Passions d’enfance : Avant de tout oublier (34) / Par Ahmed Salem Ould El Mokhtar (Cheddad)

L’action terroriste

Un plan suicidaire

En juin 1967, on s’apprêtait à faire le concours d’entrée en 6e, doublé de l’examen du C.E.P.E. (Certificat d’Etudes Primaires Elémentaires), suivis par des concours de l’ENI et du lycée technique.

Le 6 juin, à deux ou trois jours de l’examen, la guerre éclata entre Israël et les pays arabes. Connue sous le nom de «guerre des 6 jours ». Les Israéliens l’appellent le Kippour (leur fête religieuse). En effet la guerre n’avait duré que 6 jours, mais elle était catastrophique pour les Arabes. Après plusieurs jours de discours triomphants, les armées arabes s’effondrèrent. Le président Nasser démissionna, après le suicide de son ministre de la guerre, le maréchal Ali Amer, ancien membre lui aussi des « officiers libres », auteurs du renversement de la royauté en Egypte en 1952.
La Nekba: «  défaite » Arabe

Les peuples arabes, du golfe arabique à l’Atlantique, sombrèrent dans l’apathie et le désespoir. Les chaines de radios arabes, notamment, la radio égyptienne, « La voix des Arabes », se discréditèrent à jamais. La BBC dans ses différentes langues de diffusion, et autres radios occidentales, jugées mensongères jusque-là par une opinion arabe surexcitée et pressée pour une future victoire quelconque, gagnèrent en crédibilité. Elles sont devenues depuis lors, en dépit des réserves des auditeurs, les principales sources fiables d’informations crédibles.
Pour moi et pour ma génération, cette guerre constituait un tournant psychologique fondamental dans notre évolution. Elle a ouvert nos yeux sur les réalités amères du monde contemporain. En ce qui me concerne, mon engagement politique fut enclenché à partir de là.

Les deux persona non grata de Rosso

À Rosso, on dénonçait un certain Diouri, le principal épicier de la ville et on l’accusait d’être un juif. Comme si juif en soi était un délit ou un crime contre l’humanité et comme si Diouri était en mesure de se débarrasser volontairement de ce cachet d’abord ethnique. La chasse aux juifs balaya tout le monde arabe et même musulman. Un vieux photographe, le premier et presque l’unique de la ville, fut dénoncé également comme tel. Après la démission de Nasser, j’observai une grève de la faim.

Heureusement elle n’avait pas duré longtemps, puisque le président égyptien, sous la pression de la rue et de l’opinion, revint rapidement sur sa décision, qui était en réalité beaucoup plus tactique que réelle. Il cherchait à regagner la confiance de la rue arabe. Lors de son discours de démission, le président Nasser déclara qu’il confiait à son adjoint Zekeria Mouhyidine, un chauve ayant appartenu aux officiers libres, jugé proche des Américains, la gestion des affaires courantes en attendant d’organiser des élections présidentielles extraordinaires. On raconte que les Égyptiens, faisant jouer leur sens légendaire d’humour, malgré l’amertume du moment, s’en sont pris, dans leurs manifestations réclamant le retour de Nasser, à tous les hommes chauves. À l’aide de gourdins, ils leur tapaient sur la tête.

La bande terroriste

À mon tour, je constituais un groupe visant à se venger à notre façon des Israéliens. La vengeance contre les innocents, souvent faciles d’accès, n’était pas chose nouvelle. Franchement parlant je ne me souviens pas avec certitude d’aucun des membres de ce groupe, en réalité « terroriste ». Logiquement, des élèves de ma classe comme Ismail Ould Ahmedoua devraient y figurer. On se réunit à la hâte et dans une totale discrétion, on réunit un arsenal dont des armes blanches et des gourdins. On établit un plan de mise à mort des deux jugés juifs de la ville. Nous comptons commencer par le plus faible et le plus accessible: le vieux photographe. On devrait rentrer dans son studio en dissimulant notre armement, officiellement pour se faire photographier. À l’abri de son rideau, nous l’assommerons à mort. C’était moi l’auteur du plan. On pourrait encore peut être me juger, plusieurs décennies après, pour le délit de planification et d’« intention de tuer ».

On se trouvait dans un coin obscur de l’enceinte de notre école, aux environs de 20 heures du soir, quand un grand garçon, un certain Dicko, élève  je ne sais où, se joignit à nous pour s’informer de ce qu’on était entrain de manigancer. Aussitôt il sema le doute dans notre projet. Il affirma que le photographe visé était un Égyptien et qu’il était loin d’être juif. Dicko poursuivit son chemin après avoir dérangé nos esprits. Il fallait s’assurer de ce qu’il nous avait appris. Comment ? On décida de s’informer. Hadaya Ould Taya, un surveillant général au lycée, habitait non loin de là, à l’étage d’un immeuble de Lacombe.

Le succès scolaire

Découragés et abattus, on se déplaça là-bas. Je montai avec quelqu’un d’autre. Je ne me rappelle plus lequel. On demanda à Hadaya la nationalité du vieux photographe. Sa réponse fut rapide et accompagnée d’un avertissement: « il est égyptien, et il faut le laisser tranquille, le pauvre ! »

Notre abattement fut complet. On se débarrassa aussitôt de notre arsenal. J’ai gardé avec moi pendant longtemps un discours, préparé par mes propres soins, justifiant les mobiles de notre action en cas d’arrestation et d’emprisonnement. À la fin du discours, je saluais nommément les chefs d’État arabes, rois, princes et présidents en indiquant leurs pays respectifs. C’était aussi mon premier tract ou déclaration.

« J’étais le 3e »

On se résigna à préparer dans le calme notre examen qui avait failli être compromis pour la seconde fois, cette fois-ci par notre propre responsabilité. Un mois après, en pleine grandes vacances, Radio Mauritanie annonça la diffusion à 19 heures de la liste nationale des admis au concours d’entrée en 6e ou première année collège. Notre campement se trouvait en ce moment non loin de son emplacement actuel, au bord de KraaLaajoul à deux kilomètres de Teichtayatt historique. Comme d’habitude Je me promenais le soir hors du campement, portant mon petit poste radio, lorsqu’elle commença à diffuser la liste des admis au concours.

Quelques 700 élèves à l’échelle nationale. J’étais le 3e ! Un peu comme le président Mobutu. Un journaliste demanda une fois à ce dernier si s’était vrai «qu’il est le 7ème homme le plus riche du monde ». Et Mobutu de répondre: « non je suis le 3ème! ».

 

(À suivre)