Mauriweb – Le dernier livre d’Ahmed Baba Miské « La Décolonisation de l’Afrique, laResponsabilité de l’Europe » vient à point nommé en ces jours de commémoration de ce qui est considéré officiellement comme l’indépendance nationale de la Mauritanie et après le cinquantenaire, célébré il y a de cela quatre ans, des indépendances africaines.
Cet essai critique tranche avec une certaine littérature politique africaine ou domine le politiquement correct, c’est-à-dire allant dans le sens d’une lecture positive de l’Histoire qui absout
– par omission, sinon explicitement
– l’Europe et singulièrement la France et les régimes vassaux par elles installés des innombrables crimes commis au cours des siècles et des indépendances bâclées qu’elle a eu à consentir.
En « revisitant » la responsabilité des puissances européennes dans l’immense gâchis auquel a abouti cette longue et douloureuse marche, ABM nous fait (re)découvrir, avec un recul d’un demi-siècle et une approche « chirurgicale », la réalité de la mission « civilisatrice » de ces puissances et les mécanismes de la domination toujours renouvelée qu’elle induit.
Réalité de la négation de l’humanité des colonisés ; réalité de la domination aux aspects multiformes, de la colonisation directe sans fard au machiavélique « néo colonialisme » en passant par le « protectorat » et la « mise sous mandat »… autant de turpitudes qui meublent livres d’histoire et documents en tout genre mais dont la narration, sous peine d’oubli, s’impose à tout instant.
« Néo colonialisme », une expression qui en ces jours, a pris un coup de vieux mais que le phénomène auquel elle fait référence, c’est-à-dire un colonialisme « intelligent », soft, mais aussi malfaisant que la colonisation directe, sinon plus, ne s’est jamais mieux porté. Du moins en Afrique, y compris en Mauritanie où foisonnent pourtant de multiples signes de souveraineté apparente.
Le mérite de la réflexion d’ABM est donc de mettre à nu de manière mesurée mais sans complaisance, l’historique duperie de la « décolonisation » et son prolongement, le néo colonialisme. C’est aussi l’ébauche, que l’auteur esquisse, de l’indispensable contre offensive pour remettre le continent africain sur le chemin devant le hisser au niveau des nations développées.
Le Cas de la Mauritanie Il fait l’objet d’une fine analyse qui met en exergue entre autre une spécificité de ce pays par rapport aux autres colonies de l’Afrique Occidentale Française (AOF) et de l’Afrique Equatoriale Française (AEF). «LaMauritanie, lit-on dans le chapitre qui lui est consacré, située entre l’Afrique de l’ouest et le Maghreb est entre autres singularités, l’un des premiers pays de l’Afrique atlantique à avoir attiré les explorateurs européens et l’un des derniers à être dominés ; de ceux aussi où la résistance a été la plus longue ».
Certes, mais la singularité qui a été la plus déterminante dans le devenir de ce pays, qui l‘a dévoyé de manière permanente de sa trajectoire naturelle, et sans laquelle le destin l’aurait probablement maintenu orienté dans le sens du progrès, c’est justement son alignement arbitraire, son intégration forcée, la greffe contre-nature qui lui a été imposée sur le corps ouest africain. Culturellement parlant, cela va sans dire.
On peut expliquer « l’omission » de cette singularité par l’orientation de l’auteur idéologiquement proche d’une certaine gauche peu condescendante par rapport à l’idée du nationalisme arabe, ce qui explique l’absence de prise en compte dans son analyse de la causalité en question. Qui se justifie pourtant pleinement.
Il ne s’agit naturellement pas ici d’établir une hiérarchie, mais de jeter la lumière sur les diaboliques méthodes du colonisateur consistant à découper, à la règle, les espaces géographiques, culturels, ethniques de ses colonies suivant non pas la configuration naturelle de ces espaces, mais celle de ses considérations stratégiques et tactiques à lui.
Prenant le relai, les pouvoirs néocoloniaux qui lui succèdent mettent un point d’honneur à parfaire et faire perdurer la fameuse théorie de « l’intangibilité des frontières héritées d la colonisation ». Ainsi, partant de cette logique, la Mauritaniefut rattachée administrativement, politiquement et tout, à l’AOF et, suprême humiliation, elle fut administrée, plutôt gérée à partir d’une ville étrangère, St-Louis du Sénégal. Flagrante hostilité, s’il en est du colonialisme français à une identité mauritanienne propre.
La seule marque concédée de cette identité fut le transfert de l’administration saint louisienne à Nouakchott, nouvelle capitale qui fut- concession de taille, il faut le reconnaitre
– créée à cet effet. Si Xavier Coppolani fut choisi es qualité, arabisant connaisseur de la société arabe pour avoir servi en Algérie, ce n’était pas pour conserver à son projet colonial « civilisateur » le cachet culturel et identitaire du pays à dominer, mais au contraire pour annihiler cette identité, la corrompre en la rendant soluble dans son action de colonisation.
