Officier supérieur, artisan et Président de l’impeccable Transition de son pays vers la démocratie (2005-2007), personnalité de premier plan, personne-ressource de la communauté internationale et membre d’honneur des Fondations Jacques Chirac et Yasser Arafat, Ely Ould Mohamed Vall fait partie de la poignée d’hommes et de femmes de valeur prêts à servir la patrie mauritanienne, si l’Histoire l’y convie notamment dans un contexte où celle-ci est en perpétuel équilibre entre panne politique, surplace économique et naufrage géopolitique.
Dans cet entretien pointu avec le journaliste-politologue Babacar Justin Ndiaye, Ely Ould Mohamed Vall s’éloigne du train-train quotidien, monotone et superficiel du débat permanent entre majorité et opposition, pour – tour à tour – fouiller les entrailles de la réalité mauritanienne et aiguillonner son pays vers le cap du meilleur destin, dans un environnement perturbé par les contraintes de la géopolitique saharo-sahélienne.
Au vu de la nature des questions, le journaliste lui donne alternativement du « Mon Colonel » et du « Monsieur le Président ».
Mon Colonel, un gros pan de votre carrière reflète une vertigineuse mobilité. Aix-en-Provence, Meknès, guerre du Sahara, Aïn Ben Tilli (une position militaire où vous a précédé le défunt et prestigieux capitaine Souédatt), puis le commandement de deux importantes régions militaires. Enfin, le pôle de stabilité ou le point d’ancrage fut la Sûreté nationale. Presque vingt ans de Premier policier de Mauritanie. Quel est le secret de ce record de longévité dans un poste où la gloire et la déchéance sont des sœurs siamoises ?
Je crois que le culte de la loyauté, la confiance de la plus haute autorité de l’Etat et une certaine conception de la responsabilité mettant en avant la personnalité, ont permis de servir la nation, à cet échelon-là. Sans abus. Vous savez, à ce niveau de responsabilité et dans l’exercice d’une mission nationale aussi patriotique que délicate, votre personnalité joue pleinement. En clair, vous restez fidèle à l’autorité, mais vous demeurez autonome dans la manœuvre, c’est-à-dire dans l’exécution des ordres, et plus globalement dans l’accomplissement de la tâche. Si l’autorité accepte cette sorte d’accord tacite, non écrit mais convenu, tant mieux ! Sinon, vous en tirez les conséquences. Moi, ce fut mon schéma de travail..
Monsieur le Président, n’avez-vous pas le sentiment – rétrospectivement bien sûr – que votre candidature à l’élection présidentielle de 2009 fut insuffisamment mûrie voire totalement irréfléchie ?
Je vous cite Mirabeau : « On peut tout soutenir, sauf l’inconséquence ». Ayant initié et piloté une Transition démocratique validée par tous les Mauritaniens, jusqu’à son terme, je devais et dois toujours porter en bandoulière, mes convictions démocratiques. Sans être naïf. Car l’homme qui a assassiné la démocratie par le coup d’Etat débile et dangereux de 2008, n’est ni apte ni disposé à organiser une élection propre et crédible ; encore moins à favoriser une alternance salutaire et salvatrice pour la Mauritanie. Avec un usurpateur qui a confisqué le pouvoir suprême, c’est la baïonnette qui sortira toujours victorieuse des urnes. Dans la Mauritanie d’aujourd’hui, les campagnes électorales, les bulletins de vote et les scrutins périodiques sont faits pour amuser la galerie. Donc, je joue – sans illusions – la carte de la démocratie face à un régime fossoyeur de la démocratie, afin que les Mauritaniens ne m’indexent pas comme l’homme qui les a abandonnés au milieu du gué et à la croisée des chemins escarpés.
En tout cas, la conjoncture politique est étonnamment calme. Est-ce une torpeur grosse de tornade ou une léthargie lourde d’abattement et de découragement ?
