La décapitation de Samuel Paty

Il s’appelait Samuel Paty, et son nom ne doit pas être oublié. Il mérite de rester dans les mémoires parmi les figures de l’école républicaine, entre Louis Germain, le maître d’Albert Camus, et ces hussards noirs «d’un dévouement sans mesure à l’intérêt commun» chantés par Charles Péguy.

Samuel Paty, d’après tous les témoignages, était chaleureux, bienveillant, délicat jusqu’au scrupule, adoré de ses élèves… Le contraire d’un provocateur ou d’un boutefeu. Il est mort – et dans quelles atroces circonstances! – d’avoir voulu appliquer le programme d’éducation morale et civique en classe de quatrième. Mort d’avoir montré à ses élèves deux représentations satiriques de Mahomet. Assassiné pour avoir enseigné la liberté.

Et l’on ne viendra pas nous dire, cette fois, qu’il est tombé par hasard, sans raison, sous les coups d’un «déséquilibré»! Au contraire: tout, dans les jours qui précèdent le crime, semble conduire à cette tragédie. Durant deux semaines, Samuel Paty a été l’objet d’une cabale méthodiquement ourdie, soigneusement organisée. Des militants islamistes l’ont ciblé, persécuté, calomnié. Parmi eux, un «parent d’élève», mais aussi un activiste islamiste, fiché S, membre d’un «conseil des imams de France». Les membres de cette petite bande l’ont dénoncé à sa hiérarchie. Ils l’ont signalé à la police. Ils ont jeté son nom en pâture sur les réseaux sociaux. Ils ont affiché des vidéos injurieuses sur le site internet d’une mosquée. Ils sont allés jusqu’à saisir les autorités académiques! S’ils n’ont pas armé directement la main du tueur (cela, il appartiendra à l’enquête de le dire), ces harceleurs ont indubitablement inspiré son geste. Leur acharnement criminel en dit autant sur l’époque que nous traversons que les circonstances particulièrement atroces de l’assassinat. Aujourd’hui, les fameux «loups solitaires» ne le sont jamais vraiment: ils s’enracinent dans un écosystème islamiste qui les protège et les nourrit.

Allons-nous nous réveiller, enfin, et répliquer à la guerre qui nous a été déclarée?
«Ils ne passeront pas!» Ces rodomontades seraient à rire si elles n’étaient à pleurer. La triste vérité, chacun le sait, c’est que, depuis longtemps, ils sont déjà passés. L’influence islamiste pèse de tout son poids sur l’école, où l’inspecteur général Jean-Pierre Obin mesure depuis vingt ans la montée inexorable des «accommodements»concédés à cette funeste idéologie: d’après un récent sondage, 40% des enseignants (50% en ZEP) reconnaissent «s’autocensurer» sur certains sujets (on imagine aisément lesquels) face à leurs élèves pour ne pas créer d’incident. Cette influence, elle pèse (et ô combien!) sur l’université et la recherche. Elle gangrène les services publics comme les entreprises privées. Prisons, police, armée… elle n’épargne quasiment plus aucun service de l’État ni aucun secteur de la société.

La vérité, c’est que les islamistes, dans notre pays, ont pignon sur rue. Ils ont, avec le CCIF, leur vitrine officielle ; ils ont aussi leurs boutiques officieuses et leurs officines clandestines. Ils ont leurs représentants légaux, leurs brillants avocats qui ont accès aux plus hautes sphères de l’administration, leurs entrepreneurs qui financent la cause, leurs activistes qui déversent la haine sur les réseaux sociaux, leurs prêcheurs qui remplissent les mosquées, leurs soldats réguliers qui noyautent les cités et leurs sicaires, désavouables à merci, qui prospèrent sur ce terreau.

La vérité, c’est aussi que les islamistes peuvent compter, dans l’appareil d’État, les partis politiques et les médias, sur des compagnons de route (ou des idiots utiles) qui soutiennent efficacement la cause. C’est Jean-Louis Bianco et son Observatoire de la laïcité, qui semble avoir été ainsi baptisé par antiphrase. C’est Jean-Luc Mélenchon, qui, toute honte bue, prétend aujourd’hui combattre les amis de ceux avec qui il défilait hier. C’est Edwy Plenel, dont nul n’a oublié qu’il a accusé Charlie d’avoir «déclaré la guerre aux musulmans»! Et, derrière eux, toute une nébuleuse islamo-gauchiste rompue à la rhétorique victimaire (indigénistes, décoloniaux, Unef, SOS-Racisme, LDH…) qui devine du «racisme d’État» chaque fois qu’il est question d’appliquer la loi, dénonce des «violences policières» chaque fois qu’il s’agit de maintenir l’ordre et hurle à l’«islamophobie» chaque fois que l’on fait mine de résister aux diktats des barbus… Que certains de ceux-là se soient retrouvés hier, place de la République ou ailleurs, avec des citoyens sincèrement révoltés par les menées islamistes est une insulte à la décence autant qu’au souvenir des victimes.

