Quelles infrastructures de transport terrestre pour la Mauritanie?/Par Brahim Boihy

Le groupe chinois Poly Changda vient de gagner le marché de construction du pont devant relier la Mauritanie et le Sénégal au niveau de la ville de Rosso. Son coût global est de quatre-vingt seize (96) millions de dollars. Sa livraison est donnée dans trente (30) mois à compter du 20 décembre 2020. Il viendrait se substituer à l’inadaptation du bac aux besoins actuels et futurs en termes d’échanges internationaux et des transports terrestres.

Outil de mobilité, de circulation des personnes et des biens dans des conditions de relative accessibilité pour des populations à faible revenu, outil de développement intérieur et régional, outil d’amélioration de la qualité de vie et de la réalisation de profits, le transport terrestre implique l’élaboration de choix stratégiques et budgétaires, l’adaptation programmée et coordonnée des infrastructures (routes, autoroutes, voies ferrées et fluviales, aéroports). Aussi, pour la promotion du commerce inter-africain, la commission économique pour l’Afrique (ONU), l’Union Africaine, l’Union du Maghreb Arabe, la Banque Africaine de Développement, la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et la Communauté de Développement d’Afrique Australe (SADC) se sont données l’objectif de réaliser un réseau d’autoroutes africaines de plus de 57.000 km. Par le développement des infrastructures routières et la promotion du commerce, le but recherché est la réduction de la pauvreté en Afrique. Pour ce faire, un réseau de corridors transafricains ont été définis comme objectifs à atteindre, à terme.

. Corridor 1 : Cairo-Tripoli-Tunis-Alger-Rabat-Nouakchott-Dakar (La TRANSMAGHREBINE)

. Corridor 2 : Alger-Tamanrasset-Agadez-Kano-Lagos

. Corridor 3 : Tripoli-Ndjamena-Brazzaville/Kinshasa-Windhock-Capetown

. Corridor 4 : Cairo-Khartoum-Addis Ababa-Nairobi-Dodema-Lusaka-Gaberone-Capetown

. Corridor 5 : Dakar-Bamako-Ouagadougou-Niamey-Ndjamena

. Corridor 6 : Ndjamena-Djibouti

Corridor 7 : Dakar-Banjul-Bissau-Conakry-Freetown-Monrovia-Abidjan-Accra-Lomé-Cotonou-Lago

. Corridor 8 : Lagos-Yaoundé-Bangui-Kisangani-Nairobi-Mombassa

. Corridor 9 : Lobito-Lubumbashi-Lusaka-Hararé-Beira.

Nouvelles possibilities d’échanges

La Mauritanie, comme on le voit, est directement concernée par la TRANSMAGHREBINE et son prolongement jusqu’à Rosso. Il est de notre intérêt de nous raccorder à l’axe transsahelien (Corridor 5) pour faire du Mali et du Burkina Faso le hinterland de nos ports. Ces deux pays, enclavés et instruits des problèmes de transport à eux posés par le récent embargo imposé au premier par la CEDEAO, et suite au conflit interne ivoirien des années 80-90, sont toujours soucieux de diversifier leurs voies d’approvisionnement. Le transit par la Mauritanie répondrait bien à ce besoin. La partie de l’ancien axe Tanger-Casablanca-Bir Moghréin-Nouakchott-Dakar d’une part, et une jonction avec le sud algérien (Tindouf) via Bir Moghréin et Ain Ben Tilly, d’autre part, permettraient de nouvelles possibilités d’échanges dans les contrées nord de notre pays et de mise en valeur de leurs potentiels. Il y a lieu d’ajouter que chaque pays a la responsabilité de la réalisation des parties de corridors traversant son territoire.

