Un wali pas comme les autres(a)
La sécheresse ou la malédiction divine
Les décennies 1970 et 1980 furent marquées par une terrible sécheresse dans la sous-région du Sahel y compris la Mauritanie. L’agriculture et l’élevage, les deux principales activités économiques assurant la survie des populations, sont frappées de plein fouet par un déficit pluviométrique sans précédent sur tout le territoire national.
Aucune communauté n’était épargnée par la famine et la disette qui s’en étaient suivies. Certaines collectivités ayant des ressortissants exerçant des activités urbaines comme le commerce à un niveau respectable et l’emploi moderne dans l’administration ou dans une entreprise et en fonction du volume et de l’importance de cet emploi jouissaient à des degrés divers d’une certaine atténuation de l’impact négatif de la sécheresse.
La sécheresse: des circonstances atténuantes
Avec le commerce au Sénégal, notre collectivité devrait compter parmi celles-ci. De même on pourrait lui ajouter la pratique de l’artisanat, largement menée par nos femmes. Par ailleurs l‘activité commerciale au Sénégal n’était pas à l’abri du phénomène de la sécheresse du moment que celle-ci reposait essentiellement sur l’agriculture, la culture de l’arachide notamment. Suite à l’arrêt net de la culture de celle-ci, toutes les activités économiques au Sénégal furent affectées négativement par l’impact de la sécheresse.
Durant ces deux décennies, le phénomène de la sècheresse constituait une nouvelle donne dans la situation générale dans notre sous-zone, dans notre pays en particulier.
Les effets négatifs de la sécheresse avaient bouleversé de fond en comble les structures de la société traditionnelle. Aucun segment de celle-ci ne lui échappa. Après la destruction quasi-totale de l’économie rurale, l’école moderne, hier systématiquement refusée et stigmatisée au plan religieux, devenait l’unique recours pour la survie à la sécheresse.
La ruée vers l’école moderne
Les enfants, hier occupés avec leurs parents dans le champ ou derrière le troupeau d’animaux domestiques, sont désormais complètement libres et disponibles pour faire l’école moderne, l’école des « Toubabs » ou «mécréants » comme on la qualifiait auparavant.
A travers la nouvelle école, chaque famille pourrait rêver d’un futur emploi salarié pour son enfant. Désormais, paysans et nomades se bousculaient devant les portes des administrations publiques afin de demander l’ouverture de nouvelles écoles chez eux.
Pour notre communauté, l’arrivée du marabout Elemine Bahinina, juste au début de la sécheresse, constituait une aubaine presque divine. Aussitôt venu en 1967, ce dernier se mit à rechercher immédiatement l’ouverture d’une école pour assurer l’enseignement de nos enfants. Ce qu’il réussit sans beaucoup de difficultés après une brève audience que lui accorda le président Mokhtar Ould Daddah.
Souvenir d’un vrai et fidèle parent
Après le décès d’Elemine en 1972 et après l’appauvrissement général de nos parents, suite à l’impact de la sécheresse, notre collectivité va faire face à un certain nombre de défis. Des esprits malveillants vont s’acharner contre elle. Ils cherchaient à profiter de leur affaiblissement économique très accentué, pour chercher à leur imposer une nouvelle forme de domination à caractère esclavagiste. Le sabotage de notre école serait un premier objectif à atteindre avant d’exécuter la suite de leur sinistre plan.
Quand un marabout se débarrasse de son chapelet
Une succession de provocations va suivre. En 1979, une délégation composée d’éléments suspects, venant d’ailleurs, surprit les nôtres par une visite inopinée. Comme d’habitude, nos parents les avaient bien reçus. Personne ne possédait la moindre idée des raisons de l’arrivée des singuliers visiteurs.
