Corruption : Une loi reformulée suffira-t-elle ?

Lors son dernier conseil des ministres tenu le 16 Janvier dernier, le gouvernement mauritanien a adopté deux projets de loi visant à améliorer celle régissant la lutte contre la corruption. Ce texte entend, d’une part, « combler les vides et insuffisances juridiques relevés par l’expérience de mise en application de la loi 2016-014 relative à la lutte contre la corruption au cours de la période écoulée, et, d’autre part, introduire les recommandations issues de l’examen périodique des dispositions de la Convention des Nations Unies contre la corruption », indique le communiqué du Conseil.

Il définit également des règles substantielles relatives à la criminalisation et à la répression des détournements de fonds dans le cadre de l’exécution, du contrôle et de la réception des marchés publics, ainsi qu’aux ordres et instructions donnés pour l’attribution des marchés et des avantages en violation de la loi. Enfin le projet de loi procède à la reformulation de certaines dispositions juridiques afin d’assurer une meilleure clarté du texte et d’en faciliter une application optimale.

 

Coup d’œil dans le rétroviseur

La modification intervient pour renforcer davantage la lutte contre un fléau devenu quasiment endémique en Mauritanie. Le projet de texte est certes louable mais la loi est loin de suffire à débarrasser notre pays de cette sorte de cancer qui le mine depuis 1978 et a connu un développement très préoccupant sous Ould Taya et sous Mohamed Abdel Aziz. Une volonté politique est certes manifeste depuis des années et des efforts sont produits pour endiguer cette pandémie qui gangrène l’économie nationale, nourrissant des frustrations et un gap entre les Mauritaniens dont une partie s’est accaparée des ressources du pays. Des signes ostentatoires de richesse s’étalent au grand jour, les biens publics du pays sont pillés et investis à l’étranger. Comment imaginer que des mauritaniens puissent dépenser, dit-on, un million d’euros par jour à Las Palmas, qu’ils achètent des châteaux en Espagne, en Turquie ou en France ? Ce qui se passe ici au pays est plus que flagrant. Des milliards sont injectés, souvent à travers des marchés de complaisance, dans des infrastructures peu fiables.

Face à cette situation qui ne tire pas le pays vers le haut, en dépit de ses immenses ressources, le président de la République, Mohamed Cheikh El Ghazouani avait réaffirmé, dans son discours d’investiture en Août dernier, sa détermination à lutter efficacement contre la gabegie et la corruption. Cette volonté était affichée dès le début de son premier mandat en 2019. Les observateurs et presque tous les Mauritaniens saluèrent la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire (CEP) pour statuer sur la gestion de la décennie de l’ex-président Mohamed Abdel Aziz (2009-2019). Mais les espoirs suscités par cette importante – pour ne pas dire stratégique – décision furent vite douchés par la « non-inculpation » de nombreuses personnes suspectées et les atermoiements d’un procès toujours en cours et qui ne concerne, pour l’essentiel, que l’ex-Président et ses très proches.

Les cas de corruption se sont accumulés sous le règne de son successeur qui a entamé un second mandat en Août 2024. Raison pour laquelle le gouvernement a mis en place un comité ministériel de suivi des projets publics dont les taux d’exécution et d’absorption sont souvent lents, parfois défectueux. Il faut ajouter à ce point un autre problème : le recyclage des anciens pontes du régime cités dans le rapport de la commission d’enquête parlementaire de Février 2020 mais aussi d’autres cadres épinglés par l’Inspection générale de l’État ou la Cour des comptes : l’impunité perdure. Aussi musclée soit-elle, une loi ne suffit manifestement pas, il faut aller au-delà et c’est très exactement ce lucide constat qui légitime les diverses positions appelant à une coalition « anti-système ». Il reste peu de temps à l’actuel chef de l’État pour démontrer, a contrario, qu’une réforme de celui dont il est lui-même le fruit est possible.

DALAY LAM