Chapeau introductif
Il y a de cela quinze années, j’ai été à l’origine de la création d’une Administration nationale de la zakat en Mauritanie. Pour attester de cette démarche, je vous invite à consulter mon ouvrage intitulé « Mohammed / Le vrai visage du prophète de l’Islam », publié en 2009.
Malheureusement, cette initiative a depuis été reléguée aux oubliettes. Un ancien chef d’État a balayé d’un revers de main, lors d’un conseil des ministres, l’idée de créer une Administration de la Zakat, arguant qu’il s’agissait, en fin de compte, d’un nouvel impôt qui ne devrait pas être imposé aux citoyens.
Dans la continuité de cette démarche, j’ai relancé cette initiative dès le lendemain de l’investiture du président Ghazwani. À cette fin, j’ai contacté un responsable politique de premier plan, en l’occurrence monsieur Mohamed Ahmed Ould Houeïrthi, alors directeur du cabinet du chef de l’État, à qui j’ai remis cette étude. Ce dernier en a informé le président de la République, qui, par décret présidentiel en date du 28 décembre 2022, a créé cette structure stratégique.
Cependant, cette initiative a malheureusement connu par la suite un parcours tumultueux, aboutissant à la mise en place d’une instance dévoyée, dépourvue de sa substance et n’ayant plus de zakat que le nom. Une instance dont les attributions et le mode de fonctionnement sont en contradiction avec la lettre et l’esprit des Textes fondateurs de l’Islam, à savoir le Coran et la Sounna, en particulier en ce qui concerne l’acquittement facultatif de cette aumône.
Il est indéniable que cette nouvelle entité avait dès le départ peu de chance de voir le jour dans le strict respect des règles de l’orthodoxie religieuse.
Les hautes sphères de décision, motivées souvent par des considérations idéologiques, s’opposent farouchement à l’opportunité même de cette initiative, sans compter l’hostilité manifestée par quelques hommes d’affaires influents. Malgré cela, il est démontré que l’acquittement de la zakat a un effet multiplicateur sur le patrimoine.
Pour adoucir la pilule, les responsables ayant finalisé cette affaire soutiennent en privé qu’ils ont voulu procéder progressivement, par paliers successifs, avant de mettre en place les mécanismes définitifs. En rendant l’acquittement facultatif, ce qui va à l’encontre des principes de l’Islam, ils prétendent ainsi ne pas effrayer les potentiels assujettis à cette aumône.
Cependant, cette approche permissive est le meilleur moyen, selon moi, de compromettre l’ensemble de l’opération. La flexibilité de l’approche préconisée est un facteur de démobilisation. Sans un engagement ferme et résolu de l’État, le Conseil suprême de la zakat (CSZ) est destiné, inévitablement, à péricliter.
Au fond de moi, je demeure convaincu que les instructions du président n’ont pas été exécutées comme il l’aurait souhaité. L’image du chef de l’État et le bien-être du peuple semblent avoir été sacrifiés au profit des intérêts égoïstes d’une poignée d’oligarques.
Afin de remédier à ce qui me semble être une sévère déviance par rapport à l’orthodoxie de la tradition musulmane, le président pourrait, s’il le juge opportun, demander aux services concernés de revoir leur copie en se concentrant sur les points essentiels suivants :
- Au niveau de la forme : Le terme « Conseil suprême de la zakat » me semble inapproprié, car cela sous-entend l’existence de sous-conseils de la zakat. De plus, l’utilisation du vocable « suprême » exclut que ce conseil soit placé sous la tutelle du Ministère des Affaires islamiques. Comme dans la hiérarchie des normes juridiques, on doit respecter les dispositifs de la hiérarchie administrative. En revanche, la nouvelle instance de la zakat pourra être rattachée directement à la présidence de la République. Comme c’est le cas, notamment au Koweït, en Arabie saoudite, en Jordanie…
- La zakat est une obligation religieuse au même titre que la prière. Pour pallier la propension à l’égoïsme inhérente à la nature humaine, l’Islam a institué la zakat. Du temps du Prophète et des califes bien guidés, la zakat était perçue et redistribuée équitablement entre les pauvres et les nécessiteux, contribuant ainsi au nivellement par le bas de la société.
