Dans un article publié en début d’ année 2011, en réponse à une question posée par l’un de ses amis, l’intellectuel et philosophe égyptien, le Dr. Youssouf Zidaneaffirmait sur un ton péremptoire, que le problème le plus important et le plus grave auquel est confrontée l’Egypte était la suprématie de la culture du mépris, érigée en système de gouvernance.
C’est, selon lui, cette culture dominante, qui a généré et qui explique, entre autres raisons, certains phénomènes et réactions au sein de la société égyptienne, ayant abouti à la révolution du 25 janvier 2011.
Pour l’intellectuel Egyptien, ce modèle de gouvernance, instauré par un Hakem parvenu par hasard au sommet de la hiérarchie de l’Etat, constitue l’unique moyen de combler la vacuité du fauteuil présidentiel sur lequel il s’est installé mais dont, en son for intérieur, il ne se sent pas suffisamment digne. Pour compenser, il s’entoure d’une cour de ministres et autres collaborateurs de haut rang qu’il s’évertue à mépriser pour leur faire expier ses propres insuffisances par rapport à cette lourde charge.
Fort à propos et comme pour nous rappeler que la fonction ne vaut que par celui qui l’incarne, le Dr Youssouf Zidane nous rafraichit la mémoire par cette réflexion du grand soufi Mouhyi Dine Ben Arbi : المكان اذا لم يؤنث فيصير مكانة لا يعول عليه
Cette pertinente analyse de la situation qui prévalait en Egypte, était et demeure encore aujourd’hui parfaitement transposable, à nombre d’autres pays arabes dont les chefs d’état ne sont ni des héritiers légitimes d’un trône monarchique ni les vainqueurs d’une élection démocratique transparente. Je me rappelle qu’enAfrique du Nord et dans les années 80-90, cette situation était déjà baptisée la hogra par les jeunes désœuvrés des quartiers, appelés hittistes, pour dénoncer la marginalisation dont ils étaient victimes dans leurs pays respectifs.
On se souvient à cet égard que c’est dans un pays du Maghreb, en Tunisie, où ce dédain avait atteint son paroxysme, que nous ayons enregistré la fameuse gifle donnée par un agent de l’Etat au jeune Mohamed Bouazizi.
Mais comme à chaque fois que le Rubicon est franchi, c’est ce geste, qui a fait, le 17 décembre 2010, déborder le vase de la colère des peuples de la sous région.
Cette colère qui a fait fuir nuitamment Ben Aly de Tunisie, abdiquer Moubarak enEgypte quelques semaines plus tard, chasser Aly Abdellah Salah du pouvoir au Yémen après avoir mis fin, dans les conditions atroces que tout le monde a vues, à 42 ans de règne despotique et aberrant de Mouammar Kadhafi en Libye.
Et alors qu’au Bahrein les stigmates des échauffourées de janvier 2011 ne semblent pas totalement effacées, les affres de la guère civile sont en passe de réduire l’Irak, la Syrie, le Yémen et à nouveau la Libye en cendres, sous l’effet conjugué des bombardements des armées régulières, des mouvements armés de l’opposition et, plus récemment, de DAECH et des coalitions internationale et régionale.
Chez nous, en son temps, de nombreuses voix se sont élevées depuis l’aube de ces révoltes pour suggérer et souhaiter à travers un dialogue inclusif, qui n’a jamais pu se tenir, la prise de mesures de nature à nous épargner les épreuves endurées par les pays où le cyclone avait déjà frappé.
Aujourd’hui encore et n’en déplaise aux laudateurs de tous poils, même si les prémices de cette révolte ont été jusqu’ici étouffées dans l’œuf par toutes sortes de subterfuges et par notre lâcheté collective, tous ses ingrédients sont plus que jamais réunis sinon davantage exacerbés par la juxtaposition de nouveaux facteurs de désordre qui risquent, si l’on n’y prenait garde, de devenir de plus en plus incontrôlables; dangereuse montée des particularismes identitaires et ethniques, paupérisation galopante, paralysie par les grèves de grandes entreprisses comme la SNIM, cherté du coût de la vie, népotisme, insécurité etc, le tout sur un fond de gestion patrimoniale de plus en plus insupportable.
Et puisqu’on dit que les mêmes causes produisent les mêmes effets, notre système politique actuel, archétype du modèle de gouvernance despotique, ne devrait plus perdre de temps pour favoriser les évolutions nécessaires à la mise du pays à l’abri des turbulences qui ont déjà emporté nombre de régimes similaires et durablement compromis le développement de ces Etats.
