Proche de Manuel Valls, Ibrahima Diawadoh N’jim dénonce aussi bien le racisme de certains commentaires lors la nomination du nouveau ministre de l’Education que « l’assignation à être de gauche » pour les descendants d’immigrés.
Au moment de l’annonce de la nomination de Pap Ndiaye comme ministre de l’Education nationale, mon cœur a battu un peu plus fort que d’habitude. Une fierté m’a saisi. En Afrique, l’histoire est belle lorsqu’elle s’achève par un sourire ou une nouvelle histoire… D’autres appellent cela le mektoub (le destin) ; quant à moi, je classe l’évènement parmi les belles pages de l’histoire de France.
Oui, un enfant né en banlieue parisienne en 1965 d’un père ingénieur de travaux publics et d’un grand-père savant érudit d’origine sénégalaise, ainsi que d’une mère française, dont la sœur Marie est une des plus belles plumes françaises, devient notre ministre de l’Education nationale.
Pourtant, à l’émotion s’est substituée la peur lorsque j’ai découvert dans les minutes suivant sa nomination un flot d’insultes et de commentaires désagréables dans les réseaux sociaux, qui ne visaient finalement qu’à délégitimer sa volonté de servir.
Sa nomination comme directeur d’un musée, aussi grand soit-il, n’avait pas suscité pareille polémique malgré quelques prises de position politiques, ici ou là. Mais l’arrivée de cet historien, qui assure de pas vouloir « mettre sous le tapis » l’histoire de l’immigration française, dans l’une des plus grandes institutions de la République, celle de l’Education nationale, renvoie à la lecture d’un imaginaire plus profond.
Comment ne pas croire que les commentaires abjects et ces flots d’injures déversés sur nos réseaux sociaux et relégués par quelques journalistes en mal d’intelligence ne relèvent pas d’un racisme latent au sein de la société française. Plus grave, les critiques relayées par les partisans de l’extrême droite et de droite.
Plus étonnant, les propos de Jean-Luc Mélenchon qualifiant Pap Ndiaye « d’homme de droite » pour le seul fait d’avoir rejoint le gouvernement Macron. Pourtant le leader de La France insoumise n’a jamais rangé Gérard Colomb et Jean-Yves le Drian à droite de l’échiquier politique.
L’évidence d’être « de gauche » pour des fils de colonisés apparaît comme une assignation politique éternelle, faute de quoi elle serait une trahison. Tous ces commentaires négatifs sont le signal d’un pays malade et aveugle de ne pas comprendre qu’il est en train de changer, intégrant toutes ses composantes.
Oui, notre pays permet à un enfant de couleur noire, fils de colonisé, de devenir ministre de l’Education nationale. Un bel hommage pour celui qui pilotera le ministère chargé d’apporter la lumière à nos jeunes enfants pour « faire ensemble » civilisation.
Les opinions toujours très documentées de Pap Ndiaye, son rigorisme scientifique pour armer ses analyses et produire des constats sociétaux, sont la preuve de son intelligence, et plus encore lorsque de son engagement en acceptant la charge de l’un des ministères les plus difficiles…
Difficile parce qu’il est le ministère des rêves, du sang et de la sueur. Celui aussi du savoir. Celui encore en charge de semer la civilisation. Il est le ministère qui porte l’avenir de notre pays entre ses mains. Alors, fort de ces constats, accepter de servir cette ambition revient indéniablement à consentir à partir au feu, à s’obliger de réussir ou tout du moins à apporter une part de soi pour faire avancer notre pays.
Le droit de servir est la part que chacun consent à saisir pour prendre cause avec notre patrie, faire cause commune avec ses enfants. En acceptant cette mission, Pap Ndiaye ne se dérobe pas, il s’élève.
Pap Ndiaye a gagné ce droit, personne ne peut lui retirer. En demeurant ce qu’il est, il fera gagner et grandir notre pays, simplement et résolument.
Je suis convaincu que Camus aurait aimé écrire quelques mots à l’annonce de la nomination de Pap Ndiaye, comme il le fit à Stockholm, en décembre 1957, en rappelant le rôle de l’intellectuel. Et si Pap Ndiaye était simplement camusien ?
Ibrahima Diawadoh N’jim est ancien conseiller à Matignon.
L’Opinion