainte d’un coup d’état militaire, des leaders préparent, sans nécessairement le vouloir ou le savoir, le lit de l’extrémisme radical.
Sous le regard blasé ou indifférent de la communauté internationale, la montée en puissance et l’enracinement graduel de l’extrémisme violent, trouvent leur force dans ces gouvernances peu lucides.
Gouvernance et djihadisme
Presque deux décennies après la Déclaration de Bamako en faveur de la démocratie en 2000, l’OIF doit revisiter les lieux. Pour en démontrer la pertinence et aussi la nécessité d’en actualiser le contenu ou le modus operandis. Il en va de même de la Déclaration de Saint Boniface, 2006, relative à la sécurité humaine et la prévention des conflits.
La lutte pour une saine gestion des ressources nationales et contre la marginalisation des populations minoritaires et des zones frontalières, passe par une gouvernance responsable. Le principal allié du djihadiste, et aussi son meilleur stimulant, reste la mauvaise gouvernance.
Une gouvernance qui aide à mettre fin aux zones grises de non droit demeure la base de la paix et de la prospérité. Le recul notoire de la qualité des systèmes d’éducation et de la justice ainsi que des pratiques malsaines dans le domaine économique discréditent les pouvoirs publics et alimentent la propagande de l’extrémisme violent.
Si depuis Bamako des progrès notoires ont été acquis en matière des droits de l’homme et des libertés d’expression, les lacunes et surtout les verrouillages des systèmes politiques bloquent la transparence dans la gestion des états. Un grand nombre de pays ne peuvent, par leurs seuls moyens, faire face à la puissance et à la détermination des mouvements radicaux. Agissant, parfois en entente avec des opérateurs impliqués dans des trafics divers, y compris de cigarettes et de drogue, les djihadistes ont souvent le dessus sur des forces de sécurité peu aguerries.
Combattre les rebellions exige l’utilisation, ou pour le moins la menace, de l’emploi de la force de police et de l’armée. Cependant, pour son efficacité, l’armée nationale doit remplir un certain nombre de conditions. Avant tout, elle se doit d’être véritablement nationale c’est à dire professionnelle avec un recrutement et des promotions basés essentiellement sur le mérite. Populations et soldats doivent pouvoir se reconnaitre dans cette institution garante de la pérennité de la nation. Les alliés militaires extérieurs doivent y aider.
Cependant, même entrainée, intégrée et bien équipée, une armée peut tout au plus contenir la menace terroriste mais rarement l’anéantir. Par des actions sporadiques, un terrorisme résiduel arrivera toujours à infliger de grands dégâts à un pays.
Plus qu’ailleurs, au Sahel, les alliances militaires régionales sont indispensables pour combattre les extrémistes. Le problème est qu’il faudra beaucoup de temps et de moyens pour établir ou rétablir la confiance entre militaires et s’accorder sur les priorités opérationnelles. A lui tout seul, cet objectif implique une gouvernance responsable qui sait déléguer les tâches à ceux qui sont en charge de les concevoir et exécuter.
En conclusion, convaincus qu’ils agissent dans le sens de l’Histoire, les extrémistes, et spécialement les djihadistes, pensent que le temps est de leur côté. La sobriété qu’ils appliquent à leurs budgets et à son exécution les expose à moins de contraintes que les gouvernements parfois englués dans des dépenses à la transparence douteuse.
Pour en sortir victorieux, ces derniers doivent élargir leur base politique des et donc leur propre légitimité. Une meilleure gouvernance dans les principes, et surtout dans les faits, constitue le meilleur ingrédient contre les extrémismes ».
Paris, 6 au 8 juin 2016
Source : Rmibiladi (Mauritanie)