Introduction: Je suis Mauritanien, un Hartani, descendant d’anciens esclaves. Je représente l’Initiative pour la Résurgence du Mouvement Abolitionniste, (IRA-Mauritanie) qui lutte contre l’esclavage dans le siège mondial de l’esclavage, en l’occurrence la Mauritanie
Etant moi-même témoin, de première heure, des terribles pratiques esclavagistes que subit la communauté ethnique des Haratin, j’ai été impliqué durant toute ma vie dans les campagnes anti-esclavagistes. J’ai grandi dans un village Haratin appelé Chogar Gadel ; quand les membres de cette communauté, dont beaucoup ont été soumis á l’esclavage, se soulevèrent contre leurs maîtres en 1976, j’avais joué un rôle important dans la rédaction des correspondances avec les autorités, parce que, malgré mon jeune âge, j’étais la seule personne alphabétisée dans la communauté.
Cet épisode démontre l’ampleur des problèmes que rencontrent les Haratines aujourd’hui même, 40 ans plus tard, tels l’esclavage, le non accès à l’éducation, et le manque de représentation politique. Mon discours portera sur trois points principaux: Qui sont les Haratines? Quelle est leur situation actuelle? Que pouvons-nous faire pour l’améliorer?
A-Qui sont les Haratines
Malgré le défaut international de notoriété autour de leur condition, les Haratines constituent, en fait, le plus grand groupe ethnique en Mauritanie. Ils représentent plus de la moitié de la population du pays. Ils sont originaires d’Afrique noire, et sont plus connus sous le nom de « Maures noirs », en opposition aux Beydhanes ou «Maures blancs», descendant des ethnies Arabo-berbères. Historiquement, les Haratines ont souffert des siècles d’esclavage pratiqué, sur eux, par les «Maures blancs», qui ne dépasseraient le quart de démographie.
B- Quelle est leur situation actuelle
1. Les Haratines sont majoritairement touchés par la pratique de l’esclavage, qui prend souvent la forme de caste ou de discrimination fondée sur l’ascendance.
-Le statut d’esclave est considéré héréditaire en ce sens qu’il se transmet de la mère aux enfants; de nombreuses familles Haratines héritent ainsi de l’esclavage, de génération à la suivante.
-En effet, dans son rapport en Août 2010, l’ancien Rapporteur spécial des Nations Unies sur les formes contemporaines d’esclavage, Mme Gulnara Shahinian, avait souligné que, « les Haratines…ont été identifiés comme le groupe ethnique qui subit le plus le risque de l’esclavage et les multiples formes de discrimination résultant de la pratique esclavagiste ».
2. Les Haratines sont profondément défavorisés dans la société, une situation qui rend beaucoup plus difficile la faculté, pour eux, d’échapper à l’état d’esclaves et aux autres formes d’exploitation de travail. – Il y a un accès limité á l’éducation: La plupart des Haratines fréquentent l’école seulement 2 á 5 ans, voire pas du tout. Le taux d’analphabétisme est encore très élevé, en particulier dans les zones rurales et éloignées habitées majoritairement par la communauté haratine.
Aussi, leur condition comporte-t-elle deux conséquences durables:
a) L’absence de moyens de survie oblige, beaucoup, aux travaux forcés, comme seul moyen disponible pour soutenir leurs familles.
b) L’ignorance empêche et limite, chez la plupart, la connaissance et l’apprentissage des principes d’égalité, les droits juridiques et humains, ou la législation existante en Mauritanie, qui interdit l’esclavage.
– Les Haratines sont également sous-représentés dans les missions diplomatiques de la Mauritanie, les postes clefs de l’administration, le haut commandement des forces de sécurité: l’armée, la police, la garde nationale et la gendarmerie. Ils sont ultra-minoritaires dans les universités et sont rarement bénéficiaires de bourses d’étude. Ils sont sous-représentés dans les médias, notamment la télévision, la radio et la presse écrite, ainsi que dans le domaine des affaires.
-Les Haratines sont très peu représentés dans la politique:
a) Malgré leur important poids démographique de 40-50% de la population, seulement 10% des parlementaires sont Haratines. En revanche, les «Maures blancs» qui ne représentent qu’environ le quart de la population, occupent pourtant plus de 75% des sièges au parlement.
En 2012, à peu près 78% des nominations aux postes de haut niveau dans l’administration bénéficiaient aux «Maures blancs», contre 8% seulement aux cadres Haratines. Il en résulte, donc, une différence entretenue de pouvoir et de représentation.
b) Un recensement de la population a été introduit en mai 2011, afin de créer un nouveau registre civil sécurisé pour la confection et le renouvellement des cartes d’identité. Mais seulement quatre groupes ethniques y sont reconnus: les Maures, les Soninké, les Peuls et les Wolof. Quant aux Haratines, le groupe majoritaire, ils ne sont pas mentionnés en tant que groupe ethnique mauritanien à part entière, entrainant de fait l’apparition d’un sentiment grandissant sein de la communauté de peur de se voir retirer la nationalité mauritanienne.
