Il a fallu à Mohamed Ould Abdelaziz de recourir à deux putschs pour conquérir le pouvoir sur les ruines du système Maouiya.
Puis il passe à l’exécution d’un certain nombre de mesures :
Après la mise à l’écart de son cousin et son principal challenger Ely Mohamed Vall, Aziz se mit à exécuter le deuxième volet de son plan pour l’accession pleine et entière au pouvoir suprême. Ce sera le lynchage par putsch de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, considéré comme étant le premier civil démocratiquement élu à la tête de l’Etat mauritanien. Il n’avait fait que confirmer les soupçons de l’opinion qui avait toujours soutenu que Ould Cheikh Abdallahi n’était appuyé par Aziz que pour une courte période, le temps d’écarter ses adversaires militaires. Rappelons que Sidi fut élu au second tour contre Ahmed Ould Daddah. Je suivais Radio Mauritanie qui déroulait les résultats jusqu’à une heure tardive de la nuit électorale. Je conclus que Sidi sera le gagnant des élections et Ahmed le perdant. Usant de mon portable, j’ai recommandé à Bedreddine, pour épargner au pays des lendemains incertains, de faire pression sur Ahmed Daddah afin de reconnaître le verdict des urnes et de féliciter immédiatement Sidi pour sa victoire. Ce qui fut fait. Je pus dormir aussitôt après. Mais l’éclaircie ne dura qu’une année et quatre mois. Après toutes sortes de manœuvres et l’embrigadement d’un bataillon de députés, Aziz mena la vie dure à Sidoca avant de le renverser par un coup d’Etat, le 6 août 2008. Rideau donc sur la parenthèse démocratique et le pouvoir civil.
Tenant donc tous les leviers de commande du pouvoir, le Président Aziz entama aussitôt le chambardement de l’opposition :
– La récupération forcée de Messaoud. Celui-ci, venu en négociateur au nom de l’opposition, fut soumis à un chantage qui lui laissait peu de choix. D’autres cadres de valeur avaient subi le même sort. Les chefs des partis politiques ou ceux qui se présentent comme tels, se mirent en rang pour rencontrer le président Aziz, chacun cherchait sa paix pour ne pas subir ses foudres. Les rumeurs prétendaient qu’il a concocté un dossier pour les principaux d’entre eux. Il arrive que le président Aziz prenne l’initiative de convoquer les plus susceptibles de lui causer des ennuis. Tous avaient cédé sauf le président de l’UFP Mohamed Ould Maouloud. Celui-ci avait décliné la convocation de Aziz. Probablement Aziz n’avait pas pu lui concocter un dossier puisqu’il était absent du pays pour raisons d’études poussées à l’extérieur.
– Le drainage des cadres du RFD. Depuis le début, ce parti n’a cessé d’entraîner dans ses rangs de nombreux cadres de diverses disciplines. Certains, par calcul, se positionnaient ainsi pour s’attirer l’attention du régime. Aujourd’hui rares sont les cadres dans les rouages de l’Etat qui n’avaient pas transité par le parti de Ahmed Ould Daddah.
-L’appui au blocage constitutionnel durant la première transition des possibilités de candidature aux présidentielles de Ahmed Daddah et Messaoud Boulkheir, les deux principaux leaders de l’opposition en mesure de le défier dans de futures présidentielles.
Atmosphère de terreur
La concentration sans précédent de tous les pouvoirs entre ses mains a permis à Aziz de tout contrôler et au moindre détail.
Les sociétés d’Etat et les grands groupes économiques privés disparaissent et sont remplacés par des noms nouveaux pivotant autour du président Aziz. La SONADER et la SONIMEX, des institutions ayant fait leur preuve au service des populations étaient parmi les premières victimes.
Désormais les citoyens sont traités en amis(un cercle étroit d’inconditionnels à Aziz) et en ennemis adversaires de celui-ci. Ils étaient impitoyablement maltraités. Au tout début de son règne, un brillant journaliste, accusé d’excès de critiques à son pouvoir, aurait été kidnappé et amené manu militari à la présidence pour être sanctionné sur les propres mains du président de la République Mohamed Ould Abdelaziz.
Nous avons aussi le cas du parent Ahmed Ould Khattry. Ce dernier, kidnappé à son tour au crépuscule dans son bureau de la direction des PROCAPEC(Caisses de Crédit et d’Epargne). Il vivra un long calvaire de maltraitance dans le sinistre bagne de Darnaïm. Son péché n’était autre qu’une certaine intimité avec la famille Sidi Ould Cheikh Abdallahi au moment où Aziz voulait s’en débarrasser. Il ne sera jamais jugé comme ses avocats n’avaient cessé de le demander avant d’être amnistié récemment par le président Ghazwani, soit plus d’une décennie après.
Notre pauvre petite communauté s’était vue ainsi privée de son premier visage au sein de l’establishment national.
Le président Aziz se sert de son parti, sa police et ses propres agents pour surveiller de près l’ensemble de la situation et des mouvements des citoyens. Dans un climat prétendument démocratique, une atmosphère de terreur s’installe dans tout le pays. Aziz se donne le droit de punir qui il veut. Il pardonne rarement.
Le président Aziz occupe en permanence tout le terrain : des conférences de presse improvisées, des visites inopinées à des lieux publics suivies aussitôt d’une conférence de presse sur le lieu. Dans ses nombreuses conférences de presse, des questions sensibles demeurent toujours sans réponses. À titre d’exemple, le sort d’un important financement saoudien destiné à l’armée nationale. Le cas du « prix de vente » de l’agent libyen Senoussi, sans parler d’un enrichissement rapide et démesuré investi en partie dans des projets chimériques.