La tache est ainsi facilitée car le colonisateur n’a plus à faire face qu’à un adversaire certes jaloux de sa personnalité, mais désormais culturellement et identitairement déstabilisé.
La Mauritanie, Chinguitt, l’Espace mauritanien, Trab el Bidhan... ou toute autre appellation qu’on voudra est culturellement, historiquement, géographiquement arabe. Le fait que le pays compte aussi une minorité non arabe, négro africaine qui mérite naturellement le respect de sa spécifité à elle aussi, ne doit rien changer à cette réalité.
La plupart des pays du monde ne compte-t-elle pas aussi une ou des minorités sans que cela ne remette en cause le droit de la majorité à diriger le pays ? Mais la France, maitresse du moment a sa logique à elle. Elle a tout simplement, sans états d’âme, gommé, contourné cette flagrante « singularité », cette réalité fondamentale. Dans la pratique de sa gestion du pays, elle a superbement ignoré la langue arabe et l’enseignement qu’il procure, le système des mahadras.
Le caractère national mauritanien, inclusif, de la langue arabe n’est pas à démontrer, mais la nécessité de l’enseigner était une responsabilité que les autorités coloniales ont donc évidemment très imparfaitement assumée.
Le système des mahadras méritait d’être pris, tant soi peu en compte à côté de l’inévitable enseignement colonial. Monnaie, en revanche, a été rendue au colon par le boycott spectaculaire de sa langue et de sa façon de vivre. Entre enseignement arabe négligé et enseignement français boycotté, ce sont cependant des décennies précieuses, qui ont été perdues pour des générations d’enfants.
3 Malgré d’incontestables progrès, surtout quantitatifs, l’enseignement en général n’a fondamentalement pas progressé à l’ère de « l’indépendance », et la langue française en particulier continua à en être l’indéboulonnable rouage.
Quel enseignement Tirer de cette initiative coloniale de cette tentative d’éclairage sur la manouvre de détachement du pays mauritanien de son espace naturel puis sa greffe sur l’Afrique Occidentale, nous pouvons tirer deux conséquences également désastreuses pour la Mauritanie: la première est matérialisée par cette ubuesque « performance » de cinquante quatre années d’ « indépendance » qui aboutit au pitoyable et désespérant état de misère et de sous développement que nous vivons, et à la sensation de naufrage qui étreint chaque Mauritanien du fait d’un horizon bouché et d’une existence qui donne tous les signes d’une évolution à la somalienne.
La seconde conséquence, qui est le but ultime que vise la France dans ses pérégrinations en cette contrée que certains considèrent comme maudite par l’histoire et la géographie, c’est que la Mauritanie ne cesse jamais, d’une manière ou d’une autre, d’être sous sa coupe… et on a vu comment elle s’y prend et avec quel résultat.
Et pour cause ! Ce pays regorge de richesses, en particulier de matières premières et possède les cotes les plus poissonneuses du monde pour, malheureusement, une population et des élites désorientées et comme tétanisées, et qui semblent aussi avoir perdu le reflexe de combat qui a caractérisé la glorieuse Résistance d’autrefois qui avait donné bien du fil à retordre à ce même occupant.
Toutes choses qui confortent l’encombrant « ami » dans son obstination à ne rien changer à sa stratégie des premiers jours. A savoir garder sa conquête loin de la contamination des rébellions et autres printemps arabes, dont avant « l’indépendance », la bouillonnante Algérie, et en assurer l’intégration dans le paisible et sur pré carré ouest africain …
Et tant pis pour le terrible et durable traumatisme causé au tissu culturel et identitaire de la victime et pour la graine du conflit entre elle et la culture hôte, en l’occurrence la culture négro africaine, qu’il sème. Le colonialisme, c’est bien connu, n’a ni états d’âme ni scrupules quand il sévit.
Que faire ? Après cette plongée historique dans le système de gestion du territoire mauritanien aussi bien sous la domination directe que sous les régimes vassaux qui lui ont succédé, et au regard de sa situation présente avec ses hauts, et surtout ses bas que tout un chacun appréhende, et les inquiétudes que suscitent cette situation, n’est-on pas en droit de s’interroger sur l’avenir non pas lointain mais immédiat de notre cher pays?
Si on admet les deux hypothèses du néocolonialisme toujours en activité, au moins dans une certaine mesure que personne ne conteste, et le dévoiement de la vocation naturelle de la Mauritanie, c’est-à-dire de son appartenance au monde arabe, hypothèses que nous avons avancées comme étant les causes essentielles du lamentable état où se trouve la Mauritanie, le réveil et l’action de l’élite consciente et des forces patriotiques deviennent impératifs et urgents pour l’élimination de ces deux causes et pour l’action de sauvetage du pays et pour sa reconstruction.
