La région a connu en 2019 certaines avancées en matière de protection des droits humains. Mais les préoccupations ont été nombreuses liées aux conflits, au rétrécissement de l’espace des libertés – particulièrement dans des contextes électoraux, et aux inégalités. Le rapport annuel Afrique pour 2019 d’Amnesty international éclaire ces tendances, toujours présentes cette année, et qui sont confirmées dans le contexte de la lutte contre le COVID-19.
Par Marceau Sivieude, directeur régional adjoint pour Amnesty International
Si la situation des droits humains en 2019 a été contrastée suivant les pays de la région, des avancées ont été notées malgré un bilan d’ensemble plutôt inquiétant. La mobilisation de la société civile dans la rue, des médias traditionnels et des réseaux sociaux, a contribué à ces éclaircies importantes.
Des pays se sont ainsi penchés sur des crimes du passé pour répondre aux droits des victimes à la vérité et à la justice. En Gambie, l’année a été ponctuée par les séances de la Commission vérité, réconciliation et réparations, éclairant les heures sombres du régime de Jammeh.
En République centrafricaine (RCA), la Cour pénale spéciale a démarré ses enquêtes sur les crimes les plus graves dans ce pays en proie aux conflits depuis près de vingt ans. De la Mauritanie au Cameroun, des défenseurs des droits humains, bloggeurs et activistes politiques arbitrairement détenus ont été libérés.
Des peines de mort ont été commuées en Gambie, au Niger et au Ghana. Des politiques ont été mises en place pour la protection des droits des femmes comme au Burkina Faso où le gouvernement s’est engagé à lever de nombreux obstacles pour permettre aux femmes d’accéder aux services en matière de santé sexuelle et reproductive. Plusieurs pays soumis à l’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies se sont engagés à prendre des mesures concrètes pour la protection des droits humains. Des engagements dont la mise en œuvre sera cruciale compte tenu des nombreuses préoccupations.
Conflits et impunité
L’Afrique de l’Ouest et du Centre a été déchirée en 2019 par des conflits et crises qui ont maintenu des pans entiers de la population dans une grande insécurité. Des groupes armés ont continué de commettre des exactions contre les populations civiles au Sahel, autour du Lac Tchad, en RCA. Les attaques contre les villages, les meurtres – y compris d’enfants, les violences sexuelles, les enlèvements, les pillages ont fait l’actualité macabre quasi-quotidienne de cette année. Des violations des droits humains qui pour certaines pourraient être qualifiées de crimes de guerre ou de crime contre l’humanité. Les forces armées qui luttent contre les groupes armés se sont également rendus responsables d’exécutions extrajudiciaires, d’actes de torture ou encore de destruction de logements.
L’action des groupes armés, l’absence de l’Etat dans certaines zones et le changement climatique ont fait partie des éléments qui ont attisé des violences intercommunautaires, souvent entre éleveurs et agriculteurs, notamment au Mali, au Burkina Faso, au Tchad ou au Nigeria.
L’impunité qui nourrit ces conflits et violences est demeurée la règle. Les procédures judiciaires ouvertes au Mali et au Burkina Faso ont peiné à avancer. La commémoration en Guinée des 10 ans du massacre du 28 septembre 2009 au cours duquel plus de 150 manifestants ont été tués et plus d’une centaine de femmes ont subi des viols et autres violences sexuelles, s’est faite sans procès.
L’insécurité a forcé un nombre toujours plus grand de personnes à se déplacer dans des conditions difficiles. Fin 2019, plus de 200 000 personnes étaient déplacées au Mali. Un demi-million au Burkina Faso. Encore plus en RCA et au Cameroun. Des centaines de milliers de jeunes étaient privés de scolarisation, véritable ombre pour l’avenir des pays concernés.
Rétrécissement de l’espace des libertés
L’année 2019 s’est également caractérisée dans la région par la confirmation de la tendance d’un rétrécissement de l’espace des libertés. Une tendance particulièrement forte dans les pays qui ont connu ou allaient connaitre des processus électoraux où les tensions politiques ont mené les autorités à étouffer les voix critiques.
Au nom de la sécurité, des lois liberticides ont par exemple été adoptées en Guinée et au Togo, deux pays qui se préparaient à des élections législatives et/ou présidentielles. Des manifestations ont été interdites dans plusieurs pays, plus de vingt en Guinée. Les forces de sécurité ont fait un usage excessif de la force contre des manifestants prodémocratie, anti-corruption ou en faveur des droits économiques et sociaux. Plus de 17 manifestants sont morts en Guinée, d’autres au Benin. Des centaines de personnes qui contestaient la réélection du président Paul Biya pour un 7eme mandat ont été arrêtées au Cameroun et poursuivies par des tribunaux militaires. Des manifestants ont été arrêtés simplement pour avoir exercé leurs droits également au Bénin, au Sénégal, en Mauritanie, pays qui ont connu des élections en 2019.
De la Côte d’Ivoire à la Guinée Equatoriale, des défenseurs des droits humains, journalistes, bloggeurs, activistes politiques ont encore payé cher le prix de leur liberté d’expression, subissant des menaces, arrestations arbitraires et harcèlements judiciaires.
Inégalités et discriminations
Dans ce contexte particulièrement troublé, de fortes discriminations et inégalités ont persisté dans la région. Les femmes ont continué de faire l’objet de discriminations et de violences, de mariages forcés et de violations de leurs droits sexuels et reproductifs. Les personnes LGBTI ont été victimes de stigmatisation. Les actes sexuels consentis entre personnes du même sexe sont demeurés pénalement repréhensibles dans de nombreux pays et passibles de la peine de mort comme au Nigeria et en Mauritanie. Les violations du droit à un logement ou à un niveau de vie décents sont demeurées des préoccupations majeures en dépit des bons scores économiques de certains pays ou du fait des politiques d’austérité dans d’autres comme au Tchad ou au Congo.
Ces tendances relevées par Amnesty International en 2019 se confirment en ce début d’année. Les conflits ou crises sont toujours aussi vifs comme au Cameroun anglophone, dans la région du Lac Tchad ou au Sahel où les groupes armés commettent leurs exactions sur des territoires toujours plus grands et menacent les pays côtiers. Des forces armées continuent d’être responsables de graves violations des droits humains. Des violations des libertés d’expression et d’association ont lieu dans de nombreux pays qui ont connu des élections ou qui vont en connaitre comme au Togo, en Guinée, au Cameroun et en Côte d’Ivoire.
La pandémie du COVID-19 qui se répand dans la région, y compris dans des zones de conflit, fait craindre le pire compte tenu de la faiblesse du secteur de la santé dans de nombreux pays et des fortes inégalités dans l’accès au soin. L’utilisation excessive de la force et des arrestations arbitraires ont été constatés dans le contexte de la lutte contre la pandémie. Pourtant, dans la région comme dans le reste du monde, la vulnérabilité de chacun face au virus devrait démontrer l’importance des droits de tous qui font l’humanité.
Le 8 avril 2020
Marceau Sivieude,
directeur régional adjoint pour Amnesty International
Source : Mondafrique