Depuis le temps que beaucoup d’honnêtes gens, en Mauritanie, se posent la sempiternelle question : Pourquoi les pauvres gens, volant un rien, finissent en prison alors que les délinquants politiques, volant tout, sont en liberté.
La réponse à cette question, se trouve dans la capacité chez l’individu à anticiper. A anticiper l’évènement et à se préparer pour en amortir le choc. Le pauvre n’anticipe pas, il est imprévoyant.
Il vit au jour le jour et son horizon se limite à son pain quotidien. La prévoyance, n’appartient qu’à ceux qui se projettent dans l’avenir, qui calculent et préparent les conséquences de leurs actes.
En Mauritanie, il y a donc la majorité qui est pauvre et qui peuple les prisons et la minorité qui est riche et qui peuple les premières loges du pays. Pour ces derniers, c’est devenu un jeu que de piller le pays.
Un jeu à plusieurs qu’explique merveilleusement et justement la théorie des jeux à travers les anticipations rationnelles des acteurs de la vie économique et sociale. Sur cette base, les pilleurs de l’Etat, ont développé une stratégie optimale, concertée, leur permettant d’anticiper les conséquences de leurs actes criminels et donc de leur échapper.
En effet, «la théorie des jeux est un ensemble d’outils pour analyser les situations dans lesquelles ce qu’il est optimal de faire pour un agent (personne physique, entreprise, animal, …) dépend des anticipations qu’il forme sur ce qu’un ou plusieurs autres agents vont faire.
L’objectif de la théorie des jeux est de modéliser ces situations, de déterminer une stratégie optimale pour chacun des agents, de prédire l’équilibre du jeu et de trouver comment aboutir à une situation optimale. La théorie des jeux est très souvent utilisée en économie, en sciences politiques, en biologie ou encore en philosophie.” ( Référence de cette théorie : Oskar Morgenstern et John von Neumann Theory of Games and Economic Behavior”-1944)
Ainsi depuis longtemps les gabégistes mauritaniens ont mis en pratique la théorie des jeux.
Ils ont développé une stratégie permettant d’anticiper ce qui leur adviendra en cas de détournement de biens publics. Cette anticipation se fait à travers un équilibre socio-ethno-tribalo-politique dans lequel le gabégiste se projette. Il développe une stratégie fondée sur ses rapports personnels avec sa tribu sur une évaluation des dirigeants en place, sur ses connexions mafieuses, (administratives, judiciaires…) afin de se mettre dans une situation optimale pour profiter de son acte.
La stratégie tribale : la protection rapprochée
Cette stratégie est élaborée au sein de l’environnement tribal. Un haut responsable aussitôt nommé s’entoure de toute sa parentèle tribale jusqu’au douzième degré. Il suffit pour s’en rendre compte de rendre visite à un haut responsable à son domicile. Tout le personnel «domestique » est de sa tribu, tous les visiteurs sont de sa tribu et toute la masse humaine qui peuple son salon est de sa tribu. De celui qui fait le thé à celui qui sort la voiture.
Le haut responsable s’entoure alors d’un « cocon » tribal qu’il nourrit et entretient mais dont il attend une contrepartie, que personne n’avoue mais que tout le monde sait : le soutenir dans tous ses méfaits.
Le cas le plus récent est celui de ce directeur général de banque qui a été convoqué par le procureur et qui quitta les bureaux de ce dernier aussitôt entré, car aux portes du tribunal avait siégé sa tribu appelée en grande pompe, et même un haut responsable militaire appartenant à cette dernière pour faire pression pour sa libération. Cet individu fut nommé quelques temps après ambassadeur au Japon.
J’ai eu moi-même, à titre d’expérience personnelle, à connaitre un jeune étudiant à l’étranger qui devint, sous le gouvernement de Sidioca, ministre. A l’occasion d’une rencontre, je lui avais conseillé de s’entourer d’excellentes compétences mauritaniennes se trouvant sur place à Nouakchott et de ne pas hésiter à faire appel aux personnes méritantes pouvant l’aider à remplir sa mission. Quelques mois plus tard, que fut ma surprise de découvrir qu’il s’était entouré de sa parentèle suivant le schéma décrit précédemment, sans tenir compte d’aucun critère de compétence sinon le lien de la tribu et du cousinage.
Grâce à cette main nourricière qu’il donne à sa tribu et aux soutiens qu’elle lui prodigue dans tous ses actes, il n’a que faire de la compétence, du développement de son pays ou de la misère qui l’entoure. Il anticipe sa protection, demain, par ses alliances d’aujourd’hui.
Les tribus elles-mêmes réclament des « quotas » de nominations pour leurs « intellectuels » dans les postes clefs.
La stratégie partisane : l’anticipation du risque politique
La recherche permanente du l’appui dans le forfait est une préoccupation quotidienne de toute l’armada des hauts fonctionnaires à l’affut de l’opportunité de détournement d’un bien public.
Ce sont les sempiternelles questions que l’on pose dans les salons : « Qui a été nommé à quel poste ? C’est le parent de qui ? De quelle tribu est-il ? Ce n’est pas lui qui a été à la tête de … ? etc. »
Les mal véreux sont dans une attitude perpétuelle de « scannage » du paysage des nominations et autres mutations qui leur permet, à un moment donné, de savoir qu’ils peuvent compter sur (ou mettre à contribution) tel ou tel cousin haut-placé ou une connaissance intéressée qui vient de recevoir un poste juteux ou un projet « rentable ».