Détrompez-vous ! Au demeurant, je n’ai pas besoin de vous détromper, vous qui connaissez la Mauritanie, ses habitants et son histoire. Rappelez-vous, jusqu’au début des années 30, l’ordre colonial – malgré les moyens militaires et les rigueurs administratives de la France – était contesté. Autrement dit, laMauritanie n’a jamais figuré parmi les colonies entièrement soumises. La pacification y a été lente, laborieuse et heurtée. Donc, ce n’est pas un putschiste sans une once de légitimité, qui dominera indéfiniment notre pays. L’Histoire n’est pas une course de vitesse, c’est une course de fond. L’usurpateur le vérifiera obligatoirement à son détriment. Et l’opposition est d’autant méthodique que sa vocation n’est pas de casser ou de calciner le pays. Bien au contraire : elle veut sauver et sauvegarder la Mauritanie, pour mieux la gouverner demain, en la plaçant sur les rails de l’émergence. La boulimie de pouvoir et de tous les pouvoirs, c’est l’apanage de l’auteur du coup de force de 2008. Moi, j’ai une autre conception de la magistrature suprême qui rime avec mission, sacerdoce et grandeur.
Par-delà l’actuel Président de la république, il y a l’armée qui bouche totalement l’horizon démocratique depuis le 10 juillet 1978. Elle bivouaque en permanence au Palais présidentiel. Ne craignez-vous pas une « turquisation » définitive de la Mauritanie, avec une armée qui a son Etat et non l’inverse ? Autrement dit, est-ce que la Mauritanie n’a pas désormais intégré le club des pays où l’armée gouverne ou surveille la gouvernance : Turquie, Pakistan, Guinée-Bissau … ?
C’est justement le sens de mon engagement et de mon combat qui n’ont jamais été politiciens mais éminemment politiques. Nous devons conjurer une telle perspective et éviter un tel destin pour notre pays. C’est d’autant plus inacceptable que nous n’avons la même trajectoire historique que les pays qui ont été cités. En Mauritanie, ce n’est pas un mouvement armé en lutte qui a conduit le pays à l’indépendance. C’est un Etat de type originellement républicain qui a forgé un magma d’institutions parmi lesquelles figure l’institution militaire. Jusqu’en juillet 1978, la hiérarchie militaire était subordonnée au pouvoir politique et civil, comme le veut l’orthodoxie républicaine. C’est la guerre duSahara, c’est-à-dire une conjoncture lourde de périls, qui a provoqué cette accidentelle sortie de route.
Bien entendu, le loup militaire dans la bergerie, c’est commode et confortable pour les loups gradés et ambitieux, mais c’est dévastateur pour la bergerie. Certes, l’armée est un chef d’œuvre d’organisation, de discipline et de hiérarchisation ; toutefois elle est une entité lovée dans l’entité nationale. Du coup, l’activité politique peut y injecter le sérum de la division à travers les virus que sont les clans, les coteries, les ethnies et les tribus. Voyez-vous, dans tous les pays africains en guerre ou en voie de dislocation, c’est l’armée cassée et morcelée qui en est l’élément tantôt détonateur, tantôt amplificateur. Bref, le groupe socioprofessionnel qui a le monopole du feu (l’armement) doit faire très attention, en se mettant en marge de l’échiquier politique, notamment dans un pays comme la Mauritanie où les fêlures identitaires et les fractures communautaires s’effacent lentement, sans être parfaitement refermées. En un mot, comme en mille, la démocratie reste notre radeau. A condition, évidemment, qu’elle ne soit ni biaisée ni biseautée ni pipée.
Monsieur le Président, c’est bien dit ! Toutefois, il y a un télescopage entre l’agenda démocratique des peuples et l’agenda sécuritaire de la communauté internationale qui, elle, privilégie le tout-sécuritaire, c’est-à-dire la lutte à outrance contre le terrorisme synonyme d’islamisme dans l’entendement des Occidentaux. Est-ce que ce choc des agendas ne ruine pas les perspectives démocratiques dans une Mauritanie installée sur la ligne de front anti-terroriste ?