La position charnière de notre pays entre le Maghreb et l’Afrique occidentale justifie la réalisation d’infrastructures à même d’assurer de manière organisée le maillage intérieur indispensable aux échanges et à son développement, et de permettre le transit des flux entre le nord et le sud du Sahara, rôle que jadis il joua. Les pistes anciennes (route des chars et autres routes relatées par El Bekri et R. Maury) passaient, pour les plus occidentales d’entre elles, par Figuig, le Zemmour, le sud-est mauritanien (Tichit, Oualata) pour aboutir à Tombouctou, reliant ainsi le Maghreb à la boucle du Niger. Ces anciennes pistes font aujourd’hui place aux corridors proposés par les institutions économiques régionales et internationales. Il convient que nous soyons au rendez-vous.

De ce qui précède, et consciente des enjeux, la Mauritanie doit commencer par la réalisation bien pensée de ses infrastructures de transport afin de relier efficacement entre elles toutes nos Moughataa. En particulier, la connexion des régions productrices de produits halieutiques, agricoles et animaliers aux centres de consommation et de transformation serait de haute contribution au développement économique et social du pays. Les échanges avec les pays voisins et l’intégration économique régionale s’en trouveraient augmentés. En outre, l’amélioration de l’état technique de nos infrastructures contribuerait sans aucun doute à sauver la vie de nombre de nos citoyens. Les statistiques disponibles donnent la mesure des efforts à faire.

Le réseau mauritanien compte un peu plus de « 2900 km de routes goudronnées, de deux milliers de kilomètres en terre stabilisée et de plus de 7000 km de pistes ». A ces données, il faut ajouter (a) une mortalité routière de près d’un million de victimes, soit 24 à 25 victimes pour 100.000 habitants et 230 victimes pour un parc de 100.000 véhicules motorisés (OMS 2015); (b) au classement de 141 pays étudiés et notés sur la qualité de leur réseau routier de 1 à 7 (la meilleure note), la Mauritanie pointe au 140 ème rang, noté 2,0 (juste devant le Tchad); (c) l’indice de performance logistique qui mesure la qualité des infrastructures affecte à notre pays la note de 1,52/5 (Banque Mondiale). En clair, il s’agit de routes qui tuent et qui ne contribuent pas comme il serait souhaitable au développement du pays en raison du mauvais état de l’existant. Le nombre d’accidents de la circulation routière dans notre pays ne cesse d’augmenter. Les victimes et les dégâts matériels qu’on observe au quotidien, en constante augmentation eux-aussi, attestent de la violence des chocs. Les causes premières des accidents sont de trois ordres : l’aptitude des conducteurs à la conduite, l’état technique des véhicules et la qualité des infrastructures routières.

Mon propos se limitera ici, pour l’essentiel, à ces dernières.

Le choix des infrastructures et l’organisation des réseaux de transport conditionnent la vie économique d’un pays. Populations et activités se concentrent généralement le long des axes de pénétration et plus particulièrement à partir des ports. Qu’en est-il de nos routes et de leur état?

La route de « l’Espoir », la plus fréquentée, la plus meurtrière aussi, traverse le pays d’ouest en est.

Sa première mission est économique et sociale: unité territoriale, mobilité, diffusion de richesses.

La mortalité qu’elle engendre, comme indiqué plus haut, n’est pas une fatalité. Les accidents qui s’y produisent sont dans leur grande majorité du type de collisions frontales. Elles se produisent lors d’opérations de dépassement sur une route étroite par construction, ou rétrécie par la dégradation des bas-côtés non adéquatement stabilisés au départ, ou rétrécie par un obstacle naturel (ensablement), ou par l’évitement d’une déformation de la chaussée (nids de poule), ou rétrécie par le gabarit d’autres véhicules, ou d’autres causes encore dont le défaut de signalisation diurne et nocturne. Cet axe est emprunté par différents types de véhicules, allant des plus petites berlines particulières aux bus et semi-remorques de très grands gabarits et tonnages. L’origine et la destination des trafics peuvent être la Mauritanie, le Maroc, voire l’Espagne ou la France, et le Mali. Il nous revient, et nous devons avoir cette ambition, d’en faire le complément ou le prolongement des axes Méditerranée-Sénégal et transmaghrebin. Pour des raisons de sécurité d’abord, et pour que cet axe ne soit un goulot d’étranglement, il est impératif que la route de l’Espoir, et ce jusqu’aux frontières nord est et sud-ouest du Mali, soit élargie, aménagée, sécurisée, l’objectif à terme étant qu’elle devienne une autoroute payante selon le principe du pollueur payeur, financée par l’Etat et/ou par un Partenariat Public Privé. Le niveau très élevé des investissements l’exige.