On peut, hélas déplorer que jusque là, celui qui nous gouverne sans partage, installé dans ses certitudes et insensible à toutes les sirènes du changement, préfère camper sur ses positions. Celles ci, fondées sur le mépris érigé en système de gouvernance, ont pu, jusque là compter sur l’esprit stoïque de nos compatriotes et leur répugnance quasi religieuse à s’opposer à l’autorité établie. D’autant plus que, le cas échéant, nos foughahas officiels et autres érudits de laMauritanie nouvelle, sont toujours là pour culpabiliser toute contestation de nature à déplaire au prince du moment.
A la décharge de l’actuel chef de l’Etat qui l’avait même plus ou moins stigmatisé dans l’une de se premières déclarations publiques, cet esprit de soumission aura, en réalité bénéficié à tous ceux qui l’ont précédé à la tête de notre pays et qui en ont usé ou abusé à des degrés divers, selon le tempérament et le style de chacun.
Mais depuis quelques années, et comme pour compléter le tableau, les deux nouveaux fléaux de l’opportunisme et de la cupidité sur fond de tribalisme, dont les récentes visites présidentielles dans nos deux Hodhs ont étalé au grand jour des images aussi rétrogrades que complaisantes, sont venus se greffer sur cet état d’esprit déjà obséquieux pour parfaire le terreau sur lequel prospère ce type de gouvernance despotique.
Ce sont désormais, ces deux leviers que nos pouvoirs manient avec une remarquable dextérité non seulement pour s’attacher les services et fidéliser les notabilités traditionnelles pourvoyeuses d’électeurs, mais aussi et surtout pour prendre et maintenir en otages un grand nombre de nos cadres supérieurs et de notre élite politique dont les notions de l’honneur et de la dignité sont désormais les cadets des soucis et qui sont de plus en plus convaincus qu’ils gagnent davantage à faire la cour qu’à servir leur pays.
Désormais plus aucune valeur, plus aucun scrupule ne peut résister à ce sport national, à cette attraction, ce besoin d’être ou de se maintenir dans les bonnes grâces du système. D’ailleurs, sur ce registre de la flagornerie, nos élites et nos notabilités ont su innover ces dernières années.
Désormais, quad on les gifle sur la joue gauche elles en demandent encore et encore sur celle de droite. Même après avoir subi les pires humiliations du régime, des cadres de haut rang ont continué de plus belle à afficher leur indéfectible loyalisme et à courber l’échine dans l’espoir de reprendre du service ou, à tout le moins, de prouver qu’ils demeurent de fidèles obligés.
Pire, ces fléaux n’auront même pas épargné notre jeunesse que les services du système n’ont de cesse de noyauter et d’embrigader dans des pseudo structures politiques spécifiques et plus ou moins antagoniques pour la distraire et surtout l’éloigner du champ de la contestation où, en Tunisie, en Egypte et ailleurs ses homologues ont été les moteurs du changement pacifique.
Il est loin le temps où nos jeunes des années 70, toutes tendances ethniques et idéologiques confondues, y compris les fils et autres neveux de nos ministres et hauts fonctionnaires, étaient à l’avant-garde de la contestation et des revendications légitimes de notre société.
Rassurés par cette mentalité courtisane, savamment entretenue, la tendance despotique et le mépris de nos gouvernants sont allés crescendo, au fur et à mesure que les peuples, autour de nous, se sont mis à réclamer plus d’état de droit et de liberté, de démocratie et de justice.
Dans la Mauritanie Nouvelle, née en Aout 2008 pour ses tenants, le style suffisant et dédaigneux affiché par notre actuel Chef d’Etat, n’en trahit pas moins, y compris lors de sa dernière conférence de presse qui a failli tourner en fiasco, la réalité de son rapport à ce pays et à ses habitants qu’il n’a pas été préparé ni eu l’occasion de connaitre suffisamment avant d’avoir à présider à leurs destinées.
Or, de même qu’on ne peut pas aimer ce que l’on ne connait pas, il est impossible, avec les meilleures intentions, de faire le bonheur d’un peuple ou de construire un pays avec lesquels on n’a aucun atome crochu. Et de s’être, dès son avènement, affublé du surnom artificiel de Président des pauvres, ne saurait suffire pour combler ce déficit.
Au contraire, aujourd’hui, pendant que de larges couches de nos populations sont en train de croupir sous le poids de la misère, on voit, surgies des sables, des fortunes colossales pousser comme des champignons. Certains de ces propriétaires écrans, illustres inconnus au bataillon des hommes d’affaires il y a sept ans et particulièrement proches de notre Président, sont en effet devenus milliardaires du jour au lendemain.