D’autre part, parmi les moments privilégiés des détournements et autres malversations d’envergure: les périodes de transition notamment à la suite des coups d’Etat. Ces périodes troubles et d’incertitudes sont propices à toutes les gabegies. Les millions koweitiens, les millions du fond pétrolier, les millions saoudiens…les millions du Covid-19 …de l’argent disparu sans aucune trace. La confusion est d’ailleurs un facteur essentiel dans la stratégie des gabégistes.
Les gabégistes utilisent sans le savoir la théorie des jeux et ils réussissent l’exploit de la mettre en œuvre dans un contexte d’équilibre instable. De ceci se dégagent des postulats, des faits, des évidences et des résultats.
A. Les postulats :
1. si vous n’êtes pas riche, vous ne garderez jamais votre poste. Donc si vous devenez ministre, enrichissez-vous pour rester ministre ou prétendre à mieux encore.
2. Si vous commettez un crime de détournement de biens publics, assurez-vous que vous avez volé vraiment beaucoup car c’est …votre seule garantie d’innocence. 3. Volez gros et grand pour vous faire élire et gagner les élections.
4. Sachez que si dans les pays développés les riches ne prêtent qu’aux riches, chez nous les pauvres ne prêtent leurs voix électorales qu’aux riches.
B. Les faits :
Quand en Mauritanie, vous êtes riche, toute enquête diligentée à votre égard si elle n’est immédiatement arrêtée par le froissement de vos billets de banques, prendra du temps et l’on fera qu’avec le temps, tout s’oublie. Et voici pourquoi.
– Le policier qui va enquêter est pauvre
– Son chef, le commissaire est pauvre
– Le juge d’instruction est pauvre
– Le procureur est pauvre
– Les magistrats de la chambre d’accusation sont pauvres
– Les juges assis (du siège) sont pauvres
– Les juges débout (ministère public) sont pauvres
– L’huissier de justice lui-même est pauvre.
– Les avocats sont pauvres
Alors si vous avez de l’argent, beaucoup d’argent, il suffit de virer et encore virer dans les comptes bancaires et les poches de ce beau monde et vous êtes blanc comme neige, l’innocence personnifiée. Blanc immaculé comme au premier jour de votre naissance ou plutôt le jour de votre premier détournement.
La preuve : il n y a pas de roumouz el vessad (gabegistes corrompus et corrupteurs) en prison en Mauritanie.
Ils sont tous ministres, ambassadeurs, conseillers et comptables d’ambassades, grands banquiers, hauts fonctionnaires dans des entreprises et administrations publiques juteuses.
Ne les cherchez ni à la prison centrale ni à Dar Naim, ils sont dans la soie.
Voici un dialogue typique d’un haut responsable qui vient de détourner les fonds d‘une organisation internationale et qui reçoit un coup de téléphone d’une personne haut placée.
– Allo excellence, tous les journaux parlent de vous ce matin.
– Oui, je sais.
– Alors ?
– Alors quoi ?
– La justice va vous poursuive (Rire étouffé)
– J’ai déjà reçu un appel du procureur qui s’est saisi du dossier…
– Et c’est combien ?
– Deux tout-terrains, quelques chamelles chez lui au campement…
– C’est tout ?
– Oui, sauf qu’il s’est chargé de faire perdre le dossier
– Et la presse ?
– (Rire étouffé), ils vont venir chercher leur part….
– A quelle occasion,
– Lors de ma nomination dans une ambassade dans un pays occidental…
– Quelqu’un au gouvernement vous l’a promis ?
– Oui deux tout-terrains, quelques chamelles chez lui au campement…
– Et moi ?
– Toi tu es mon ministre de tutelle : Deux tout-terrains, quelques chamelles au campement…
Ce dialogue, aussi caricatural soit-il est l’essence même de tout le « donnant-donnant » auquel se sont livrés tous les gabégistes au sommet de l’Etat. Sous Aziz est bien avant.
C. Les évidences :
Puisque le détournement de biens publics est notoire en Mauritanie ;
Puisque ceux qui l’ont commis et le commettent sont connus ;
Puisque aucun d’entre-eux n’est en prison ;
Alors le détournement de l’argent public met son auteur à l’abri des poursuites Donc ceux qui sont en prison ne sont pas des détourneurs de biens publics.
En effet, s’ils l’étaient vraiment, ils auraient non seulement acheté leur liberté mais auraient conservé leurs postes.
D. Les résultats :
Alors si tous les gabegistes et autres corrupteurs et corrompus sont à l’extérieur des prisons qui sont ceux qui sont dedans ?
Belle question mais qui n’est pas, cependant, sans réponse.
Et cette réponse tient en une phrase : quand dans un pays, il y a des gabégistes, il faut qu’il y ait des personnes qui payent à leur place. C’est que l’on peut expliquer par la théorie des jeux.
Ce qui le confirme davantage, aujourd’hui, c’est la mobilisation tribale qui actuellement voudrait que les vrais criminels de la décennie précédente, ne soient pas inquiétés. Un exemple frappant…. …de l’anticipation criminelle.
Pr ELY Mustapha
Source : Cridem