Le fruit de mon analyse est que les agendas doivent être concomitants et non concurrents. On peut assurer la sécurité de la Mauritanie sans sacrifier les aspirations légitimes de son peuple sur l’autel des vicissitudes géopolitiques. La meilleure façon d’apporter de l’eau au moulin du terrorisme, c’est précisément et fâcheusement, de geler ou d’enterrer le progrès économique et social des pays africains, au profit d’une démarche exclusivement martiale. La frénésie militaire n’est pas la solution, car le terreau fertile et l’engrais fertilisant du terrorisme ont pour noms : le déficit de démocratie et le déficit de développement. Nous devons, avec beaucoup de pédagogie, expliquer cela à nos partenaires de la communauté internationale. Sinon, le combat contre le terrorisme se transformera en une bouée de sauvetage pour des régimes essoufflés qui n’hésiteront à puiser dans l’arsenal des mesures d’exception : état d’urgence, état de siège etc. Pour me résumer et pour simultanément mettre en garde, je dis que l’arbre du combat louable et nécessaire contre le terrorisme ne doit pas cacher la forêt des calculs bassement politiques. Car des régimes impopulaires trouveront aisément dans la montée du terrorisme, une vraie aubaine ou du pain béni, pour bâillonner la presse, geler les libertés publiques, enterrer les acquis démocratiques chèrement conquis et, in fine, congeler l’alternance. Pour moi, la réelle bombe atomique contre le terrorisme, c’est le tandem « démocratie-développement ».
Toujours en connexion avec les agendas nationaux, internationaux et électoraux, beaucoup de pays s’installent dans ce que j’appelle : « la saison africaine des 1er tours gagnants ». Monsieur le Président, ne redoutez-vous pas les effets contagieux du syndrome du printemps continental des 1er tours, en Mauritanie ? En clair, l’occupant du Palais fera-t-il sauter – par voie référendaire – le verrou constitutionnel des deux mandats, en vue de gagner proprement au 1er tour, en 2019 ?
D’abord, le squatter du Palais n’a jamais gagné proprement. Lui, il confisque ou usurpe avec ou sans comédie référendaire. Et pour un hold-up, on n’a pas besoin de premier ou de second tour. Quand on triche, on peut passer au quart de tour. Plus profondément, votre question met en exergue l’équation et/ou le défi de la démocratie, sous nos cieux. Et, bien sûr, le regard condescendant ou respectueux que la communauté internationale porte sur notre gouvernance. Pour moi, la démocratie n’est pas un apparat juridique (des textes) ; elle n’est un décor électoral (des scrutins à répétition). La démocratie est une question de sincérité, car les institutions et les organes de toute nature (Administration, CENA, CENI etc.) ne valent que ce que valent les hommes et les femmes qui les animent. Par exemple, une Constitution n’est ni bonne ni mauvaise dans l’absolu. Tout dépend de l’usage sérieux, sincère et productif qu’on en fait. Il y va de la crédibilité, de la vitalité et de la pérennité de nos Etats. Vu sous cet angle, les victoires électorales au premier ou au second tour deviennent secondaires voire dérisoires. S’agissant de la limitation des mandats, je crois que les antécédents burkinabé et burundais ont démontré amplement qu’il y a un feu constitutionnel avec lequel il est interdit de jouer, lorsqu’on aime son pays.
Monsieur le Président, on n’est pas encore sorti de l’auberge. Tenez, on murmure que le Président Mohamed Abdelaziz voudrait – par des artifices juridiques, des astuces politiques et un zeste de pression militaire – installer un successeur à la tête de l’Etat. Est-ce vraisemblable, plausible et possible ?
Il y a des urgences assez brûlantes et des perspectives assez grises – donc pas du tout roses dans mon pays – qui me décommandent de commenter une telle blague sans saveur. Ces histoires de dauphin et de poulain sont de schémas irresponsables et risibles. Je me hâte d’ajouter que la Mauritanie n’est pas une monarchie : ni réelle ni déguisée.
