Olivier Klein (DG), maire de Clichy-sous-Bois en Seine-Saint-Denis, plaide pour un doublement de la prime de rentrée scolaire et un moratoire d’un an sur les expulsions locatives.
Enseignant de profession et natif du Chêne-Pointu, quartier qui a servi de décor au film « Les Misérables », Olivier Klein (divers gauche), maire, réélu dès le 1er tour, de Clichy-sous-Bois, alerte sur un creusement des inégalités chez les familles démunies des quartiers face à la crise.
Le confinement est-il moins bien respecté dans les quartiers ?
OLIVIER KLEIN. Non, nos familles sont héroïques, elles respectent bien le confinement. Comme partout, il y a des difficultés car ce n’est pas facile pour une famille nombreuse de rester confinée dans un logement insalubre du Chêne-Pointu. Ma ville est l’une des plus jeunes de France et je n’ai pas vu un enfant dans la rue en six semaines. Comme président de l’Anru (NDLR : Agence nationale pour la rénovation urbaine), je constate que le confinement a été encore mieux respecté dans les quartiers qui ont bénéficié d’une rénovation. La leçon, c’est que l’action publique sur le logement doit être encore plus rapide.
Le décrochage scolaire des enfants, vous l’avez constaté ?
J’ai vu des mamans paniquées qui venaient à la mairie me demander de faire des photocopies, ou me montrer le SMS ou le mail d’un enseignant. On dit que 8 à 10 % des familles ont décroché à l’échelle nationale, c’est bien plus dans nos quartiers. Un enfant ne devrait pas avoir à faire ses devoirs sur l’écran du téléphone de ses parents! Il y a une fracture numérique. Je me bats pour que chaque enfant de Clichy-sous-Bois qui rentre en CM1 ait un ordinateur pour la rentrée prochaine. On en a récupéré une centaine auprès de la fondation BNP, j’ai eu le patron de Microsoft France qui va en offrir 300, et l’Etat s’est mobilisé. Mais ça ne suffit pas, car beaucoup de familles n’ont pas d’accès Internet. Je fais donc appel aux grands opérateurs pour obtenir des clés ou des routeurs 3G ou 4G.
L’aide exceptionnelle de l’Etat pour les familles va-t-elle suffire ?
C’était indispensable, mais ce n’est pas suffisant. Dans ma ville, des familles sont très inquiètes de ne pas pouvoir faire manger leurs enfants normalement. Les cantines à Clichy, c’est 1 € pour les plus modestes, et on sait tous que c’est plus à la maison. Il y a deux fois plus de familles qui demandent l’aide du CCAS (NDLR : Centre communal d’action sociale) et on a vu des queues très importantes lors des distributions d’aide alimentaire des Restos du cœur ou d’AC le feu. Ça m’a mis en colère.
C’est pourquoi j’ai voulu lancer cet appel au secours. Il y a urgence ! Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, il y a aussi des familles qui vivaient de petits boulots, au noir. Tous les matins, je vois des centaines de femmes qui partent en bus vers Paris faire le ménage. Elles sont journalières, dans des boîtes d’intérim. Ont-elles droit au chômage ? Quand l’argent ne rentre plus à la fin de la semaine, c’est une catastrophe.
Vous craignez une aggravation de la fracture sociale dans les quartiers ?
Le gouvernement a doublé le budget de l’Anru, mais il faut faire plus sinon cette fracture sociale et territoriale va s’amplifier. On n’a pas le droit de laisser les 5 millions d’habitants des quartiers populaires aux portes de la République. Au-delà de l’aide exceptionnelle déjà prévue, je plaide pour un doublement de la prime de rentrée scolaire et un moratoire d’un an sur les expulsions locatives. J’étais aussi favorable à une suspension des loyers pendant deux mois. N’ajoutons pas une épée de Damoclès aux gens de ces quartiers.
La Seine-Saint-Denis a été frappée par une surmortalité de Covid-19…
Il y a d’abord un non-recours aux soins. Contrairement à ce que l’on dit, il n’y a pas de profiteurs dans nos villes. Beaucoup de familles à Clichy-sous-Bois n’ont pas de médecin traitant et ont appelé le 15 trop tard lorsqu’elles avaient des symptômes. La précarité induit aussi des comorbidités : nous avons beaucoup de diabétiques, des cas d’obésité, d’hypertension artérielle. Quand une telle crise vient frapper un territoire si fragile, tout s’accélère compte tenu de la pauvreté et du surpeuplement. Il faudra en tirer les leçons sur l’accès aux soins avec, pourquoi pas, un retour des dispensaires.
Comment expliquez-vous les heurts à Gennevilliers ou Villeneuve-la-Garenne ?
Parce qu’on est proche de la rupture. On est face à une cocotte-minute, une poudrière qui peut exploser à la moindre étincelle. Je sais la fragilité de ces quartiers — j’y vis depuis que je suis né — je sais aussi leur capacité de résilience. Je comprends la colère, parfois je la partage, mais je n’accepte pas la violence.