Et maintenant? Et demain? Après les larmes et les hommages, après les grands discours et les rassemblements, après les hashtags et les bougies, que va-t-il se passer? Allons-nous, face à la menace islamiste, revenir comme si de rien n’était à ces tractations sans gloire, ces compromissions obliques, ces concessions sournoises et ces fermetés équivoques qui nous tiennent lieu de politique depuis si longtemps? Allons-nous nous réveiller, enfin, et opposer à la guerre qui nous a été déclarée une autre guerre, impitoyable et sans merci? C’est en vérité la seule question – mais cette question est vitale – que nous devrions nous poser.

La loi contre le séparatisme? Il paraît que l’on va durcir le dispositif. Tant mieux! Mais, à dire vrai, ce n’est pas du luxe. Mieux contrôler les associations, mettre un terme définitif à ces cours de «catéchisme coranique» à l’école sous prétexte d’apprentissage des «langues d’origine», imposer aux salariés des transports publics le respect des règles élémentaires qui prohibent le prosélytisme vestimentaire… tout cela est bel et bon (pour autant que cela soit appliqué), mais, chacun l’aura compris, notoirement insuffisant. Plus largement, c’est la philosophie même de cette loi – si pudique qu’il n’est pas prévu que le mot «islamisme» y figure! – qui doit être reconsidérée. Mais à quoi rime, au juste, ce mot de «séparatisme»? Le bourreau de Samuel Paty et les militants islamistes qui ont créé les conditions de son acte ne nourrissent aucunement le rêve de bâtir leur société islamique à côté de notre République, ils ont le projet de la remplacer, territoire après territoire, par un régime «pur» gouverné par la charia. Les islamistes ne sont pas des séparatistes, ce sont des conquérants…

Pour les combattre avec quelque chance de l’emporter, il faudra parler moins et agir plus. Fermer sans tergiverser toutes les mosquées où est enseignée la détestation de la France. Expulser immédiatement les imams étrangers prêcheurs de haine. Dissoudre le CCIF et toutes les organisations qui, sous couvert de lutter contre l’«islamophobie», font le lit de l’islam le plus radical. Et faire entendre raison aux tribunaux administratifs qui trouvent toujours un bon motif pour annuler les (rares) décisions énergiques prises dans ce sens.

Il faudra aussi cesser de tourner autour du pot des fichés S: expulser les radicalisés étrangers (il semble que Gérald Darmanin veuille s’y mettre: bravo!) et interdire de tout emploi sensible (aujourd’hui ils peuvent travailler comme enseignants ou comme éducateurs!) les fichés français. Ce qui suppose là encore de passer outre l’opposition de tous ceux qui estiment qu’on ne peut rien faire au motif qu’«ils n’ont encore commis aucun crime»…

Il faudra enfin se décider à aborder sans se voiler la face la question de l’immigration sans contrôle et de ses conséquences pour le pays. Un Tchétchène de 18 ans à qui la justice avait reconnu le statut de réfugié vient de décapiter un enseignant français. Quelques jours plus tôt, un jeune Pakistanais, à qui la justice – toujours elle – avait accordé la protection reconnue aux «mineurs isolés», avait perpétré une attaque au hachoir contre l’ancien immeuble de Charlie. Peut-être cette coïncidence mériterait-elle que l’on s’y arrête un instant: si la France continue d’accueillir chaque année sur son sol près d’un demi-million d’étrangers, dont la grande majorité, de confession musulmane, estime que la charia est supérieure à tout, il est peu probable que l’islamisme recule…

Et qu’on ne vienne pas nous dire, encore une fois, qu’«il ne faut surtout pas prendre le risque de diviser les Français», que «ce serait faire un cadeau aux terroristes, qui n’attendent que cela»! Sous les apparences du bon sens, cette analyse rabâchée chaque fois qu’il est question de mettre en œuvre une politique un peu ferme est le paravent de tous les renoncements.

Car, en vérité, le but ultime des islamistes n’est pas de diviser, il est de s’imposer et d’imposer leur loi partout où vivent des musulmans. La division des Français, qui les dresserait les uns contre les autres, peut certes être considérée par les islamistes radicaux comme un moyen indirect de parvenir à cet objectif de domination, mais il existe à leurs yeux un moyen direct beaucoup plus efficace: la soumission de leur adversaire, le mol acquiescement qui leur permettrait de s’imposer sans combattre. Cette unité-là, c’est le silence des cimetières.

Au fond, comme toujours quand la situation est difficile, revient la seule question qui vaille en politique: celle du courage. Ce courage qui a tant manqué à nos hommes politiques, de droite comme de gauche, depuis quarante ans, c’est celui de Zineb El Rhazoui, de Riss et de bien d’autres, qui, en dépit des menaces, continuent, sous protection policière permanente, de clamer haut et fort leur refus de l’islam politique. Ce courage, ce fut aussi celui d’un homme qui, alors que la meute des islamistes s’acharnait à le salir, ne leur a rien cédé. Il s’appelait Samuel Paty, et son nom ne doit pas être oublié.

Sujets

• Samuel Paty

• Éditorial Figaro

• Terrorisme islamiste

par Taboola