Cette boulimie au sommet, sans précédent dans l’histoire de notre pays et cette débauche de richesses spontanées, constituent un affront et une arrogante insulte au dénuement et à l’intelligence de nos populations qui doivent apparemment se suffire, pour les plus chanceuses, de l’ attribution de dizaines de milliers de lopins de sables, sur les périphéries inhospitalières de la ville deNouakchott.
Une inflation foncière qui occupe une place privilégiée dans le bilan des réalisations de notre gouvernement dont jusqu’à une date récente, aucun ministre ne ratait l’occasion de la ressasser. Mais quand on sait que le problème le plus grave et le plus insoluble de la ville Nouakchott est aujourd’hui celui desvoieries et réseaux divers ( VRD ), en particulier l’absence totale d’un réseau d’assainissement, on peut apprécier à sa juste valeur la multiplication par trois de la superficie de notre capitale.
Loin de résoudre le problème de la précarité du logement des habitants deNouakchott, cette opération d’essence éminemment démagogique, irréfléchie et irresponsable, qui participe par ailleurs au dépeuplement de nos villes de l’intérieur et qui aura été l’occasion de s’attribuer et aux siens de nombreux domaines, va surtout amplifier la paupérisation de nos concitoyens et, pour l’Etat, engendrer des besoins exponentiels en financements de VRD et autres équipements collectifs (écoles , hôpitaux , marchés , etc. )
Bientôt sept ans après son coup d’état contre le Président le plus démocratiquement élu de l’histoire de notre pays, putsch dont on se souvient qu’ il a eu l’habileté de faire partager la responsabilité morale et politique avec, plus que ses acolytes de la majorité actuelle, d’autres responsables de l’opposition et de la société civile, ce Président a jusqu’ici raté l’occasion de devenir celui de tous les mauritaniens.
Il ne peut, ni ne veut visiblement commercer qu’avec ceux qui l’applaudissent, tant qu’ils l’applaudissent. Les autres n’ont droit qu’à un peu plus de mépris et d’exclusion de sa part.
Par ailleurs, témoin privilégié pendant plus de vingt ans du laxisme du régime à l’ombre duquel il a grandi, et dont il a fait de la stigmatisation le puissant leitmotiv de son discours électoral de 2009, il n’en réunit pas moins aujourd’hui, autour de sa personne et d’une petite poignée de proches et alliés d’affaires, le seul consensus de notre opinion nationale : celui de la gestion la plus solitaire, la plus opaque et la plus outrancièrement patrimoniale que le pays ait jamais connue.
Face à cette situation et plus qu’à n’importe quel autre moment de notre histoire, beaucoup de mauritaniens éprouvent un sentiment de gêne, voire de honte à regarder, impuissants, leur pays aller à vau-l’eau, géré comme un domaine personnel et son patrimoine économique, dans la diversité de ses ressources, devenir une propriété privée d’un homme dont le seul mérite est d’avoir, au mépris de la constitution de son pays et du suffrage de ses concitoyens, renversé par la force, un Président démocratiquement élu dont le seul crime était d’avoir décidé de se passer de ses services. O combien, maladroitement, il est vrai !
Jusqu’à quand cette situation peut elle perdurer ? Jusqu’où les mauritaniens seront-ils capables de supporter, ce que les plus conscients d’entre eux vivent déjà comme un calvaire, un hold-up de leur pays ?
Peut-on encore espérer que par miracle, dans un sursaut de lucidité peu fréquent dans les cas d’espèce, notre chef d’Etat actuel et ceux avec lesquels il partage quelque chose puissent réaliser qu’aucun pouvoir, même s’il était démocratiquement acquis ne saurait constituer indéfiniment un titre de propriété sur un pays quelconque…
S’est-il suffisamment donné le temps, notre Président, de réfléchir à ce qui est arrivé à Khaddafi et à sa famille en Libye, à Ben Ali en Tunisie, à Housni Moubarak et à ses enfants en Égypte, à Aly Abdella Saleh au Yémen et aujourd’hui à Bechar El Essed en Syrie, entre autres despotes…
Saura-t- il cette fois, à travers le dialogue dont il vient de suggérer la tenue et même si sa dernière conférence de presse ne laisse rien présager dans ce sens, se donner et au pays, la chance de sortir du bourbier où il l’a plongé sous les applaudissements de larges pans de politiciens et notables véreux ou, au contraire, croit il pouvoir continuer indéfiniment à surfer sur les contradictions et autres atermoiements d’une opposition qui peine à se rassembler pour peser de tout son poids ? C’est sans doute possible mais pas indéfiniment.
Source : RMI Biladi (Mauritanie)