Dans les pays musulmans, l’acquittement de la zakat est une obligation religieuse. Elle vient juste après la profession de foi et la prière. Ne pas acquitter cette dîme est une rébellion contre Allah et son prophète. Son caractère obligatoire est indiscutable. Dieu a dit à l’adresse de Son prophète : « Prélève sur leurs biens une aumône (zakat) pour les purifier
et promouvoir leur foi… » (Sourate Le Repentir, Verset 103). Ce verset est une Injonction divine, un Ordre donné au Prophète. C’est pourquoi, quelle que soit la mauvaise foi ou les dérobades des uns et des autres, rien ne pourrait soustraire le musulman au versement de cette dîme. D’aucuns pourraient rétorquer qu’ils préfèrent verser la zakat à des proches nécessiteux. Cette pratique, contraire à la Sounna, héritée d’une vieille tradition est devenue la règle dans beaucoup de pays musulmans. Au-delà de cette intention fort louable, il n’en
demeure pas moins, une fois de plus, que cette pratique n’est pas conforme à celle
qui avait cours au temps du Prophète et des califes bien guidés. La zakat était
alors perçue et versée dans le trésor public (Bayt almâal), puis redistribuée
aux pauvres et aux nécessiteux.Cette pratique de la zakat qui a cours aujourd’hui a, entre autres explications, une raison historique : Après l’éclatement de l’empire musulman, on a perdu avec le temps, la notion d’Etat central. Après Médine, Damas, Bagdad, on a assisté à l’apparition d’entités autonomes. Les centres du pouvoir se sont ainsi multipliés et on a commencé à
observer, pour des raisons souvent politiques, certaines déviances par rapport à
l’orthodoxie religieuse originelle. Quelque méritoire qu’elle soit, cette
distribution de la zakat aux proches, ne peut répondre aux besoins de la masse
des pauvres et des nécessiteux. Car elle reste, somme toute, un peu, comme des
gouttes d’eau dans un océan de pauvreté et de misère.Pas de méprise. On doit faire la distinction entre la zakat et l’aumône. La première est obligatoire, la seconde facultative. Autant on pourra faire des aumônes, à titre individuel, autant, on devra observer scrupuleusement la destination originelle de la zakat telle que prévue par le Coran et la Sounna, laquelle destination n’est autre que le trésor public. C’est pourquoi, LE LEGISLATEUR, a voulu que celle-ci soit centralisée puis redistribuée pour améliorer sans distinction les conditions de vie des musulmans sans ressources.
En Mauritanie, pour justifier le versement de la zakat à des proches, on met en avant le hadith « l لk قn ف ب l لk قn ب». Or, ce hadith rapporté par Ibn Maja, authentifié par Albani, n’a strictement rien à voir avec la zakat. En effet, dans un tout autre sujet, le Prophète dit que Dieu recommande de prendre soin de vos mères (3 fois), de vos pères et de vos proches en fonction du degré de parenté.
- 3. Tout chef d’Etat musulman est tenu de veiller à l’acquittement de la zakat, même par la force. Le détenteur du pouvoir, dans un pays musulman doit faire, si nécessaire, usage
de la force pour le recouvrement de la zakat. C’est ce que fit, sans hésiter, Abou Babkr qui venait d’être investi calife de l’Envoyé de Dieu. En effet, à l’annonce de la mort du Prophète, beaucoup de tribus bédouines, voulant s’affranchir de la tutelle du pouvoir central de Médine, ont refusé de payer la zakat. Le contexte d’alors était très délicat. Les bédouins
sont en révolte et, un peu partout, de faux prophètes se manifestent suivis par de nombreux adeptes. Dans la Ville Lumineuse, en deuil, on appréhendait les menaces qui pesaient sur la pérennité de l’Etat islamique naissant. Les Compagnons conseillèrent au niveau calife de faire preuve de retenue et de surseoir momentanément, à sa décision
de forcer les rebelles à s’acquitter de la zakat. Intransigeant, Abou Bakr, contre l’avis général, jura qu’il leur fera payer la dîme exactement comme du vivant du Prophète et ce, quelles qu’en soient les conséquences. Il ajouta qu’il s’agit là de l’application d’une prescription religieuse qui ne peut faire l’objet d’aucune tergiversation. Commencèrent alors des guerres dites « guerres d’apostasie » que le calife matera avec beaucoup de fermeté. - La zakat et les Comptes publics (Ministère des finances) A première vue, le chevauchement de la zakat et de l’impôt pourrait faire craindre un manque à gagner pour les recettes de l’Etat. Pour couper court à cette éventuelle polémique, il faut tout de suite préciser que la zakat est une dîme sur la fortune et non pas sur le revenu, comme l’impôt.