Durant sa fameuse décennie, personne n’a le droit d’être plus riche que le président Aziz. Même le domaine de l’humanitaire n’est pas épargné par ses investissements personnels. Aussi personne n’a même pas le droit d’être plus intelligent ou plus cultivé que le président Aziz. Ainsi il se hasarde à chaque fois à improviser des discours, généralement décousus, sur la culture lors de l’inauguration de ses nombreux festivals culturels dans les villes anciennes. Une autre fois à Néma, il se permet de s’attaquer sans préalable à la communauté haratine, l’accusant de ne cesser de trop produire d’enfants. Il oublie que ce sont les enfants des pauvres qui assurent le bonheur des plus riches en assumant l’ensemble des tâches précaires, civiles et militaires, parfois les plus ignobles et les plus risquées.
De nombreuses écoles publiques furent transformées en marchés et les enceintes d’un certain nombre d’établissements publics officiels sont également transformées en commerces.
Le pays en chantier
Aziz s’inspire de son voisin Abdoulaye Wade qui l’a beaucoup aidé durant la crise provoquée par ses maladresses dans sa lutte à mort pour le pouvoir: ils seraient natifs tous les deux de Kebemer au Sénégal. Dans ce pays, au temps d’Abdoulaye Wade, il était aussi question de Sénégal en chantier. On découvrira plus tard qu’il s’agissait de gros chantiers pompeux pour couvrir de grandes entreprises de malversations.
Au nom du budget de l’Etat et au nom de l’économie du refus de toute étude de faisabilité ou de contrôle, Aziz met tout le pays en branle: lotissement systématique des quartiers populaires, mise en chantier de nombreux projets de développement: des écoles spécialisées et des écoles d’excellence, de nombreuses routes urbaines bitumées à la hâte, création d’hôpitaux et de nombreux points de santé, eau et électricité dans de nombreux villages, construction et ouverture de nombreuses écoles de divers niveaux dans les coins les plus reculés du pays, prolongement et réhabilitation des boutiques sociales ayant vu le jour depuis la courte période de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, ainsi que le maintien des points de vente de poisson bon marché au service des plus démunis.
Le monde est l’œuvre des idiots
“Le monde est l’œuvre des idiots”, disait un proverbe célèbre. Loin de moi l’idée de coller le contenu de ce proverbe à quiconque. Là, à titre d’exemples on cite de nombreux prestigieux dirigeants, généralement peu cultivés et parfois d’apparence bornés et peu intelligents, ayant réalisé des œuvres gigantesques.
On cite notamment Napoléon Bonaparte de France, probablement le chancelier allemand Bismarck et tout récemment le guide Libyen Kadhafi. Faisant fi des difficultés de tous contextes, ces hommes forcent le destin, réalisant ainsi des œuvres grandioses imprévisibles.
Napoléon Bonaparte de France avait marqué l’histoire de France plus que tout autre chef d’Etat français. Même le général de Gaulle à qui on ne comptabilise essentiellement que l’appel à la résistance à l’occupation nazie.
À mon avis, l’œuvre que certains prêtent à l’ex-président Aziz pourrait être interprétée dans une certaine mesure dans ce genre d’actions forcées en dehors de toute étude et de toute programmation.
Incontestablement, certains des chantiers du président Aziz avaient fini par donner des résultats palpables, souvent après plusieurs modifications et améliorations coûteuses aux projets initiaux. C’est ainsi que les lotissements des Kebbas et Gazras avaient abouti à l’émergence de nouveaux quartiers modernes dans les périphéries des villes de Nouakchott et de Nouadhibou en particulier. Combien de gouvernements avaient reculé devant l’ampleur des problèmes posés par de tels lotissements?
Chez nous à Teichtayatt, nous avions pu profiter de tel genres de projets non bien étudiés, non bien contrôlés et surtout mal exécutés. C’est ainsi que notre zone avait bénéficié d’un réseau d’eau dont le forage se situe à une dizaine de kilomètres de Teichtayatt. Donc pour la première fois dans l’histoire de notre pays après moult modifications et améliorations du réseau, les populations de notre village consomment régulièrement de l’eau potable.
Afin de ne pas faire trop de lumière sur ses nombreux chantiers, le président Aziz eut la malice, ou peut-être l’intelligence, d’occuper l’opinion dans des questions marginales d’ordre culturel qui passionnent souvent les moins avertis. Le changement de la couleur du drapeau national ou du contenu de l’hymne national en faisait partie. D’autres inventions jugées géniales comme des débats improvisés sur la résistance nationale à l’occupation coloniale ou l’impression au plan national d’un livre de « coran » authentiquement national.
Des esprits s’étaient beaucoup chauffés sur l’ensemble de ces questions de grand intérêt mais posées en débat au public à des fins de divertissement.
En réalité, le bilan de la fameuse décennie Aziz ne peut pas être dressé et analysé d’une façon exhaustive sur quelques lignes d’un journal. Selon des analyses concordantes, l’ensemble des projets d’Aziz avaient absorbé tous les budgets nationaux de la décennie en question, mais également toutes les possibilités d’endettement extérieur de notre pays durant le reste du centenaire en cours.
En conséquence le slogan « projets financés uniquement sur les ressources du budget national », brandi au tout début par Aziz, n’aurait été qu’un leurre.
(À suivre)