Le 26 juillet 2023, Mariya Oubed, une lycéenne de 19 ans, s’est retrouvée confrontée à de graves accusations de blasphème en Mauritanie. L’accusation portée contre elle découle d’allégations selon lesquelles elle aurait manqué de respect au prophète Mahomet lors d’un examen écrit.
Alors qu’elle risque désormais la peine capitale en vertu de l’article 306 du Code pénal mauritanien, la gravité de la situation ne peut être sous-estimée.
Comment est né le cas de blasphème
Le 3 juillet 2023, la copie d’examen contenant les déclarations blasphématoires a été initialement partagée sur Facebook sans révéler le nom de l’étudiante.
Cet acte a été commis par un enseignant qui avait été dans l’établissement spécialisé créé par le ministère de l’Éducation pour corriger les épreuves des examens nationaux du lycée, une porte d’entrée clé vers l’enseignement supérieur.
Le message est devenu viral, provoquant une énorme vague d’animosité à l’encontre de l’étudiante anonyme. En Mauritanie, des réglementations strictes ont rendu difficile l’accès aux épreuves d’examen en ligne en raison de leur distribution interdite.
Suite à la diffusion de la nouvelle sur les réseaux sociaux, des centaines de manifestants se sont rassemblés après la prière du vendredi 7 juillet pour une enquête sur l’épreuve d’examen. Les manifestants ont critiqué le gouvernement pour avoir retardé le renvoi de l’affaire au tribunal et ont exigé que l’identité de l’étudiant soit rendue publique et qu’il soit poursuivi. La police anti-émeute est intervenue et a demandé aux manifestants de se disperser faute d’autorisation pour la manifestation.
Peu de temps après, l’Association des oulémas mauritaniens (savants religieux), la plus haute autorité religieuse de Mauritanie, a critiqué le gouvernement pour son action tardive, suscitant l’indignation du public. En réponse aux demandes du public visant à identifier l’étudiante et à appliquer la peine de mort, l’Association a émis une fatwa recommandant l’application de la peine capitale une fois que la culpabilité de l’étudiante est prouvée.
Quelques jours plus tard, le député Mohamed Bouy a tenté de mettre le Président mauritanien Mohamed Ould Ghazouani publiquement dans l’embarras dans cette affaire, en faisant circuler un document dans lequel il remplaçait le nom du prophète dans le contenu de l’épreuve par celui du président, dans le cadre d’une action populiste visant à critiquer le gouvernement. Cette manœuvre a donné lieu à une importante controverse et a accru la pression sur le gouvernement pour qu’il prenne des mesures contre Oubed.
Le 26 juillet, Oubed a été placée en détention provisoire pour avoir « manqué de respect au Prophète, pour s’être moquée de lui » et avoir utilisé les réseaux sociaux « pour porter atteinte aux valeurs sacrées de l’Islam ». Cette information a été rapportée par un responsable du parquet de la capitale, Nouakchott, qui n’a pas divulgué le contenu précis de l’épreuve.
Dans un communiqué, la famille d’Oubed a nié toute association entre Mariya et l’épreuve controversée de l’examen. Elle a également révélé que la jeune femme était aux prises avec des problèmes de santé mentale et a lancé un appel à l’empathie de la communauté islamique et du peuple mauritanien :
Notre fille n’a pas suivi un chemin immoral, n’a pas pensé de manière athée et ne s’est pas écartée des normes sociales acceptées. Tous ceux qui la connaissent s’accordent à dire qu’elle est un modèle de rectitude morale et de modestie. Cependant, nous avons observé des symptômes de sevrage, une réduction de la parole, de la fatigue et un sommeil excessif. Ces indicateurs pointent vers d’éventuels problèmes psychologiques sous-jacents.
Les membres de l’Association des érudits religieux ont cependant critiqué cette affirmation.
Selon le journal Al-Quds, cette affaire place les autorités mauritaniennes dans une position difficile, entre la pression de l’opinion publique réclamant l’exécution de la jeune femme et l’examen minutieux de la communauté internationale militant pour les libertés.
Ce dilemme est encore compliqué par le fait que la jeune femme est affiliée aux Haratin [fr] (anciens esclaves), un groupe qui a subi des décennies d’esclavage en Mauritanie. Le journal Al-Quds a résumé la situation :
Si une décision juridique rapide n’est pas prise, cette affaire risque de provoquer d’importantes manifestations. Cela fait suite à un incident survenu en 2014, déclenché par un article insultant d’Ould Mkhaitir qui fut condamné à mort et, jusqu’en 2019, des manifestations pour son exécution ont persisté. En raison des pressions exercées par la communauté internationale des droits humains, le gouvernement a eu du mal à exécuter la sentence.
Lois sur le blasphème en Mauritanie
Le 27 avril 2018, le parlement mauritanien a introduit un amendement juridique important, remplaçant l’article 306 du Code pénal. La loi révisée impose la peine de mort aux personnes reconnues coupables de « discours blasphématoires » et d’actes considérés comme « sacrilèges ». Contrairement à l’ancien article 306, la loi actualisée élimine la possibilité de substituer la peine de mort à des peines de prison, même si le coupable se repent rapidement.
Selon Al Jazeera , la Mauritanie a renforcé la loi en réponse à la décision d’un tribunal local de libérer [fr] le blogueur et militant anti-esclavagiste Mohammed Ould Shaikh Ould Mkhaitir, plus connu sous le nom de Cheick Mkhaitir [fr].
En 2014, Cheick Mkhaitir a été condamné à mort pour blasphème et insulte au prophète. Cette décision était fondée sur un article qu’il avait écrit, critiquant l’exploitation de textes religieux spécifiques pour justifier l’esclavage en Mauritanie.
Malgré sa peine initiale de deux ans, Mkhaitir a passé cinq ans et demi derrière les barreaux, la plupart du temps en isolement . Il a finalement été libéré et a ensuite quitté le pays. Comment les lois sur le blasphème affectent-elles les droits humains et la liberté d’expression en Mauritanie ?
Lorsque la loi a été ratifiée en 2018, les experts de l’ONU ont averti [fr] que sa promulgation « violerait gravement le droit international » et porterait atteinte à la liberté d’expression, affirmant en outre que « cette révision musèlera davantage le droit à la liberté d’expression et jettera les bases pour une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence contre des personnes sur la base de la religion ou de la croyance.
Dans le monde interconnecté d’aujourd’hui, les plateformes de médias sociaux se sont transformées en espaces où prospèrent les opinions polarisées et l’intolérance. Cette tendance n’est pas exclusive à la Mauritanie : elle est répandue dans de nombreux autres pays islamiques. Ceux qui expriment des opinions dissidentes ou remettent en question des questions religieuses deviennent souvent la cible de cyberintimidation , voire de violence dans les cas extrêmes .
En plus de porter atteinte aux valeurs de la liberté d’expression, cette animosité en ligne met en danger la sécurité et le bien-être de ceux qui sont pris entre deux feux. Toute tentative de discuter de questions religieuses génère fréquemment des accusations de blasphème, d’apostasie et d’athéisme, qui ont de graves répercussions.
Le récent incident impliquant Mariya Oubed souligne la nécessité urgente de revoir la manière dont le blasphème et la liberté d’expression sont traités dans la loi mauritanienne.
Ce billet a été écrit conjointement par Mohamed Ahmed Abbe (Kamal) et Mariam A.
Source : Global Voices