Après les meurtres de Souvi, Diop et Mohamed Lemine : Comment parer aux crispations ?

Les meurtres de Soufi Cheine en Février dernier, ceux d’Oumar Diop, le 29 Mai à Nouakchott, et de Mohamed Lemine, le lendemain à Boghé, révèlent un profond malaise au sein de la société mauritanienne. Non seulement en ce que les rapports entre la police et, plus généralement, les forces de l’ordre se sont fortement dégradées, mais aussi qu’au sein de la communauté nationale, l’indignation soit devenue si sélective. Lors de l’assassinat de l’activiste Soufi au commissariat de Dar Naïm 2, on avait pourtant observé une mobilisation générale des associations de défense des droits de l’Homme, hommes d’affaires et acteurs politiques, sans distinction d’ethnie. Pour enrayer la grogne qui enflait, le gouvernement et la justice qui avaient tout d’abord tenté d’accréditer le suicide ou la mort accidentelle avaient dû reculer.

L’envoi d’une délégation auprès de la famille endeuillée, l’octroi d’une enveloppe à cette dernière, l’autopsie soignée, l’ouverture d’une enquête impliquant nommément le commissaire et les policiers en service le jour du drame et les diverses mesures énergiques à leur encontre, autant de gestes qui avaient contribué à apaiser la tension. Des hommes d’affaires avaient aussi mis la main à la poche. Mais on avait ce sentiment que ceux-ci et le gouvernement tenaient surtout à couper l’herbe sous les pieds de la famille et des ONG qui réclamaient à cors et à cris la vérité sur les dessous du meurtre. Il fallait coûte que coûte éradiquer la spirale de violence mais l’impunité pouvait continuer à sévir sur les démunis. D’aucuns n’hésitaient pas à dire que le silence de la famille avait été acheté.

 

Relance brutale du malaise

Un malaise soudainement relancé avec la mort d’Oumar Diop. Tous ceux qui furent présents au petit matin du29 Mai à la morgue de l’hôpital national ont dû brutalement prendre conscience du peu d’indignation que ce décès provoquait. Avec tout d’abord la trop longue attente des parents de la victime avant l’arrivée du médecin légiste puis du procureur. Vers dix heures, quelques membres d’organisations de défense des droits de l’Homme venaient à leur tour présenter leurs condoléances à la famille et s’enquérir de l’autopsie que celle-ci réclamait, suivis par divers acteurs politiques, présidents de parti et députés.

Pendant cette longue attente, les jeunes frères, cousins et amis invectivaient les policiers et leurs chefs. Une bagarre a même éclaté entre ceux-ci et les jeunes qui les connaissaient bien. Un des agents de police a été malmené pour avoir proféré, nous a-t-on dit, des propos insultants envers les jeunes, sans mesurer le ras-le-bol qu’exprimaient ceux-ci. Une exaspération entretenue dans la réalité quotidienne des quartiers populaires où les rafles nocturnes parfois injustifiées se multiplient. Ce manque de discernement des forces de l’ordre est d’ailleurs fustigé par plusieurs associations de défense de des droits de l’Homme et autres plus ou moins honorés citoyens.

C’est le cas du député maître El Id Mohamed M’Bareck, de la présidente de l’Association Mauritanienne des Droits de l’Homme (AMDH), l’avocate Fatimata M’Baye, d’Ibrahima Moctar Sarr, président de l’AJD/MR, du professeur Lô Goumo, vice-président de l’UFP, du député Mohamed Lemine Sidi Mouloud et d’Aminetou mint Moctar, présidente de l’AFCF. Tous ont dénoncé et condamné les exactions policières, les discriminations et la stigmatisation dont certains jeunes de la banlieue sont victimes. « Il faut y mettre un terme », exigent-ils tous auprès des autorités.

 

Huile sur le feu

Mais pendant les familles endeuillées et leurs soutiens se battent pour réclamer des enquêtes équitables et la justice – ce que les autorités ont d’ailleurs promis – des extrémistes, pour ne pas dire pyromanes, jettent de l’huile sur le feu. Postés sur les réseaux sociaux, des audios sortis d’on ne sait où peignent le jeune Diop sous les traits d’un dealer et d’un criminel. Des allégations fermement battues en brèche par la famille et ses proches. Mais, comment, se demande-t-on, des gens ordinaires peuvent se procurer de tels documents fallacieux ?

Plus grave, un nouvel élu de l’INSAF s’est fendu d’un post appelant les autorités à fermer les frontières Sud pour stopper « l’invasion d’étrangers » ; un autre excité affirmait que tous les manifestants des quartiers populaires de Nouakchott – en particulier à Sebkha où demeurait le jeune Diop – étaient des maliens et que si la Mauritanie n’y prend pas garde, elle serait bientôt annexée par son voisin. Des propos gravissimes et irresponsables de la part de citoyens qui s’entêtent, comme le déplore le président de l’AJD/MR, à toujours indexer la « main de l’étranger » à chaque fois que des noirs mauritaniens manifestent.

Cette main de l’étranger vient très opportunément soutenir la thèse selon laquelle Diop serait mort suite à une bagarre entre gangs : en bref, un vulgaire règlement de comptes entre dealers. Une assertion apparemment reprise par la police mais totalement détruite par des témoins ayant assisté à la scène et une vidéo de surveillance publiée le lendemain. Les résultats de l’autopsie qui traîne en longueur pourraient édifier l’opinion et la famille Diop qui a publié un communiqué le 1erJuin réitérant sa légitime revendication de vérité et de justice pour son fils Oumar.

 

Le vivre ensemble, une priorité absolue

Une chose est déjà certaine : la méfiance a atteint un point culminant et il est urgent de mettre fin à la politique de l’autruche. Il y a un vrai problème d’unité nationale et de cohabitation. Trop souvent diabolisés, traités de racistes ou d’extrémistes, les acteurs politiques qui ne cessent de dénoncer les injustices et les différentes formes de discriminations n’ont rien inventé, ce n’est pas une vision de leur esprit. Les discours du président de la République – notamment à Ouadane, Tichitt et Djéol – ne cessent eux-mêmes d’évoquer ces tares que certains jusqu’au-boutistes refusent de reconnaître. Ceux-ci vivent dans un luxe insolent et frustrant, pillant les ressources publiques, usant de leur influence et de toutes les forces qu’ils peuvent manipuler.  Pour eux la Mauritanie est un paradis, un pays où il fait bon vivre, où tout le monde est traité sur un même pied d’égalité. Tant pis pour les grognards !

Cet idyllique tableau est très loin de refléter la réalité quotidienne. Si le président de la République parle de l’unité nationale, de la cohésion sociale et des injustices, c’est qu’il y a bien évidemment un problème. Un véritable diagnostic de la situation, à travers un dialogue sérieux, franc et inclusif, devrait permettre de trouver des solutions consensuelles au vivre ensemble. La Mauritanie n’en sortira que grandie et plus harmonieuse. Sinon, le décompte macabre commencé entre 89 et 90 va continuer, comme l’a regretté Ibrahima Sarr, le 29 Mai à la morgue de l’hôpital national. Le moment est venu de s’arrêter et de débattre. La situation interne et le contexte sous-régional le commandent. Une charte nationale consensuelle ne ferait pas de mal à la Mauritanie et aux Mauritaniens, de quelque bord ou couleur qu’il soit. Le président de la République a réussi jusque-là à apaiser l’arène politique, après dix années de fortes tensions, crispations et même mépris. De vains efforts, hélas, s’il ne parvenait pas à normaliser le vivre ensemble entre les différentes composantes du pays. Cet objectif est devenu une priorité absolue.

Dalay Lam