Le droit de l’environnement au cœur de la santé environnementale (7) Par maître Taleb Khyar *

Le droit de l’environnement au cœur de la santé environnementale (7) Par maître Taleb Khyar *Des pluies diluviennes, des torrents de boue, des incendies ravageant des centaines de milliers d’hectares, des tempêtes de sable qui ensevelissent des villes entières, des poumons verts de régions entières calcinés……

On serait tenté de croire que cela n’arrive qu’aux autres, et que nous qui ne nous trouvons ni en Asie, ni dans le pourtour méditerranéen où ces retournements de la nature sont signalés, sommes épargnés, à l’abri de ce que vit la Grèce, de ce que vit l’Italie, de ce que vivent la Chine, l’Espagne, la Turquie, la Tunisie…..

Grande illusion ! Les cataclysmes qui s’intensifient et se multiplient, échappent à toutes les prévisions météorologiques, et autres modélisations élaborées à renfort d’algorithmes présentés pourtant comme étant d’une grande précision; aussi est-il légitime de croire que les pays côtiers de l’océan atlantique, sont désormais à portée de main des ouragans dévastateurs, des incendies ravageurs, et de bouleversements écologiques majeurs.

Il suffit de constater que de l’autre côté de la rive de l’océan atlantique, juste en face de la Mauritanie, à quelques encablures, la grande Amérique, dont la marge croissante de développement se compte en années-lumière par rapport au reste du monde, est impuissante à contenir les déchaînements de la nature, alors que de ce côté-ci de l’atlantique, une mince barrière de sable mouvant semble tenir tête vaillamment, mais de manière de plus en plus pénible, et comme dans un sursaut de résistance dérisoire, aux assauts incessants et continus de la mer ; que cette muraille de sable est quotidiennement affaiblie, fragilisée par les promoteurs immobiliers, qui n’ont d’égard et d’intérêt que pour l’enrichissement que leur procure le prolongement naturel de ce fragile et frêle cordon dunaire qu’ils ne cessent de ronger pour la réalisation de leur funeste dessein ; l’enrichissement à tout prix, sans égard pour la vie d’autrui ; un enrichissement qui crée de la pauvreté, de la désolation, de la détresse.

S’enrichir en appauvrissant autrui, s’enrichir en créant de la pauvreté, s’enrichir sans cause ! C’est l’exception mauritanienne ; le sport favori auquel tous les mauritaniens s’adonnent avec délectation, se faire du « grisbi » à en perdre l’âme ; or accroitre son revenu sans créer de la richesse, revient mécaniquement à appauvrir autrui.

Cet autrui, ce peut être vous, moi, quelqu’un d’autre, une personne morale de droit privé, de droit public, et de manière générale tous ceux qui détiennent des biens , qui disposent d’un patrimoine, et comme à la tête des argentiers, il y a l’Etat, alors il faut appauvrir l’Etat en provoquant par toutes sortes d’artifices budgétaires et financiers la distribution de revenus de transfert que l’on va par la suite s’approprier grâce à des techniques de captation dont les mauritaniens ont la science, puis à l’Etat succèdent les porteurs privés de capitaux ; il faut également les appauvrir en les donnant en pâture à une délinquance en col blanc qui a réussi, en se payant des lois, à contribuer à l’émergence d’une justice laxiste, impuissante désormais à restituer à la victime ses droits, et à punir les auteurs de comportements attentatoires à la sécurité des biens et des personnes.

L’enrichissement accroît la consommation, et donc tracte les prix vers le haut en créant une inflation qui demeure non maîtrisée, aussi longtemps que les mécanismes propres au marché qui jouent le rôle de régulateurs n’en atténuent les effets ; alors les prix s’envolent dans des proportions variables à l’augmentation des revenus, mais lorsque ces revenus sont dus à des flux monétaires sans contrepartie, l’inflation devient toxique.

Cette approche n’a rien d’anecdotique, même s’il peut sembler paradoxal que la croissance de la consommation soit contreproductive, contrairement à la perception qu’en ont les courants économiques dominants, particulièrement ceux d’obédience keynésienne, mais lorsque la consommation est due à un accroissement de revenus qui ne correspondent à aucune prestation, ni aucun service, ni aucun bien échangé, alors cette consommation devient toxique ; elle crée de l’inflation plutôt qu’elle ne provoque de la croissance ; il s’agit en effet d’une consommation qui produit des effets identiques à ceux que sécrètent les milliards des barons de la drogue, dont on connaît la perversité.

Certes, en Mauritanie, ce sont des milliards dont l’origine n’est pas dans le trafic de drogue, mais des milliards tout de même, qui se baladent sous forme de revenus sans contrepartie, des milliards pour combattre la covid, que l’on pouvait investir dans la formation paramédicale accélérée et l’acquisition de matériels sanitaires, d’autres milliards distribués à vau-l’eau, sous forme de filets sociaux alors qu’on pouvait les utiliser pour renforcer les prestations de la caisse de sécurité sociale, et parfaire de la sorte durablement une meilleure prise en charge des soins des travailleurs et de leurs familles ; ce serait là un véritable combat contre la pauvreté, et pour une meilleure qualité de vie de la main d’œuvre nationale ; le milliard distribué pour secourir le tourisme alors qu’on peut difficilement croire qu’un tel secteur soit secourable en cette période de pandémie, encore que la procédure adoptée pour débloquer ce fonds soit des plus opaques, comme cela a été soulevé par les principaux acteurs du secteur.