3. Les maîtres utilisent plusieurs méthodes supplémentaires pour maintenir le contrôle sur les esclaves:
a) L’utilisation de la religion: Beaucoup de maîtres exploitent abusivement l’Islam, pour menacer les esclaves d’être privé du Paradis s’il n’obéit pas.
b) Les membres de familles réduites à l’esclavage sont souvent séparés, laissant ainsi les individus sans soutien.
Ces méthodes, en combinaison avec un manque d’éducation et de sources autonomes de revenus, ont souvent abouti à un enracinement de l’état de l’esclavage qui, devenu héréditaire, débouche souvent sur une impasse sociale.
4. Le gouvernement mauritanien s’acharne activement contre les mouvements anti-esclavagistes, ce qui affecte de manière disproportionnée la communauté haratine.
a) Le maintien apathique de la loi: une seule personne a été poursuivie, pour pratique esclavagiste, depuis la promulgation en 2007 de la législation criminalisant l’esclavage, malgré le fait qu’environ 4% de la population sont touchés par la pratique originelle de l’esclavage. Le procès, qui a eu lieu en 2011, a condamné l’esclavagiste, qui gardait deux jeunes garçons en esclaves, à seulement 4 mois de prison.
b) Les pouvoirs qui se succèdent ont toujours nié que l’esclavage existe encore comme un phénomène répandu en Mauritanie.
c) Le gouvernement a continuellement persécuté les militants anti-esclavagistes Haratines et refusé la reconnaissance de leurs organisations. L’exemple le plus notable est ma propre organisation, IRA-Mauritanie, dont le président et le vice-président, Biram Dah Abeid et Brahim Bilal Ramdane, sont actuellement emprisonnés afin de purger leur peine de deux ans de réclusion prononcée par la Cour d’Aleg pour avoir manifesté contre l’esclavage.
Recommandations: Comment aider efficacement les Haratines?
1. L’émancipation est impossible sans des mesures concrètes pour appliquer les lois anti-esclavagistes et fournir les moyens, aux anciens esclaves, pour accéder à l’indépendance économique.
– Des programmes communautaires pour améliorer la connaissance du fléau de l’esclavage et de la législation existante en Mauritanie luttant contre ce crime afin de mieux protéger les victimes.
– L’accès á l’éducation et á la formation professionnelle pour doter les victimes des moyens de subsistance alternatifs.
Ces programmes sont essentiels pour permettre aux Haratines de se libérer, en particulier ceux vivant dans les zones reculées.
2. Améliorer l’efficacité de la législation anti-esclavagiste:
– Après les élections de mars 2007, une nouvelle loi criminalisant l’esclavage enMauritanie a été rapidement adoptée par le parlement. Cependant, ce ne fut pas une mesure efficace parce que le régime n’a pas voulu l’appliquer, et continue à nier la pratique de l’esclavage en Mauritanie. Le gouvernement doit prendre au sérieux l’application de la législation anti-esclavagiste.
– D’autres mesures juridiques telles que la réforme agraire et la possibilité de poursuivre en justice les anciens maîtres sont essentielles à l’émancipation des esclaves et doivent être introduites rapidement.
– Le blocage et la manipulation à l’œuvre dans les tribunaux présentent également l’un des plus grands obstacles à l’obtention d’une décision finale et à l’indemnisation des victimes.
3. La loi interdisant l’enregistrement légal de IRA-Mauritanie devrait être révisée, de sorte que cette organisation, qui n’a jamais envisagé l’usage de la violence, puisse poursuivre son important travail sans crainte de persécution de la part des autorités.
4. Le gouvernement devrait permettre une mission impartiale, de préférence étrangère, dont la mission est de quantifier précisément deux choses:
a) Le nombre d’esclaves en Mauritanie.
b) Le poids et la démographie de la communauté haratine, y compris leur représentation dans les institutions d’Etat, l’administration, le commandement militaire et d’autres positions d’influence, notamment le secteur privé.
Le pouvoir actuel nie l’existence de l’esclavage et ne reconnaît pas les Haratines comme un groupe ethnique distinct, malgré les estimations de leurs poids démographique respectifs. L’existence de données précises à ce sujet, même juste pour des régions spécifiques, serait très utile dans les efforts de plaidoyer contre le fléau. Nous serions ainsi en mesure de prouver que la surreprésentation des esclaves est d’ascendance haratine.
5. Des mesures urgentes doivent être prises afin de promouvoir une plus forte représentation de l’ethnie haratine marginalisés, y compris les femmes, dans le gouvernement, le Parlement, la justice et d’autres institutions publiques.
6. Les pays étrangers, ainsi que l’UE et les Nations Unies, devraient condamner conjointement, unies et concertées, l’inertie du pouvoir mauritanien en ce qui concerne l’esclavage, en particulier:
– L’apathie dont le gouvernement fait preuve à l’égard des propriétaires d’esclaves en dépit de mécanismes juridiques contraignants en apparence: à l’heure d’aujourd’hui un esclavagiste seulement a été jugé dans le pays.
– La persécution de ceux de la communauté haratine qui luttent pacifiquement contre l’esclavage, notamment Biram Dah Abeid, Brahim Ramdane Bilal, et d’autres militants de l’IRA-Mauritanie, régulièrement persécutés, du fait de leur engagement pour l’égalité de des droits civiques.
Je vous remercie.