Les axes Nouadhibou-Nouakchott et Nouakchott-Rosso devraient bénéficier d’un traitement identique pour assurer la meilleure fluidité possible du trafic, les échanges régionaux par ces axes étant promus à un développement prometteur dont il nous revient de prendre notre part. Le port de Nouadhibou a vocation à recevoir les plus gros bateaux et porte-conteneurs. Bien abrité et protégé naturellement, il est plus facilement aménageable en port en eaux profondes (tirant d’eau) que Nouakchott (fort ensablement) et à moindres coûts d’entretien. Les conteneurs et autres cargaisons arriveraient à destination plus rapidement lorsqu’ils sont installés sur des camions empruntant une autoroute depuis le port de Nouadhibou que si le bateau devait les débarquer à Nouakchott qui comporte plus de risques atmosphériques (effets de houle), donc d’attente, et les surestaries qui en découlent. Par ailleurs, quel sens aurait la réalisation du pont de Rosso si l’infrastructure  routière du côté Mauritanie ne permettrait pas une fluidité conséquente des trafics routiers?

L’axe nord, l’ancienne « route impériale n°1 » jadis la seule praticable, reliait Rosso, l’unique accès terrestre, aux frontières nord (Maroc et Algérie) via Nouakchott, Akjoujt, Atar, Fort Gouraud (Fdérick), Bir Moghréin. De nos jours, il est certes le moins fréquenté mais pour autant, sa modernisation ne pourrait pour ces motifs être négligée; il permettrait la connexion entre elles de régions riches en oasis, en ressources minières, en potentiels touristiques, et promises à tirer de substantiels avantages des échanges en devenir entre la Mauritanie d’une part, le Maroc et l’Algérie d’autre part, dans lesquels elles auront un rôle important à jouer.

Les connexions les plus directes possibles entre toutes les Moughataa doivent être un objectif.

L’intensité de leurs échanges en termes de besoins stratégiques, de volumes et de fréquences objectivement évalués doivent être les seuls critères qui déterminent la priorité de réalisation des infrastructures. Plus particulièrement, les régions et centres de production de biens et denrées doivent disposer d’infrastructures et équipements leur permettant la mise à disposition de ces produits sur les marchés de distribution nationaux et régionaux. Ainsi d’un axe pérenne longeant la rive droite qui relierait ces régions au Mali (région de Kayes).

Le doublage à plus long terme des principaux axes routiers par des voies ferrées ne devrait être considéré comme une simple vue de l’esprit. Tôt ou tard, il deviendra indispensable. Les transports de masses (minéraux, phosphates, bétail, etc.) vers les centres de traitement ou d’exportation y gagneraient en efficacité et rentabilité.

Au total, l’objectif d’un réseau routier ne peut être qu’un maillage raisonnablement le plus serré possible, qui assure la sécurité des voyageurs, la régularité et la rapidité des flux, et qui contribue efficacement au développement des échanges commerciaux régionaux. Le réseau routier devrait être le plus éloigné possible des conceptions et réalisations en étoile. Le pont de Rosso devrait s’inscrire dans ces objectifs. Cela implique une gestion efficiente d’une telle infrastructure, génératrice de nombreuses retombées économiques et sociales.

En tout état de cause, les considérations environnementales doivent demeurer – toujours – au sommet des préoccupations, quel que soit le type d’infrastructure. La préservation de la nature, de la biodiversité, la vie des populations ne devraient être sacrifiées au profit de considérations politiques, économiques ou autres.

06/11/2020.
Le Calame