C’est dire que ces appréhensions ne sont pas fondées. Bien au contraire, le prélèvement
de la zakat va booster l’activité économique et, par effet induit, accroitre les revenus engendrés par l’impôt. En clair, les recettes fiscales seront plus importantes avec l’institution d’une zakat centralisée l’impôt et autres taxes va être considérablement élargie car les assujettis seront beaucoup plus nombreux. En effet, si on excepte les grands et moyens opérateurs économiques, des citadins qui ont pignon sur rue, le nombre des personnes imposables est, somme toute, restreint. En effet, les petits commerçants, les éleveurs, les agriculteurs et autres petits métiers du fait, notamment, de leur éparpillement échappent, dans leur grande majorité, au fisc. Avec l’institution d’une Administration de la zakat (CSZ), beaucoup de monde sera concerné par l’acquittement de cette dîme. Des listes dûment établies par les services CSZ, seront alors disponibles, lesquelles constitueront un important potentiel de foyers fiscaux. Les revenus ainsi générés seront redistribués et auront un impact certain sur l’activité économique grâce, notamment à la consommation des ménages ce qui, in fine, dopera la croissance. L’idéal aurait été que le CSZ soit érigé en une Administration autonome avec son propre budget au lieu d’être rattaché au ministère des finances par un Compte d’affectation spéciale. Le budget du CSZ sera, naturellement, soumis au contrôle financier des services de l’Etat. Toutefois, pour une transparence totale de son fonctionnement, le contrôle de la comptabilité et de la gestion de cette institution pourront faire l’objet d’un audit par un cabinet international d’experts indépendants qui publiera chaque fois, à cet effet, un rapport annuel. Une fois la machine lancée, le budget du CSZ se chiffrera, probablement, en centaines de milliards d’ouguiyas (MRO). Avec cet apport colossal en argent frais, le produit de la zakat permettra d’améliorer de façon significative la vie des classes sociales démunies, contribuant ainsi à apaiser les esprits et à calmer les tensions. Le pays sera ainsi à l’abri des graves secousses sociales, aux lendemains incertains. Par ailleurs, les énormes revenus de la zakat mettront aussi à l’abri, durablement, contre les problèmes de déficits budgétaires qui, souvent, conduisent à solliciter un accord d’ajustement structurel avec le FMI.
5. Divers :
• Avec la création d’une Administration de la Zakat, on tordra le cou aux stéréotypes et autres clichés véhiculés par les islamophobes, notamment en Occident qui donnent une image peu reluisante des musulmans. On montera ainsi le vrai visage de l’Islam : une religion de paix, de solidarité, d’entraide, de tolérance et de partage.
• On verra aussi, dans cette initiative, la négation du prisme déformant de l’idéologie dévastatrice des mouvements « djihadistes » qui altèrent l’image de l’Islam qui est une religion de paix. • L’Etat providence a montré ses limites aussi bien dans les systèmes socialistes que libéraux. En France, par exemple, il y a officiellement 6 millions de chômeurs et près de 10 millions de pauvres . C’est pourquoi, il faut se rendre à l’évidence : l’Etat quel qu’il soit et
quelles que soient ses ressources propres, ne pourra jamais venir à bout des fléaux de la pauvreté et de la précarité. L’exemple de la France, pays riche, cité plus haut, avec ses millions de chômeurs et de pauvres, est parlant. Si des pays riches et fortement industrialisés, avouent leur impuissance face à ce problème, que dire alors des pays pauvres et sous-développés ? C’est pourquoi, il serait illusoire de croire que l’Etat, avec ses moyens d’intervention conventionnels, législatifs, financiers et économiques, puisse venir à bout de la pauvreté
et de la précarité. Seule une législation d’inspiration divine qui transcende les égoïsmes inhérents à la nature humaine et qui vise, à terme, le nivellement de la société, pourrait
constituer une solution fiable et pérenne à ces fléaux. C’est là, la raison de l’institution de la zakat.
Pour plus d’informations sur la question, se référer à mon récent livre « Etudes adressés au président de la République ».
MOUSSAHORMAT-ALLAH, PROFESSEUR D’UNIVERSITÉ -LAURÉAT DU PRIX CHINGUITT