Monsieur le Président, le réquisitoire contre le régime du Général Aziz ne cache-t-il pas votre difficulté à vous mouvoir sur l’échiquier politique face au rouleau compresseur du PRDS ? C’est bel et bien le sentiment de quelques chroniqueurs de la presse qui trouvent que l’opposition n’a pas su dégager un leadership…
Je ne polémique jamais avec la presse qui est un acteur incontournable, remarquable et respectable de la vie politique, en général et du bon fonctionnement de la démocratie, en particulier. A mon avis l’épicentre du débat se situe ailleurs. Le préalable, pour moi, est de créer un rapport de forces dans l’opinion et chez les citoyens, un rapport de forces dis-je, qui impose l’émergence de procédures électorales et de réflexes démocratiques assez fiables, à l’abri de toute tricherie grotesque et des micmacs malsains, comme on en voit depuis l’avènement du présent régime. C’est un travail de longue haleine. Je le répète : l’Histoire n’est pas une course de vitesse, c’est une course de fond. Même, s’il urge, parfois, d’accélérer la cadence.
Monsieur le Président, on enregistre la chute des cours du fer, de l’or et des hydrocarbures. En éprouvant l’économie mauritanienne, cette conjoncture rend encore plus pénible la vie des populations. Quel est votre plan et/ou votre parade contre cette descente sociale aux enfers ?
Il n y a pas de panacée. On ne peut pas mécaniquement et immédiatement peser sur les cours mondiaux. En revanche, un gouvernement travailleur peut profiter des embellies – même passagères – pour alimenter un Fonds National de Souveraineté destiné précisément à amortir ou, tout au moins, à amoindrir les effets des mauvaises surprises, comme la baisse soudaine et drastique des recettes dans les secteurs moteurs de l’économie nationale. Mais la vraie vocation de ce Fonds National de Souveraineté (FNS) sera d’anticiper sur les crises cycliques, en fortifiant les piliers de notre économie ; et de s’évertuer, durant les moments d’embellies, à cibler des investissements créateurs de richesses. Gouverner, c’est prévoir et prévenir, a-t-on l’habitude de dire.
Toujours au chapitre économique et social, le chef de l’Etat s’est très tôt autoproclamé « le Président des pauvres ». Apparemment, il est content de cette appellation. Votre commentaire ?
L’usage de ce slogan est abusif et trompeur. Car, emprunté à un autre pays baignant dans un autre contexte politique puis fallacieusement transposé enMauritanie. Et comme d’habitude, la copie est pâle comparativement à l’original. Au demeurant, demandez « aux pauvres » de Mauritanie, s’ils le reconnaissent comme un des leurs dans sa nouvelle situation ! En tout état de cause, éradicateur de la pauvreté, c’est mieux.
Pourtant, en écoutant les officiels et les thuriféraires du régime, on apprend qu’il y a des progrès spectaculaires, réels et chiffrés …
L’économiste américain d’origine écossaise, Alfred Marshall – à ne pas confondre avec le Secrétaire d’Etat Georges Marshall, auteur du célèbre Plan – avait l’habitude de dire à ses étudiants, je le cite : « L’économie réelle, c’est le ventre et la poche. Tout le reste n’est que littérature économique et forêt de statistiques ». Démarrez une enquête économique auprès des couches populaires en Mauritanie, vous entendrez des réponses aux antipodes des discours d’autoglorification !
Monsieur le Président, on est à l’orée du 6 juin2016 début du ramadan. Votre dernier mot en guise de souhait pour vos compatriotes et pour votre pays. Voire notre pays, car la Mauritanie est ma seconde patrie…
Je souhaite que le ou les futurs anniversaires – je conjugue au futur immédiat, pas au futur lointain – soient célébrés sous les auspices d’une rupture historique et démocratique. J’insiste : « Rupture » avec un grand R. Autrement dit, un sursaut démocratique et pacifique via lequel le peuple récupère puis redistribue librement la légitimité dont il est l’exclusif et le souverain détenteur.
Propos recueillis par Babacar Justin Ndiaye
Source : Le Quotidien de Nouakchott (Mauritanie)