L’impatience des parents ne durera pas longtemps. Le porte- parole de la délégation intervint pour tout révéler. Il dit que lui et les membres du groupe qui l’accompagnaient étaient venus pour un but bien précis: «éloigner les « Oulad Elbou » ou « Oulad Bousshab » de ses sujets pour le laisser disposer d’eux comme bon lui semble. Les Oulad Elbou ou Oulad Boushab, présents en ce moment, on indexait ici les représentants de notre famille, précisément le père Elmoctar et l’oncle paternel
Ahmada. Quant aux « sujets » du bonhomme aux idées funestes, datant d’un autre âge, il s’agissait des représentants de toutes les autres familles de parents présents. Ces derniers réagirent les premiers. Ils contestèrent immédiatement les propos tenus par celui qui rêvait d’être leur maître. « Nous ne sommes les sujets de personne ! » rétorqua le sage Mahmoud Ould Gueydiatt, le père du psychiatre Ahmed Salem
Mahmoud.
La débandade
Le débat s’échauffa. Il y avait risque d’en venir aux mains. Brusquement un gosse se présenta porteur d’une note écrite à la main. Il portait le nom béni de Maata Moulana (ou don de Dieu ou Dieudonné). Il déclara qu’il était envoyé par les jeunes de notre collectivité. Un membre de la délégation déplia la lettre. Il lit le contenu à haute voix, une voix pressée et tremblante. La lettre somma les membres de la délégation de plier bagage et de rentrer immédiatement chez eux. Ce qu’ils firent dans la précipitation et sans attendre la suite. Ils n’eurent pas le temps de goûter aux plats fumants de méchoui déposés déjà entre eux.
Pourtant tout indique que c’étaient des gens plutôt respectables. Leur malheur est qu’ils étaient esclaves d’idées rétrogrades d’un autre âge, incompatibles avec la mentalité rebelle et l’esprit libre inné chez nos parents.
Il se révéla que l’initiative de la lettre revenait à un seul jeune: Elmoctar Ould Ahmada, alias Ould Daddah, encore adolescent, plus tard colonel de l’armée nationale.
La prise de conscience
Cet incident va marquer les esprits de tous les membres de notre communauté. A partir de cet instant chacun d’eux commença à prendre conscience des mauvaises intentions nourries à notre égard par des milieux extérieurs malveillants.
L’acharnement des mauvais esprits
Des signes de mauvaises intentions ne cessaient de se manifester. Quelques individus, aux ramifications extérieures et souvent natifs de chez nous, hier, plutôt sympas, nous affichaient leur hostilité ouverte. Celui-ci s’adonna à des frictions avec des jeunes adolescents. Celui-là, beaucoup plus âgé, gesticulait et préparait sa personne pour la chefferie de notre communauté. Un autre fit irruption dans l’espace de nos champs pour y envisager un projet agricole. Un quatrième, le célèbre poète en dialecte Hassania, appelons-le Ahmedou Yahya, enseignant de son état, changea complètement de conduite à notre égard et surtout vis-à-vis de ses propres élèves dans notre école.
Ahmedou Yahya est en fait natif lui aussi de chez nous et vivant depuis longtemps en parfaite harmonie avec le milieu de nos parents. Les élèves des premières classes de notre école se souvenaient toujours de ses précieux cours d’arabe ayant grandement contribué à leur formation. Il se vantait souvent de se référer fréquemment au grand père Bou en matière de grammaire arabe et des questions relatives à l’histoire et aux sciences religieuses. En contrepartie nos parents n’avaient cessé de lui rendre de multiples et généreux services, conduite entretenue, d’ailleurs, bien avant l’ouverture de l’école.
La tradition des prises en charge
Avant même qu’il devienne enseignant, feu Ahmedou Yahya était entièrement pris en charge par nos pères et mères. Dans la société traditionnelle, le poète spécialement, comme d’ailleurs le griot, ainsi que le forgeron et même le marabout, enseignant traditionnel, est généralement pris en charge par son milieu social: situation indispensable pour l’éclosion des facultés du poète et le développement de son talent.
Tout indique que certains de ses cousins lui enviaient cette situation plus que privilégiée. En l’incitant à aller à l’encontre des intérêts de notre collectivité, ils tenaient clairement à lui faire perdre son paradis de « Edkhal» ou l’espace idyllique dans lequel il vivait chez nous. La même hostilité, entretenue de l’extérieur, cherchait délibérément aussi à porter préjudice aux intérêts des autres éléments cités ci-dessus, ainsi qu’à de nombreux autres pauvres gens.
(À suivre)