S’ils ont bien pris soin de condamner fermement les attentats, plusieurs évêques se sont indigné, après l’assassinat de Samuel Paty et l’attaque de Nice, des caricatures de Charlie Hebdo. Des dessins « offensants » et « blasphématoires » jettent de « l’huile sur le feu ».
« Non, je ne suis pas Charlie, je suis André Marceau ! », affirmait l’évêque de Nice, peu après l’attaque jihadiste commise le 29 octobre contre trois fidèles d’une église de son diocèse, dans un entretien à Nice-Matin.
« Certes la liberté d’expression est sacrée en France, mais que chacun s’assume. Il y a des identités qu’on ne peut pas trop bafouer à la légère », poursuivait-il.
Comme lui, d’autres hauts responsables de l’église ont exprimé leurs réserves. « On ne se moque pas impunément des religions », a tranché, un peu plus tard sur une radio l’évêque de Toulouse Robert Le Gall, jugeant que « la liberté d’expression atteint ses limites » et « qu’on jette de l’huile sur le feu » avec les caricatures.
« Comment croire que la quintessence de l’esprit français réside dans la vulgarité et la malveillance ? », s’est interrogé de son côté l’archevêque d’Albi, Jean Legrez.
L’évêque d’Avignon Jean-Pierre Cattenoz, tout en condamnant « avec force » les attentats, se demande si « les caricatures blasphématoires sont (…) un droit en démocratie ». Dans un texte publié sur le site du diocèse, il répond « non », confiant avoir « pleuré » devant une caricature ayant « blessé sa sensibilité de chrétien ». Mgr Cattenoz dit également être « resté sans voix devant les déclarations du président de la République », lorsqu’il « a justifié au nom même de la démocratie la liberté de dire et de publier tout et n’importe quoi, la liberté au blasphème sous toutes ses formes. Je croyais rêver ! »
Plus mesurée, la Conférence des évêques de France, réunie en assemblée plénière, a assuré samedi dans un communiqué: « la liberté doit être défendue, sans faiblesse ». Tout en demandant: « est-ce à dire que la liberté d’expression ne doit connaître aucune retenue vis-à-vis d’autrui et ignorer la nécessité du débat et du dialogue ? » « Oui, les croyants, comme tous les citoyens, peuvent être blessés par des injures, des railleries et aussi par des caricatures offensantes », a poursuivi l’épiscopat, invitant « chacun » à commencer par le « respect » et « la fraternité ».
Certains évêques, ceux qui vont le plus loin dans leur expression, « n’ont pas intégré le fait que la séparation des Églises et de l’État impliquait cette liberté d’aller très loin dans la caricature ou l’insulte anti-religieuse (…) Ils considèrent que le ‘blasphème’ ne devrait pas être libre dans nos sociétés », observe Jean-Louis Schlegel, sociologue des religions, ancien directeur de la rédaction de la Revue Esprit.
Et chez les fidèles ? « Les catholiques, ceux pratiquants ou se disant appartenir à l’Église, sont malheureux ou mal à l’aise avec ces caricatures », estime-t-il, confiant avoir perçu ces derniers jours sur les réseaux sociaux « un malaise montant sérieusement », y compris « chez les fidèles assez libres par rapport à l’Église ». « Ils ne peuvent pas ne pas reconnaître que c’est une liberté fondamentale », affirme Jean-Louis Schlegel. Mais ils « ne vont pas applaudir des caricatures que généralement ils trouvent grossières, avec des dessins très vulgaires ».
C’est le cas d’Auriane You, jeune catholique de 24 ans, qui explique : « je ne suis pas contre la caricature, de manière générale, c’est une forme de liberté d’expression qui peut nourrir le débat, comme par exemple les pièces de Molière ». Mais cette agent municipal dans une mairie de Seine-Saint-Denis dit ressentir « un malaise par rapport aux caricatures de Charlie Hebdo, car j’ai l’impression qu’elles n’ont pas vocation à élever le débat, plutôt à humilier et rabaisser ». « Je comprends la crispation ou la tristesse des musulmans qui voient leur foi attaquée sans raison ».
De son côté, Emmanuelle, autre catholique, pratiquante dans une paroisse parisienne, comprend que « les caricatures puissent être considérées comme choquantes, quand un dessin tourne en dérision quelque chose qui pour nous peut être sacré », souligne-t-elle en précisant. « Charlie Hebdo, ce n’est pas ma revue préférée ».
Mais, poursuit-elle, « il ne faut pas que ça renverse notre hiérarchie des valeurs: on ne tue pas des gens pour une caricature ! » Selon elle, « la liberté d’expression est un peu plus en danger que la protection du sacré des religions ».
AFP