On ne saurait clore ce chapitre sur l’enrichissement sans cause, avant d’évoquer le haut lieu, le temple de l’inflation qu’est « Taazour », défini par son texte de création comme étant « une administration de mission publique » et qui joue un rôle prépondérant , pour ne pas dire de premier ordre, dans l’impuissance structurelle de la Mauritanie à rembourser sa dette, du fait des subventions du budget de l’Etat, dont cette institution bénéficie, et qui sont ces principales ressources, à côté de celles rétrocédées dans le cadre de conventions de financement, outre les fonds qui lui sont apportés par des personnes morales publiques.

Les milliards de Taazour et d’autres institutions auraient dû servir à créer de la connaissance, de l’emploi et de la santé, plutôt que de générer un enrichissement factice, dont la contrepartie est l’accroissement des charges publiques, à côté d’un endettement qui hypothèque toute velléité de développement.

L’intention qui est à la base de la distribution de tous ces milliards n’est pas dénuée de bonne foi, mais elle relève d’une méconnaissance totale des mécanismes du marché, comme elle fabrique de l’inflation à chaque coin de rue.

L’enrichissement qui crée de la pauvreté, on le trouve également dans d’autres pratiques, comme lorsqu’on dépénalise le chèque sans provision, pour éviter que certains émetteurs de ces instruments de paiement, en déboire avec la justice, ne soient punis, appauvrissant de la sorte les honnêtes gens au bénéfice de délinquants notoires ; comme lorsque l’on supprime la contrainte par corps du corpus juridique pour empêcher que notre « Madoff » national ne soit astreint à cette mesure qui l’aurait sans doute convaincu de réparer le préjudice subi par ses victimes au détriment desquelles il s’est enrichi, alors que des centaines de mères de famille propriétaires, se sont appauvries du fait de leur expropriation , en toute illégalité et de manière violente de leurs biens immobiliers ; pour un comportement identique sous d’autres cieux, où le patrimoine comme tous les autres attributs de la personne humaine, liberté et droits civiques, sont protégés, l’auteur d’une escroquerie similaire a été condamné à 150 ans de prison ; cela veut dire que le droit à la protection des biens et des personnes, bien que garanti par la constitution mauritanienne, reste une fiction, un mythe.

C’est pourtant autour de ce droit à la protection et d’un autre droit, non moins important, le droit à la vie, à côté du droit à un développement durable, que s’articule le devoir de préservation de l’environnement, et il faudra bien que nos dirigeants en prennent conscience, qu’ils sachent qu’ils sont débiteurs de ces droits envers toute personne qui se trouve sur le sol mauritanien, sans égard pour sa nationalité , et qu’à défaut d’y prendre garde, ils vont précipiter la perte de ce pays, dont le corps pensant est acquis, subjugué, sous le charme de toutes sortes de théories rétrogrades et mercantiles véhiculées par des multinationales dont la seule valeur est la capture du profit au détriment d’investissements productifs, qui n’ont cure ni pour la santé des populations, ni pour la préservation des écosystèmes dans lesquelles elles évoluent, et qui n’ont d’yeux que pour le profit, le profit, et seulement le profit.

A côté de nous, chez nos voisins du Sénégal, les populations se mobilisent pour dénoncer le méga projet gazier que les deux pays frontaliers (Sénégal et Mauritanie) s’apprêtent à réaliser de manière conjointe, sans que les populations riveraines n’aient été de quelque manière que ce soit, consultées , alors qu’il s’agit d’un projet pouvant dégrader de manière irréversible l’environnement, et remettre en cause les intérêts des communautés riveraines, dont la principale ressource est celle que leur procure le fleuve Sénégal, que cette ressource soit à caractère agro-pastorale, ou qu’elle soit liée à la pêche.

On ne cesse de chanter les bienfaits de ce mégaprojet, bien qu’il soit porteur de menaces stratégiques pour la souveraineté nationale des deux pays, comme il menace à terme les rapports d’amitié et de fraternité qu’entretiennent les deux Etats, et qui vont très vite se dégrader avant d’aller grossir le contentieux international fourni des conflits de voisinage dont la charge identitaire n’est jamais négligeable, alors même que par le passé, le Sénégal et la Mauritanie ont été incapables à résoudre de manière consensuelle, comme l’auraient fait des nations civilisées, le conflit intervenu en 1989.

Les populations riveraines du fleuve Sénégal, de ce côté-ci comme de l’autre côté de la rive, ont toujours vécu en bonne harmonie des siècles durant, jusqu’au jour où des bouleversements écologiques, suite à la sécheresse persistante des années 70, se sont traduits par une invasion des champs de paisibles agriculteurs de la vallée par des éleveurs venus de nulle part, débouchant sur des conflits intercommunautaires que les Etats voisins ont été impuissants à résoudre, ou qu’ils ont même envenimé ; alors comment ces Etats vont-ils se comporter lorsque cette fois-ci, le bouleversement écologique résulte de leur propre initiative, et qu’il faille libérer des espaces pour l’installation du mégaprojet et de ses annexes, ici ou là, ici et là, selon les caprices du management ?

Va-t-on parquer ces populations dans des camps de réfugiés ? Va-t-on les exproprier à nouveau ? N’ayant été associées à aucune étude environnementale, en rapport avec ce mégaprojet, ces populations s’exposent à un danger imminent dont elles ignorent tout….(A suivre)

*Avocat à la Cour.

*Ancien membre du Conseil de l’Ordre