Tache difficile, certes qui, nécessairement, devra bousculer l’ordre établi et vaincre les peurs et pesanteurs accumulées des décennies durant. Le salut du pays est en tout cas à ce prix.
Cette tâche consistera à engager un véritable combat pour une indépendance réelle et la fin de la pesante tutelle maquillée en indépendance de l’ancien colonisateur aux fins d’une complète maitrise sur les plans économique et culturel de la gestion du pays ; d’une totale liberté dans le choix et la diversification de nos partenaires internationaux ; de désengagement des ensembles non viables dans lesquels notre présence n’a pour raison d’être que la satisfaction d’intérêts autres que ceux de la Nation ; et en fin traiter d’égal avec les autres sans à priori mais sans inféodation.
En un mot déclencher une deuxième Résistance, une lutte de libération. La réorientation de la boussole pour la réintégration de la Mauritanie dans le monde arabe est un autre impératif. Sans préjudice, naturellement, pour notre appartenance aussi à l’Afrique.
D’abord parce que la Mauritanie est un pays africain à part entière, mais aussi parce qu’elle compte en même temps que la majorité arabe une composante négro africaine tout aussi jalouse de ses droits culturels et de son identité et, en fin pour des raisons dictées par l’intérêt économique bien compris. N’y verront de contradiction, à notre avis, que certains activistes rongés par un taraudant nationalisme étroit ou exécutant un agenda étranger.
Quels avantages pour le « retour au bercail » ? En effet, être partie prenante dans l’ensemble arabe et participer aux activités de la Ligue Arabe et ses institutions, dans la réalité et non avec désinvolture et « pour la forme » comme c’est le cas actuellement, peut ouvrir d’immenses possibilités pour le développement de notre pays.
Persister à ignorer cet ensemble qui compte tant dans le monde, constitue une iniquité et engendre un manque à gagner considérable économiquement et financièrement, culturellement, politiquement et au plan des échanges en tout genre.
Cette approche de réorientation, pour être conforme aux aspirations de la majorité du peuple mauritanien, se justifie donc par cet écheveau d’intérêts et non seulement par des raisons sentimentales et identitaires, légitimes par ailleurs.
Si nous poussons cette logique plus loin, nous ne pouvons que conclure en toute objectivité que les cinquante quatre années de « mariage » avec cette zone de l’Afrique de l’Ouest ne nous a apporté que très peu de progrès. Tout au plus quelques avantages liés à une certaine présence humaine avec ses effets bénéfiques induits : nos commerçants sont en effet bien installés dans la plupart des pays de cet espace et contribuent pour une part assez substantielle aux efforts de développement du pays.
La Mauritanie tire également profit de sa participation à l’OMVS et de la coopération bilatérale avec le Sénégal et le Mali frères. Cela à lui seul justifie-t-il d’être éternellement à la remorque de cet attelage qui ne jouit à ce jour que d’une indépendance d’action et d’une souveraineté limitées ?
En effet, comme nous l’avons dit et avant nous ABM, cette région, à l’instar de la plupart des autres pays de notre chère Afrique demeure globalement une néo colonie de la France. Les indices qui l’attestent sont légion. Bien sur, des avancées importantes partout et sur tous les plans ont été opérées. Bien sur, la libération complète de notre continent est inéluctable, le contexte régional et international aidant en cela.
Mais si tant est que le monde arabe, le Maghreb voisin en particulier, est de ce point de vue mieux loti, plus « indépendant », et surtout compte tenu des immenses possibilités et avantages que notre pays peut en tirer après plus d’un demi-siècle d’indigence et d’une rupture de fait avec cet ensemble due pour une grande part à des raisons de relief – montagnes et désert nous en séparent – la sagesse et la logique recommandent la nécessaire refondation.
Cette approche, pour être conforme aux aspirations de la majorité du peuple mauritanien, se justifie bien par cet écheveau d’intérêts et non seulement par des raisons sentimentales et identitaires, légitimes par ailleurs.
Sans préjudice encore une fois, pour notre appartenance à l’Afrique au sud duSahara, mais au contraire en complémentarité avec, complémentarité que symbolise le véritable trait d’union qui implique la coopération dans la fraternité et le bon voisinage. Et non le trait d’union démagogique, sans consistance et aux relents chououbites, c’est-à-dire hostiles à l’identité culturelle et civilisationnelle de la Mauritanie.
Mohamed Fadel Sidi Haiba
Source : Mauriweb (Mauritanie)